Elles existent et elles le crient haut et fort ! Dans le documentaire Croquantes, un groupe d’agricultrices en non-mixité se bat pour la juste reconnaissance de leur place dans les fermes. La force du collectif leur permet de créer des espaces de liberté pour échanger, se former et se sentir légitimes.
Elles sont une dizaine d’agricultrices issues des quatre coins de la Loire-Atlantique. Elles ont décidé depuis quelques années de se réunir en non-mixité pour s’ouvrir de nouveaux espaces de liberté. Leur combat : l’égalité pour les femmes en milieu rural. C’est cette histoire que raconte Croquantes. Un documentaire passionnant sur un groupe de femmes qui ont décidé de prendre à contre-pied les schémas tout faits et la répartition des rôles historiques entre les sexes au sein des exploitations agricoles. J’ai dit stop, j’existe ! crient-elles en cœur à plusieurs reprises durant une pièce de théâtre sur le thème de leurs revendications, jouée en 2018.
Tesslye Lopez et Isabelle Mandin, les réalisatrices, ont pris le parti de les suivre durant la préparation de cette pièce, mais aussi au gré des formations sur les menstruations, sur la conduite de tracteur ou encore sur la soudure, lors de réunions trimestrielles, d’un déplacement collectif à Rennes pour le 8 mars ou encore d’un simple café entre consœurs pour se remotiver. Impossible de ne pas voir du Davodeau façon neuvième art dans cette manière de dépeindre des tranches de vie quotidienne pour aborder une lutte intemporelle. C’est un film d’intervention sociale qui a été pensé et fabriqué pour encourager la formation d’autres groupes de femmes en non-mixité, précise Tesslye Lopez lors de l’avant-première le 30 septembre dernier.
De la traite à la salle de cinéma
Les protagonistes du film avaient pu découvrir le documentaire le matin-même, avec forcément un peu d’appréhension. Nous sommes arrivées avec la boule au ventre en se demandant un peu quelle allait être la ligne directrice du documentaire, témoigne Gwenaëlle, éleveuse de vaches laitières et membre du groupe. Une inquiétude bien vite dépassée par le sentiment étrange de se voir à l’écran. Les réalisatrices mettent vraiment à l’honneur notre place de femmes sur les fermes, se félicite de son côté Élise, productrice de bonbons aux fruits rouges et de miel.
Elles partent désormais à la rencontre des spectateurs pour une trentaine de projections-débats à travers la France, espérant que leur initiative locale fera tâche d’huile. Nous attendons beaucoup de ces débats. Ce sont autant d’occasions d’aborder la place des femmes en agriculture, se réjouit Gwenaëlle.
Les milles tâches invisibles du quotidien
Ce qui rend si particulier le statut des agricultrices et des agriculteurs, c’est qu’il mêle intimement vie professionnelle et vie personnelle sur un même lieu. Cela rend d’autant plus difficile une répartition équitable des tâches, quand les deux membres du couple travaillent sur la ferme. Ce groupe, ça nous a fait réfléchir et nos associés aussi. Mon mari s’est rendu compte que je faisais beaucoup de tâches invisibilisées, se souvient Gwenaëlle. Aller chercher les enfants, préparer le repas, gérer l’administratif, les commandes, recevoir les commerciaux… Autant de petites choses qui s’accumulent et remplissent très vite la journée sans que l’on s’en rende compte.
Pendant ce temps, monsieur cultive son image de travailleur de la terre infatigable sur son tracteur. Alors pour rétablir les choses, elles ont décidé collectivement de se former à la conduite de tracteur, mais sans homme, juste entre elles, pour ne pas être jugées, pour oser. J’en étais malade de ne pas savoir conduire un tracteur. Je voulais pouvoir être autonome si mon conjoint avait un jour un problème, insiste Gwenaëlle.
Un combat qui avance
À la question êtes-vous féministe ? Les agricultrices louvoient, hésitent. Le mot fait peur. Alors Gwenaëlle synthétise leur réflexion sur le sujet. Au début nous ne voulions pas de cette étiquette. Mais au fur et à mesure, nous nous sommes rendues compte qu’être féministe c’était juste vouloir être égaux et finalement c’est quand même pour ça que nous militons. Loin des mouvements féministes souvent très urbains, elles se concentrent sur leur situation : être reconnues en tant que femmes sur leurs fermes. Un combat qui progresse finalement depuis peu. Ce n’est que depuis 2019 que les agricultrices ont obtenu un congé maternité égal au reste de la société.
Et pendant que cette même société ouvre doucement les yeux sur ces travailleuses restées dans l’ombre de leur mari si longtemps, collectivement elles se transmettent ce sentiment de légitimité si important pour se sentir exister. C’est une autre génération. Elles ont de la niaque et de l’envie. C’est vraiment quelque chose qui est un plaisir à vivre, avoue les larmes aux yeux Michelle, la doyenne du groupe et récemment retraitée.
bravo pour cette initiative! Moi-meme retraitée agricole maintenant , après avoir été conjointe d’exploitant non reconnue pendant 20 ans ,j’ai pu exploiter individuellement seule ma ferme jusqu’à ma retraite pendant 15 ans (certains événements de la vie ont occasionné une coupure dans ma vie professionnelle ) ; j’affirme que ces 15 ans passés à gérer ma ferme seule ont été un vrai bonheur, avec des épreuves et des changement de mode de commercialisation qui ont été tres formateurs et une belle récompense de la part des consommateurs qui achetaient mes colis d’agneau vendus à travers le réseau d’AMAP ou la creation d’un atelier de découpe local associe à 4 autres agriculteurs .Sans être forcement « féministe »je pense que les femmes sont tout à fait capables de gérer une exploitation ,les jeunes agricultrices le sont par choix aujourd’hui alors que les anciennes le devenaient souvent par leur mariage avec un « paysan ». elles n’avaient pas étudié dans les lycées agricoles mais là je parle des tres anciennes , car j’avais obtenu mon BTA en 1971 ,déjà à ce moment là nous allions en lycée agricole mais nous étions une minorité .Vive les agricultrices!!!
Bonjour, fille d’agriculteurs, je me destinais à ce métier avec un diplôme en poche (qui n’existe plus, 3ans d’études après le BEPC). Ma soeur aînée était aussi agricultrice. Mais devant ses conditions de vie qui avaient été celles de ma mère, j’ai décidé de changer de métier et fait une reconversion professionnelle à 23 ans. Après une vie professionnelle de fonctionnaire, je suis en retraite – j’ai 71 ans – mais j’ai toujours regretté de n’avoir pas pu exercer ce métier dans les conditions qui me satisfaisaient. Alors je dis bravo à ces femmes et surtout courage, ne lâchez rien. Pour vous et pour les générations à venir. Le monde professionnel , dans tous les métiers, est dur pour les femmes; il n’y a pas que le monde agricole qui soit misogyne. Nos mères et nos grands-mères ont tenu bon, mais à quel prix! Je vous renouvelle mon soutien. Marie-Françoise