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LIGNES FERTILES

Les Carrés Maraîchers, un jardin urbain qui tourne rond

Pas le temps d’aller arroser le potager ? Le maraîcher s’en chargera ! Des Toulousains ont résolu une équation vieille comme l’agriculture urbaine avec un modèle hybride de cueillette améliorée, entre jardins familiaux et production professionnelle. On a sorti la calculette : tout le monde y trouve son compte.

Les « légumeurs » n’ont pas le choix des variétés cultivées mais ont une planche libre pour faire pousser leurs envies. © Thomas Louapre

Derrière une rangée de fraises appétissantes, les pieds de tomates bien palissés émergent de buissons d’œillets, de soucis et de basilic, défiant le gris du ciel avec leur rouge écarlate, leur vert luisant et leur orange bien mûr. Cyril pousse une brouette de compost, du pas pressé et concentré du maraîcher en pleine saison, sans prêter attention au ronron du périphérique toulousain distant d’une centaine de mètres. Un autre détail échappe à son attention : quelqu’un s’est glissé dans la parcelle et remplit allègrement son panier de haricots, de courgettes et d’autres légumes d’été. Un intrus ? Au contraire ! Sabine est ici chez elle, comme une trentaine d’autres abonnés. Une fois sa récolte du jour terminée, elle fera la chasse aux herbes envahissantes, car la participation aux Carrés Maraîchers implique aussi de mettre les mains dans la terre.

Et quelle terre ! Limoneuse, légère, riche, elle a fait les grandes heures de la ceinture maraîchère de Toulouse, avant d’être bétonnée à tout va et de ne subsister que par tâches éparses. C’est un régal à travailler, assure Cyril. Je n’ai jamais cultivé une aussi bonne terre. Le jeune homme, précédemment chef de culture dans une exploitation bio, a intégré en février dernier Terreauciel, la coopérative spécialisée dans le paysagisme et l’agriculture urbaine qui a lancé le projet Carrés Maraîchers en 2020. Le concept, à mi-chemin entre une cueillette à la ferme et un jardin partagé, se résume en un slogan : Votre potager chez notre maraîcher.

Ballet de brouettes au potager sous la direction de Cyril, le maraîcher. © Thomas Louapre
Ici, on n’est pas simplement à la cueillette. Plus les légumeurs bossent, plus ils auront de légumes.

Pour les abonnés, en grande majorité actifs et employés, pas d’obligation de présence tous les jours, mais un jardin jamais à l’abandon, moyennant 7 euros par semaine. Et pour Cyril, du temps pour se concentrer sur la production : Cinquante pour cent du travail d’un maraîcher, c’est la récolte et la vente, et ce n’est pas le plus passionnant, avoue-t-il. Et la bonne mine du jardin, même en cet été exceptionnellement froid, atteste de l’organisation impeccable du jeune professionnel, qui répand maintenant son compost sur la planche de culture qui accueillera bientôt les semis de carottes. Les gens n’ont pas le choix des variétés produites, mais ils sont tous très satisfaits, assure-t-il.

La tête aux Carrés

L’organisation du jardin tient de l’exposé d’un exercice de géométrie : dans chacun des 3 jardins en carré, Cyril travaille 10 planches dédiées chacune à 1 légume ou à 1 association misant sur la complémentarité : courgettes coureuses et concombres grimpants, betteraves et oignons… L’abonné au jardin se voit attribuer une section de 2 mètres 50 sur chacune des planches, soit environ 30 mètres carrés de culture. Il y a également une planche libre, où chacun laisse exprimer sa créativité sur 2 mètres 50, ajoute Cyril. Ici, une dame a fait plusieurs maïs, là d’autres comme Sabine ont planté des patates douces.

L’organisation en jardins d’une dizaine de légumeurs est inspirée de cercles maraîchers aperçus à Berlin par Laurent, cogérant de Terreauciel : Mais la disposition en carrés, dans lesquels on circule facilement et que l’on peut multiplier, permet une optimisation pour le maraîcher, précise-t-il. La réussite du projet tient dans ce jonglage permanent entre production professionnelle et jardinage familial : Le but est de rapprocher les citadins de l’agriculture, résume Laurent. Des journées de formation sont d’ailleurs comprises dans l’abonnement, ce qui a permis à certains jardiniers amateurs de sortir l’équivalent de 800 euros de légumes l’an dernier ! Ici, on n’est pas simplement à la cueillette, assure l’ingénieur agronome. Plus les légumeurs bossent, plus ils auront de légumes. C’est pas du pipeau, ils ont un vrai rôle !

À mi-chemin entre agriculture et jardinage familial, les Carrés Maraîchers mettent en contact les urbains avec la réalité du métier. © Thomas Louapre

Démonstration avec ces plans de courgette rachitiques, étouffés par l’herbe haute, quand leurs semblables désherbés, sur la même planche, donnent déjà des fruits mûrs. La première parcelle du jardin, bichonnée par Cyril, sert de potager-témoin. Mais on a aussi pris en photo la parcelle non désherbée pour la newsletter, pour montrer ce qu’il ne faut pas faire, explique le maraîcher en paillant consciencieusement ses tomates. Un cabanon plein d’outils bien rangés invite à mettre la main à la pâte, et des inscriptions à la craie sur un tableau noir indiquent les actions prioritaires de la semaine. La clé de la gestion, c’est de faire participer les gens mais de limiter les initiatives individuelles, assure Cyril en pointant du doigt le couac de la semaine : quelqu’un a dépierré sa parcelle et laissé les cailloux au milieu de l’allée.

© Thomas Louapre

Le travail d’animation est complètement intégré au projet, et le maraîcher laisse un moment ses planches sous le crachin de cet été ingrat pour rejoindre Alexandra dans les bureaux de Terreauciel, à deux pas du jardin. La stagiaire multitâches, qui l’accompagne aussi sur les travaux au potager, est en charge des réseaux sociaux et de la newsletter hebdomadaire Les potins au jardin, dont l’édition de demain matin sera accompagnée d’une fiche technique sur le paillage. À part désherber et pailler, ils peuvent aussi remonter leurs concombres, lui souffle Cyril, assis à ses côtés devant l’écran. Et j’ai vu des carottes monter en graines, ils peuvent les ramasser. Je ferai des photos pour illustrer tout ça.

Cueillette du jour. Les abonnés sont invités à peser leurs récoltes pour estimer les gains de leur abonnement à 7 euros par semaine. © Thomas Louapre

Une équation à 37 inconnu·e·s

Au-dessus du jardin, le soleil est revenu, probablement sous l’impulsion de Claudia. Veste turquoise, grand sourire et joie communicative, la légumeuse assidue ramasse des poignées entières de haricots dans sa parcelle du jardin numéro 2 : J’en ai cueilli 4 kilos entre avant-hier et hier, et il en reste encore ! Habitante du quartier des Izards, Claudia vient ici à pied. Ce contact avec la nature, c’est bon ! Déjà, j’achète moins de légumes à côté. Et puis on nous donne des idées de recettes, les gens partagent les légumes ou les conseils, il y a toujours quelqu’un pour dire un mot bienveillant. Avec ma fille, on participe beaucoup à la vie du jardin, explique-t-elle en montrant sur son téléphone les photos du dernier atelier, consacré aux pestos. Lors d’une réunion dernièrement, on a décidé de créer un groupe WhatsApp par carré pour rester en contact.

Au-delà des kilos de légumes, le jardin semble assurer une fonction sociale de premier plan, dans une vie urbaine si propice à l’isolement. Tiphaine, qui termine demain son stage de six mois, a développé un espace de convivialité sur le site et recueilli les témoignages de presque chacun des 37 abonnés : Certains m’ont dit des trucs de fou, que ça les avait transformés ! assure-t-elle.

Le jardin est aussi un espace de respiration et de convivialité pour les « légumeurs », dont les deux tiers habitent en appartement. © Thomas Louapre

Mais le compte n’y est pas encore : pour enraciner durablement le projet, encore dépendant d’aides publiques à l’investissement, il faudrait davantage de place que les 3000 mètres carrés actuels. Ici c’est notre site de préfiguration pour tester l’offre commerciale, explique Laurent, selon qui il faudrait passer à 250 abonnés pour atteindre l’autonomie financière avec deux maraîchers à plein temps. L’endroit est déjà trouvé : dans un autre quartier du nord toulousain, Paléficat, où 3 hectares sont disponibles au cœur d’un projet immobilier porté par la communauté d’agglomération. L’opération devrait être réalisée d’ici deux ans et permettre aux Carrés de prendre leur envol et, pourquoi pas, de se multiplier.

4 commentaires

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  1. Bonjour
    Association EDA-Lille .. nous ne plantons pas mais dans notre magazine trimestriel Bouffée d’air en libre accès sur notre site http://www.eda-lille.org nous évoquons les expériences locales telle que la vôtre..
    Pourrai-je pour un futur numéro faire un court résumé de ce magnifique projet et bénéficier d’une photo ?
    Merci beaucoup pour votre réponse.

  2. quelle belle expérience!Un retour à une nourriture plus saine et surtout recréer du lien social. Bravo

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