Enfants, nous regardions Popeye descendre ses boîtes d’épinards une par une et défaire ses ennemis d’une pichenette… Mais s’il les avait mangés frais, c’est par simple télépathie qu’il aurait battu ses adversaires ! Récit d’une feuille pas si frêle.
DEFAUTS DE FABRIQUE | AVANTAGES AVANTAGEUX |
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Perd tellement son volume en cuisant… | Se mange cuit ou cru (les pousses) |
Très sensible aux excès de cuisson | Cuit tellement vite |
Hyper-sensible : ne se conserve pas | Facile et rapide à préparer |
Un peu âcre en vieillissant | Se prête à des cuissons inattendues (wok) |
Riche en… sable ! | Se suffit à lui-même ou sert à faire d’autres choses. |
Choix/Retour de courses
La feuille d’épinard doit vous ressembler : vive, fraîche, colorée et pleine d’entrain. Là-dessus, pas de marge. De retour du marché, consommez ce légume délicat en tout premier, les patates et les carottes attendront leur tour.
La santé, c’est le silence des organes
La principale richesse de l’épinard, c’est son absence de richesse ! Si vous ne le noyez pas sous la crème, évidemment. Mais il n’est pas que vacuité cependant : vitamine-C, bêta-carotène, fibres, lutéines vous gâteront sans faillir. Attention aux cuissons toutefois, point trop n’en faut…
Un peu de culture sur la culture
Non, l’épinard ne vient pas des États-Unis et n’a pas été inventé par Popeye, the sailor man. Ses origines sont bien plus exotiques, perdues quelque part entre Caucase, Perse et Asie Centrale… Dès le Xe siècle de notre ère, des médecins arabes et perses comme Avicenne le connaissent bien. Georges Gibault pense que ce sont les croisés qui l’ont introduit en Europe puisque son apparition coïncide avec les dates des premières croisades. À moins qu’il nous vienne des Maures, déjà installés en Espagne depuis plus longtemps, qui le citent et donnent même des indications sur sa culture.
En tous cas, l’épinard semblait être préféré aux autres feuilles comestibles (arroche, blettes) jugées fades et piètres légumes ! En 1393, le Ménagier de Paris cite l’espinoche, proche de la porée, mais ce nom savoureux s’est perdu. A partir du XVIe et XVIIe, les botanistes vont améliorer la plante en obtenant un épinard à nombreuses et grandes feuilles plus nourrissantes et moins acres. La culture se fait en sillon ou par poquet, on éclaircit les rangées pour laisser les plants s’épanouir. On distingue les épinards d’hiver (grosses feuilles charnues) de ceux d’été, plus légers à déguster crus.
Les conseils synoptiques et avisés
Cuissons | Découpes | Affinités | Coup de pouce |
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A l’eau | On coupe les grosses feuilles. On élimine les plus grosses nervures. | Les huiles, le piment, le beurre, la crème (pas trop), les beurres parfumés (ail, algues, épices). | La cuisson à l’eau bouillante salée ne dure que quelques secondes à peine. Egouttage indispensable. |
Sans rien | On peut découper les plus grosses feuilles, on garde la nervure centrale. | La noix de muscade, le macis, le pecorino, le poivre vert, la sauce au fromage (pas trop), les tomates confites. | On place les épinards dans une casserole, et on les cuit à couvert, peu de temps. |
Sautés | Indifférent | La pâte de curry, le basilic, les pignons de pin, l’origan, la sauce soja, les fruits secs. | On les fait sauter nature ou pas, à plein feu, en poêle ou wok avec un peu d’huile |
Cru | Utilisez les pousses entières | Les huiles de pistache, de sésame, d’olive, de courge, l’aneth, la ciboulette, les foies de volaille, les pétoncles, échalotes, … | En mélange avec l’assaisonnement, au dernier moment. |
!! Ô rage, Ô désespoir, Ô vieillesse ennemie !!
Jamais, le vieil épinard flagada, par souci d’économie ou inattention coupable, tu n’achèteras. C’est ainsi, l’épinard nous ressemble : son pire ennemi, c’est l’âge et le temps qui passe. Ici la consigne est simple : le plus frais, le meilleur.
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Photos et stylisme © E. Fénot / D. Brunet – 180°C
Les épinards crus sont fameux aussi en rouleau de printemps!
BravO… pour ces gOurmandises culinaires, visuelles et même littéraires, j’adOre !
Mais pourquoi n’ai-je pu trouver le nom de l’auteur de cette rubrique ?
Il s’agit de Stephan Lagorce, le plus érudit et comique des cuisiniers.