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Ave penicillium roqueforti

Le bleu d’Auvergne, précieux moisi

Sept fermes auvergnates confectionnent du bleu fermier sous label AOP. L’une d’entre elles, le GAEC du Cèdre bleu, à quelques kilomètres de Saint-Flour, cultive la moisissure bleutée en famille.

Les verticales bleues sur la pâte sont les stigmates des aiguilles, qui piquent le fromage pour le développement du penicillium.

C’est peut-être l’un des grands fromages français à l’aspect le plus étrange. Ses cavités de moisissures, son odeur âcre, sa texture humide et fragile lui confèrent un air bien austère, peu ragoûtant. Et pourtant, une fois au palais, sa crème fond comme du beurre, libérant ses arômes salés. Avec le cantal, le saint-nectaire, le salers et sa proche cousine la fourme d’Ambert (à la pâte plus ferme), le bleu d’Auvergne est l’un des cinq fromages protégés d’Auvergne. Loin de nourrir un quelconque complexe d’infériorité avec son prestigieux concurrent du sud, le roquefort (au lait de brebis), le bleu (de vache) règne depuis le XIXᵉ siècle sur le Puy-de-Dôme, le Cantal et une partie de la Haute-Loire.

Bleu d'Auvergne
« Présenté sur un plateau, le bleu aura moins de succès qu’un saint-nectaire par exemple. Les enfants notamment le trouveront un peu fort », pose Jean-Louis Galvaing, technicien au syndicat du bleu d’Auvergne. Ceux-ci ont plutôt l’air d’apprécier !

C’est une vocation précoce et constante qui a poussé Thomas Bonnafoux, le fils cadet, à devenir fromager et à entraîner père, mère et frère avec lui dans la mue de la ferme laitière. Je suis passionné depuis toujours, j’aime voir le lait transformé en fromage, raconte ce garçon à l’accent chantant et mince comme un roseau, diplômé en 2011 d’un BTS agro-alimentaire. Cela a commencé prudemment avec la fabrication de l’artisou de Margeride, un fromage ancestral et rustique qui tendait à disparaître. Puis les différentes pâtes persillées, dont le bleu est l’emblème, sont devenues leur spécialité. En 2014, le bleu des Bonnafoux a intégré l’appellation, dans laquelle la fabrication industrielle est légion. Une petite consécration.

Moisi à tricoter

Entre les deux traites quotidiennes (à 7 h et 18 h), plusieurs étapes ponctuent une journée de fabrication fromagère. Le bleu se distingue dès la première. Lors de la fermentation, des souches de penicillium roqueforti sont mélangées au lait : ces ferments vont permettre aux bactéries de se développer et, plus tard, de donner au fromage son moisi. Puis intervient l’emprésurage ou caillage, pour que le lait coagule. Devenu solide, le lait est coupé en petits grains, qui sont ensuite brassés : le jargon parle de « coiffage  » des grains, lorsqu’une fine pellicule se forme autour. Et c’est dans les interstices des grains collés entre eux que le bleu s’immiscera. Puis c’est le moulage classique, permettant au caillé de continuer à s’égoutter. Après quarante-huit heures, le fromage est salé sur sa surface.

Préparation de petits fromages de bleu. Jackie Bonnafoux ramasse les grains pour les faire tomber dans les moules.

Enfin, dernière étape, la plus caractéristique du bleu : le piquage. De longues aiguilles « à tricoter » sont enfoncées dans la meule. Le but : créer des cheminées d’air pour favoriser le développement du penicillium. On passe ensuite au temps long de l’affinage : au moins un mois. Au 35ᵉ jour, on goûte. Si ça nous convient, on le met au frigo jusqu’à deux mois, parfois même jusqu’à six mois, mais là c’est fort !, conclut Thomas Bonnafoux. C’est un fromage compliqué à fabriquer à cause de la moisissure, développe Jean-Louis Galvaing, technicien au syndicat interprofessionnel régional du bleu d’Auvergne (Sirba). Il faut être très pointu, à l’étape du coiffage, en particulier  : plus on coiffe tard, plus on aura un fromage humide.

Longtemps, il n’y a eu que deux producteurs. Aujourd’hui, on installe le huitième.

Cette production délicate explique pourquoi le label AOP n’a été décerné au premier fermier qu’en l’an 2000, alors qu’il existe depuis 1975 pour les laiteries industrielles. Aujourd’hui, elles sont sept exploitations dans l’AOP. Ça ne fait pas bézef, mais la tendance est à la hausse, relève Jean-Louis Galvaing, qui assure auprès des laitiers l’aide à l’installation, de l’aménagement des locaux à la procédure de fabrication. Longtemps, il n’y a eu que deux producteurs. Aujourd’hui, on installe le huitième. C’est un bon signe car c’est positif d’avoir une production fermière conséquente, ça améliore son image, se réjouit le professionnel.

Ceci n’est pas un instrument de torture, mais une machine à piquer les fourmes de bleu.

200 meules hebdomadaires

Chez les Bonnafoux, 200 000 litres de lait auront été versés à la laiterie en 2019, pour la fabrication de cantal AOP. La majorité de la production, 430 000 litres, est transformée à la ferme, en fromages persillés. Le bleu est aussi leur plus grosse production : à raison de 20 litres de lait par meule de 2 kilos, près de 200 sortent de la fromagerie chaque semaine. Ses produits se vendent essentiellement dans la région et en grossiste à Rungis. À l’échelle de l’appellation, 5200 tonnes sont produites chaque année, contre 12 à 13 000 tonnes pour le Cantal. Un petit marché donc, dont le quart tout de même part à l’étranger, dans près de 50 pays, Benelux et Espagne en tête.

Fort de cette transition réussie, le GAEC familial du Cèdre bleu et ses 85 vaches laitières se portent bien. La transformation, c’est payant. Et on a été moins impactés par la crise du lait. Du coup, on n’a jamais augmenté le prix du fromage. Par contre, on prend des risques. La dégringolade peut être rapide. Un collègue a eu une salmonelle, il en a eu pour près de 10 000 € de pertes, développe Thomas Bonnafoux.

Un fromage à l’affinage, fraîchement piqué. Le cahier des charges AOP exige 2 à 3 kg par meule, qui doit mesurer 8 à 10 cm de haut et 18 à 20 cm de diamètre. Les aspects extérieurs (croûte), intérieurs (bonne répartition des taches), la texture et le goût font l’objet de quatre notes pour rentrer dans l’AOP… et y rester.

La persévérance et le talent leur ont permis de décrocher plusieurs prix, dont la médaille d’argent 2019 du concours général agricole des produits laitiers. Une récompense d’autant plus gratifiante que les dégustations, par des spécialistes et des consommateurs, se font à l’aveugle. Le fromage s’est donc hissé, gustativement, au niveau des industriels. Des laiteries, corrige Jean-Louis Galvaing. Industriel, ça ne me convient pas. Il s’agace du manichéisme actuel qui tend à opposer les bons artisans aux mauvais industriels. Le bleu fabriqué en laiterie est aussi bon. Il ne faut pas stigmatiser. Et vous pouvez avoir du mauvais fermier, nuance-t-il.

Il reconnaît toutefois le risque de l’uniformisation par un potentiel assouplissement du cahier des charges parfois souhaité par les groupes. Lait pasteurisé, issu de différents troupeaux, temps d’affinage réduit au minimum… ces éléments ne sont pas sans conséquence sur le goût. Pas de quoi en faire tout un foin, mais peut-être un fromage ?

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