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La petite chèvre des Pascal.e.s

« Ah ! qu’elle était jolie la petite chèvre… » Avec ses yeux doux et sa barbiche de sous-officier, Mirabelle a huit ans, et ce n’est plus une demoiselle. Comme elle, dans cet élevage caprin de la vallée de la Drôme, les 44 autres chèvres de Marie-Pascale et Pascal vivent longtemps. Le bien-être animal doit primer sur la rentabilité, la qualité sur la quantité. À la clé, l’un des meilleurs picodons de la région.

Texte et photos de Julie Subiry

Marie-Pascale et son mari, Pascal (ils se sont trouvés ces deux-là !), se sont rencontrés sur les bancs du BTS agricole. Tous deux nourrissaient le projet de s’installer en élevage caprin. Elle, dans la lignée de ses parents, éleveurs de vaches laitières en Lorraine. Lui, avec en tête un idéal romantique, le besoin d’un retour à la nature et d’une vie moins consumériste. Il leur aura fallu cinq ans pour trouver la ferme de leur rêve, dans la Drôme, où ils s’installent en bio, comme pionniers. Il y a vingt ans déjà.

Chacun son truc ! Tandis que Marie-Pascale élève des chèvres, Pascal lui, élève des bactéries. Mais pas n’importe lesquelles : celles qui vont donner ce petit goût de noisette aux fromages… Si vous l’aimez crémeux, il faut favoriser le géotricon, mais si vous le préférez sec, ce sera le pénicillium… Dans la région, on s’accorde à dire que les picodons bleus sont les meilleurs : ni trop crémeux, ni trop secs, avec une belle couche de moisissure bleutée et veloutée…

C’est une vieille bâtisse, accrochée à la colline, avec 50 hectares de pâturages. S’installer dans la région leur a permis de bénéficier de l’appellation d’origine contrôlée picodon. Entre montagnes et Provence, ni trop rude l’hiver, ni trop chaud l’été, le climat sied au fromage et au moral. Enfin, ça c’était avant… Depuis quelques années, le pays connaît la sécheresse. Les réserves de foin sont épuisées dès le mois de juin. Il faut adapter les pratiques agricoles. Pour conserver l’autonomie fourragère, la taille du troupeau doit être réduite. Les éleveurs et agriculteurs sont parmi les premiers témoins du réchauffement climatique et tirent la sonnette d’alarme.

Après une trêve de cinq mois (le temps de la gestation), la traite reprend. Dans cet élevage extensif (versus intensif), elle n’a lieu qu’une fois par jour pour ne pas épuiser les chèvres. 8 h, Marie-Pascale appâte les gourmandes dans la salle de traite avec un peu d’orge. Plus tôt, elles ont pris un repas de fourrage. Ce tapis fibreux permet à la panse de bien fonctionner et accroît la digestibilité. Le lait part à l’atelier de transformation, dans un tank, où il est mélangé à l’ensemencement (petite quantité de lait caillé de la veille).

À l’atelier, Pascal commence par mouler le caillé (lait de la veille, emprésuré) puis le pose délicatement dans les faisselles à l’aide d’une louche, en prenant soin de ne pas le « casser ». C’est le secret d’une belle texture. Les fromages passeront vingt-quatre heures à l’égouttage, puis vingt-quatre autres heures sur une grille où ils seront régulièrement retournés et salés. Ils resteront ensuite deux jours et demi dans le séchoir, jusqu’à devenir fermes, avant de partir en cave d’affinage. À déguster au bout de douze jours.

Pour valoriser les pâturages, Marie-Pascale doit proposer chaque jour à ses chèvres une parcelle différente. Les gourmandes se jettent goulûment sur ces prairies de luzerne, trèfle blanc, plantain, mélilot, pissenlit, sainfoin… Un menu de rêve. Plus il y en a, meilleur est le lait !

Dans la famille caprine, je voudrais la mère… La chèvre peut avoir des petits dès sa première année. Elle en aura tous les ans, à raison de deux chevreaux par portée. La gestation dure cinq mois, de septembre à janvier. C’est elle qui fait les mises-bas ; avec l’expérience, elle reconnaît les signes annonciateurs. La future mère se met à l’écart, reste souvent couchée et boit beaucoup. Marie-Pascale reste dans les parages pour la rassurer.

Petite, Marie-Pascale était fascinée par la vie paysanne et savait déjà ce qu’elle ferait plus tard. Fidèle à son projet de vie, elle a toujours prodigué amour et soins à ses bêtes. Adepte de la médecine alternative, elle déplore l’interdiction de leur usage vétérinaire. Homéopathie et huiles essentielles permettent pourtant de prévenir les maladies et de s’adapter au cas par cas.

Puis je voudrais le père. Voici Kinaï, le préféré de ces dames ! Il est aussi le plus âgé des trois boucs. À la saison des amours, à la fin de l’été, ces messieurs s’en donnent à cœur joie pour assurer la survie de leur espèce. Tant, qu’ils en oublient parfois de manger !

Chaque année, naissent environ 90 chevreaux. Aussi craquants soient-ils, Marie-Pascale ne peut pas les garder. Seules deux ou trois femelles resteront à la ferme. Les autres sont destinées à l’abattoir. Ce n’est pas de gaîté de cœur que le couple les regarde partir. Militants pour le bien-être animal, ils se battent pour le retour des abattoirs mobiles qui génèrent moins de stress pour les animaux.

Être éleveur s’avère de moins en moins facile : en plus du peu de temps libre, de nouvelles problématiques apparaissent comme le réchauffement climatique ou la présence des loups dans la région. Mais si c’était à refaire, le couple recommencerait. Pour eux, l’élevage est un mode de vie dans lequel humains et bêtes trouvent leur équilibre, un échange équitable, où l’on donne autant que l’on reçoit.

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9 commentaires

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  1. Jové Marion et Dave c’est votre opinion, mais l’homme depuis la nuit des temps mange de la viande . Par contre un meilleur abattage serait le bienvenu et le retour des abattoirs mobiles comme en parlent ces éleveurs seraient moins stressant pour les bêtes. De plus il n’est pas recommandé de manger trop de viande .

  2. Super. Qu’elles sont belles. Moi aussi, j’élève quelques moutons et j’ai beaucoup de mal à vivre le moment ôù je dois vendre les agneaux… Ils ont eu un belle vie, fût-elle courte, ça console! Quand je vois ce que vous avez bâti et la philosophie qui s’en exprime, je pense à Martine et Guy, les parents de Marie-Pascale: « Bon sang ne saurait mentir ». Bravo !

  3. je ne comprends pas bien l’avant-dernier paragraphe : le couple ne garde que 2 ou 3 femelles sur les 90 chevreaux qui sont nés ? je dois mal comprendre.

  4. une belle histoire enrichissante et vivifiante !
    et qui correspond bien à des tempéraments en quête de perpétuer un procédé vieux comme le monde ; le moins, c’est l’abattage des bêtes, ce petit troupeau si jeune devra partir alors qu’il est si vite arrivé ! et n’en garder que quelques uns.
    merci pour votre retour.
    Autant faire une clôture pour les femelles et une pour le ou les mâles afin de ne pas s’acheminer vers un abattage forcé.

    1. hihi vous me faites (presque) rire …
      Pour avoir du lait il faut des naissances … donc l’idée de séparer les femelles et males pour « …ne pas s’acheminer vers un abattage forcé » est malheureusement contraire à l’objectif de cette ferme qui a besoin de lait

  5. Ce serait mieux de ne pas manger de fromage… et ne pas en faire sa source de revenus… aimer et respecter les animaux ce n’est pas les faire naître pour les envoyer à l’abattoir. Désolée mais ce genre de personnes ne suscitent pas mon admiration, et le romantisme n’a pas sa place ici.

  6. Cette ferme ne doit pas être loin de chez moi…Je peux avoir le village où ils sont installés? Merci pour cet article

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