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Capital agricole

L’agriculture urbaine en Île-de-France : retour vers le futur

Depuis quelques années, l’agriculture urbaine semble créer de nouvelles façons de cultiver la capitale. Et si elle ne faisait que prolonger le travail entamé par les cultivateurs spécialistes qui, de 1870 à 1930, ont développé l’agriculture la plus savante de l’Histoire ? Réponses au Pavillon de l’Arsenal à Paris où se tient la formidable exposition Capital agricole.

Il est des phrases qui marquent le cours de l’Histoire. D’autres celui de la géographie. En 1960, lorsque Charles de Gaulle hurle à l’oreille de son commis Delouvrier cette banlieue parisienne, on ne sait pas ce que c’est ! Mettez-moi de l’ordre dans ce bordel !, la biodiversité toute entière se met à trembler.

Le bordel territorial selon de Gaulle. ©Yann Kebbi

La sentence tombe alors que le général survole l’Île-de-France en hélicoptère. Sous ses pieds défilent les jardins maraîchers de Bobigny, les murs à espaliers de Montreuil, les porcheries d’Ivry. Ici des grandes cultures de plaine, là-bas des microchamps. Partout des parcelles agricoles de formes et de tailles différentes, des hangars, des réservoirs d’eau, des appentis, des fermes, des maisons, des chemins, des forêts… Une incroyable mosaïque où les différentes fonctions du territoire s’enchevêtrent pour mieux se répondre.

Mais ce paysage dessiné par soixante années de cultures ultra-spécialisées n’est pas du goût du général qui invite le futur père des villes nouvelles, Paul Delouvrier, à ranger dans des cases distinctes et étanches ce qui jusqu’à lors ne l’était pas : le bâti d’un côté, l’agriculture de l’autre, entre les deux la nature. Fin de la balade en hélico, début de la planification territoriale.

Habiter et cultiver sont pourtant issus d’un même verbe latin : colere, rappelle Augustin Rosenstiehl, architecte et commissaire de l’exposition Capital agricole. Pendant la toute première moitié du XXe siècle, les agriculteurs franciliens composent d’ailleurs avec cette étymologie double-face.

Les fils d’ouvriers ou de paysans immigrés s’installent au-delà d’un périphérique qui n’existe pas encore et se mettent à cultiver sur des parcelles de mauvaise qualité des légumes, des champignons, des fleurs et des fruits. Les sols sont enrichis en fumier et paillés (Paris compte alors 80 000 chevaux), des cloches et des châssis de verre hâtent les cultures, l’irrigation est maîtrisée…

Permaculture avant l’heure

Tout cet ingénieux dispositif permet de produire jusqu’à six récoltes dans l’année et de s’affranchir partiellement des conditions naturelles. Grâce à leur technicité, ces petits cultivateurs peuvent donner à leur exploitation l’importance économique d’une ferme de culture normale, explique Augustin.

Ainsi, à Rueil, l’activité arboricole intensive emploie jusqu’à dix fois plus de personnes que la filière classique. La culture parisienne de champignons est si prolifique qu’on les exporte jusqu’en Russie et aux États-Unis. L’élevage de porcs par les chiffonniers est pratiqué surtout dans la banlieue sud, on compte environ 500 laitiers dans Paris et 300 000 agneaux gras dont les Parisiens raffolent…

En à peine trois générations, l’épisode de la reconstruction moderne a non seulement amputé le monde agricole de sa fonction régulatrice du milieu vivant, mais encore de son urbanité.

On aurait peut-être pu continuer dans cette voie, produire à proximité de ceux qu’il faut nourrir, expérimenter, diversifier, recycler… Mais il y a eu l’épisode de l’hélicoptère, puis celui de la France des propriétaires souhaitée par Valéry Giscard d’Estaing invitant chaque Français à accéder à un pavillon avec son petit jardinet.

Enfin, le coup fatal est donné par la Politique agricole commune. En 1962, celle-ci entreprend de faire de l’Europe le premier exportateur agricole. Rapidement, les terres franciliennes sont réquisitionnées pour des cultures céréalières d’export. On abat les haies, on agrandit encore et toujours les exploitations, on monocultive. En à peine trois générations, l’épisode de la reconstruction moderne a non seulement amputé le monde agricole de sa fonction régulatrice du milieu vivant, mais encore de son urbanité, constate Augustin.

Ferme urbaine de Saint-Denis ©Sylvain Gouraud

La suite vous la connaissez : les villes délaissent leurs terres agricoles et s’approvisionnent toujours plus loin, l’agriculture se détourne de la cité et se spécialise pour répondre aux logiques du marché mondial. Bilan des courses, avec un territoire agricole à 46,9 %, l’Île-de-France ne dispose aujourd’hui que de quelques jours d’autonomie alimentaire. La production francilienne ne couvre en effet que moins de 10 % des besoins locaux en fruits et légumes, alors qu’en 1900, 80 % de ce qui est vendu aux Halles provient du territoire de l’actuelle métropole.

En Île-de-France, la population active agricole est passée d’un demi-million en 1900 à 88 000 en 1954 pour atteindre 11 338 individus selon le dernier recensement agricole de 2010.

Réconcilier les territoires

Dans ce monde en évolution, l’opposition entre villes et campagnes n’apparaît plus appropriée tant elle induit de déséquilibre entre les territoires, écrit Anne Hidalgo en introduction de l’exposition. Il nous faut décloisonner les espaces, rendre les frontières plus poreuses, accroître les échanges entre urbains et ruraux. 

Ainsi, depuis 2017, Paris s’engage sur le terrain de l’agriculture urbaine en végétalisant tous azimuts, en réservant 30 hectares de nouveaux espaces aux Parisculteurs. À l’instar des cultivateurs spécialistes du XIXe siècle, ces nouveaux agriculteurs écopent de terrains a priori peu cultivables : toits, murs, sous-sols, pieds d’immeuble. Libres, créatifs et ingénieux, ils réussissent pourtant à en faire des espaces productifs.

Sur les toits d’un hangar de la RATP, la société Aéromate fait pousser plus de 4000 plantes aromatiques en culture hydroponique. Porte de la Chapelle, Cycloponics cultive des champignons au troisième sous-sol d’un parking souterrain. Sur les murs de l’Opéra Bastille, des pieds de houblon grimpent vers le ciel pour approvisionner les nombreuses microbrasseries de la capitale. À Saint-Denis, les champs coincés entre les barres d’immeuble jouent la carte de la vente directe. L’implantation urbaine de notre ferme permet de réapprendre à se nourrir, explique Franck Ponthier de la ferme urbaine de Saint-Denis. Nous aimerions que les familles descendent des tours, qu’elles nous rejoignent avec leurs cultures, leurs recettes et que tout le monde vienne cuisiner.

Clinamen, bergers urbains. ©Sylvain Gouraud

Vers un urbanisme agricole

Déterrer le lien entre l’habité et le cultivé, voilà l’une des clés de l’exposition Capital agricole qui propose une nouvelle donne territoriale où le zonage d’hier laisserait place à la mixité des usages d’aujourd’hui. Ainsi, les parcs et jardins publics pourraient être cultivés de blé ou de chanvre, des élevages pourraient s’installer en forêt. On pourrait réhabiliter le verger dans les espaces pavillonnaires, cultiver sous serre sur les toits des grands ensembles, faire brouter les moutons le long des autoroutes, réhabiliter les anciennes fermes en équipements divers, inventer des fermes collectives pour les nouveaux cultivateurs, récupérer l’énergie fatale de la ville pour produire sous serre…

Mis bout à bout, les multiples espaces disponibles au sein des zones urbaines, une fois cultivés dans le contexte d’une émulation cosmopolite, permettront, comme en 1900, une production à l’hectare bien supérieure à celle des cultures classiques actuelles, conclut le commissaire de l’exposition. L’espace existant est suffisant pour répondre à la demande alimentaire de la capitale ! Et si, en réalité, l’aménagement durable se nichait dans un magnifique bordel ?

Pour approfondir

Références

L’ouvrage Capital agricole – Chantiers pour une ville cultivée déterre les liens qualitatifs entre production agricole et production urbaine, entre le cultivé et l’habité. Architectes, urbanistes, agriculteurs, écologues, ingénieurs, entrepreneurs, historiens, géographes, sociologues…, réunis autour de l’agence d’architecture SOA, reviennent sur l’exceptionnel patrimoine agricole disparu au cours du XXe siècle, ainsi que sur les mutations sociales, économiques et territoriales qui ont profondément bouleversé l’organisation des rapports ville-nature-agriculture.

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