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Deuxième épisode

L’agriculture face aux virus : le cas des animaux

Les virus ne se résument pas à la maladie. Au contraire : nous leur devons la santé, et même bien plus que ça… Alors d’où viennent-ils, et où courent-ils ? Après les végétaux, lumière sur le cas des animaux.

Mes parents faisaient du mouton, des bovins, des volailles. Ils ont tout connu. La fièvre aphteuse, la vache folle, la grippe aviaire… Faut s’y faire. Charles est lui-même éleveur, à la Ferme du Vieux Poirier, en Alsace. Ses cochons grandissent en plein air. Pourtant, la maladie rôde… La peste porcine a déjà gagné la plupart des pays d’Europe ainsi que la Chine. C’est l’autre pandémie du moment, en place depuis plusieurs décennies. Elle pourrait, à terme, contaminer un quart du cheptel mondial — et quand un animal est contaminé, c’est la mort assurée. Du jour au lendemain, les éleveurs risquent de tout perdre. Charles y pense parfois, mais avec les années, il s’est endurci. Tous les cinq ou six ans, y’a une nouvelle misère qui surgit : la maladie, c’est le quotidien des éleveurs.

L’agriculture : à la fois victime et complice.

Animaux concentrés dans des espaces clos, perte de diversité génétique, promiscuité d’espèces différentes (par exemple dans les basses-cours). Depuis le néolithique, les élevages favorisent la naissance et la propagation des virusL’avènement de l’agriculture intensive n’a fait qu’aggraver les choses : les animaux sont plus serrés, plus stressés et plus vulnérables. Mais surtout, ils sont globalement plus nombreux pour répondre à la demande de viande qui augmente un peu partout.

Aujourd’hui, la planète est dominée par les animaux d’élevage (il existe cinq fois plus de porcs qu’en 1960). Et pour les virus, c’est une opportunité ! Les animaux domestiques partagent avec nous une communauté de pathogènes, mais aussi des systèmes immunitaires comparables. C’est pourquoi les animaux d’élevages peuvent servirent de ponts entre les virus et nous. Par exemple, à l’état naturel, le virus de la grippe aviaire (H5N1) n’est pas efficace, car trop virulent : les oiseaux contaminés mourraient avant de pouvoir en contaminer d’autres. Mais avec l’agriculture de masse, les conditions étaient remplies pour transformer ce piètre candidat en menace planétaire. 

L’agriculture n’est cependant pas la seule responsable. D’autres facteurs, liés à la « modernité », facilitent la vie des virus, notamment la destruction d’écosystèmes qui perturbe la faune et la flore, poussant des espèces normalement séparées à se fréquenter plus que de raison. C’est l’un des facteurs expliquant l’épidémie de coronavirus. Ajoutons l’augmentation des échanges internationaux et le dérèglement climatique, et nous obtenons la parfaite nitroglycérine pour les siècles à venir. C’est un fait que les épidémies sont de plus en plus nombreuses, et de plus en plus étendues. Alors attachez vos ceintures.

Vétos contre virus : trois-cents ans d’échecs.

Le mot virus existait bien avant la découverte effective de la microbiologie. Au départ, on utilisait le mot dans son sens latin signifiant poison. Sans contenu précis, le mot virus désignait tout type de maux touchant les bêtes et les humains. On imaginait, pendant le Moyen Âge, que les virus étaient causés par le climat, par un air malsain, une alimentation pauvre, une mauvaise terre… La notion de contagion devint rapidement une évidence pour tout le monde, sauf, bizarrement, pour les médecins. Ils préférèrent, au contagionisme, des thèses comme le spontanéisme (les maladies apparaissent spontanément chez l’individu), l’humorisme (les maladies sont causées par un déséquilibre des humeurs), ou le solidisme (les maladies sont causées par des lésions dans l’organisme). 

C’est la peste bovine qui, pendant longtemps, fut la plus redoutée. Des papyrus vieux de trois mille ans décrivaient déjà ses ravages — preuve que les virus n’ont pas attendu l’agriculture de masse pour fondre sur le bétail… Par la suite, cette maladie ponctua tout le Moyen Âge. On l’appelait alors typhus contagieux des bêtes à cornes. En 1712, elle tue 90 % du cheptel européen, et cet événement pousse Louis XV à fonder les premières écoles vétérinaires. Vers la fin du XIXᵉ, le drame se reproduit dans toute l’Afrique et provoque de nouvelles famines.

Il faudra attendre Louis Pasteur, fin XIXᵉ, pour que la notion de virus soit clairement définie, et le mécanisme de la contagion finalement accepté par tous les scientifiques. Grâce à des campagnes de vaccination massive, notamment conduites par l’ONU, la peste bovine sera finalement éradiquée en 2010. C’est seulement la deuxième fois que l’humain réussit à faire disparaître une maladie. L’autre exemple, c’est la variole, dans les années 1980.

Pour le bétail, quels sont les virus à la mode ?

Du XVIIIᵉ et XIXᵉ siècle, l’Europe fut également touchée par la fièvre aphteuse des ruminants et des porcs, les péripneumonies des bovins, la variole ovine, le charbon de la langue… Aucune région, aucune espèce n’étaient épargnées. Aujourd’hui, si la grippe aviaire fait encore les gros titres, d’autres secteurs sont plus durement touchés encore. C’est le cas, par exemple, des ostréiculteurs, qui subissent de plein fouet… l’herpès des huîtres ! Un nom qui pourrait faire sourire, si 60 % à 80 % des naissains n’étaient pas décimés chaque année. Les professionnels peinent à trouver des solutions, au point de soulever la question : mangerons nous encore des huîtres dans cinq ans ? 

D’autres cas sont encore plus inquiétants. La presse ne s’intéresse pas beaucoup au virus Nipah, que l’on a vu surgir ponctuellement en Extrême-Orient depuis trente ans, notamment en 1998 et en 2018. Et pourtant… Transmissible à l’humain, mortel dans 50 % des cas, ce virus dont les symptômes sont comparables à Ebola est l’un des plus dangereux répertoriés par l’OMS. Nous avons peut-être échappé au pire. Mais pour combien de temps encore ? On peut imaginer qu’une personne infectée prenne un avion et développe la maladie en Europe, explique Arnaud Fontanet de l’Institut Pasteur. Si un tel diagnostic était posé, on prendrait immédiatement les mesures de protection nécessaires. La maladie ne s’étendrait pas. Ses propos datent de 2018. Depuis, le moins qu’on puisse dire, c’est que le sentiment d’invulnérabilité des Européens s’est légèrement fendillé… 

Et l’éleveur, dans tout ça, qu’est ce qu’il en pense ?

Nous avons parlé de l’Extrême-Orient, de Louis XV et de la mondialisation. Mais dans une petite ferme bio d’Alsace, comment un agriculteur perçoit-il les choses dans son travail quotidien ? Pour Charles, le problème est avant tout d’ordre financier : Il y a trois ans, avec la grippe aviaire, on a dû arrêter les volailles. La mise aux normes n’était pas rentable. Comme on fait du bio, les animaux ont un accès au plein air. Ce sont des risques supplémentaires. On est désavantagés.

Mais à quoi ressemblent ces normes, de plus en plus strictes ? Il faut savoir que les obligations de moyens sont interprétables, et peu nombreuses. L’obligation qui prime, c’est l’obligation de résultat. Ce qui n’est pas fait pour apaiser les professionnels. En gros, si tu contamines des consommateurs, ou d’autres élevages, on te tiendra responsable. Et c’est pas tout ! Si les vétérinaires se méfient, ils peuvent t’imposer des analyses intempestives… Parfois tous les quinze jours. C’est environ 50 euros pour chaque analyse, et c’est l’agriculteur qui paye !

Avec la peste porcine, les nouvelles normes imposent une triple clôture d’au moins 1,10 mètre. Toute la famille de Charles s’y est mise pour terminer les travaux au 1er janvier. Par sécurité, Charles a même ajouté une clôture électrique. Pour autant, il n’est pas entièrement rassuré : Le virus se transmet par le gibier. Si un sanglier force ma clôture, s’il trouve une faille, je suis en faute. Si j’ai le moindre animal qui tombe malade, c’est tout le cheptel qu’on abat. Parfois les assurances remboursent, mais avec deux ou trois ans de retard… De toute façon, moi, j’ai pas d’assurance. C’est trop cher pour un petit élevage comme le nôtre.

Pire, Charles nous raconte l’histoire d’un ami luxembourgeois dont le troupeau fut euthanasié… par précaution. Il est en zone rouge. Il y a des sangliers malades dans sa région. Mais ses porcs étaient sains ! Il est parti en retraite par la force des choses… La petite bête ne mange jamais la grosse. Charles n’oublie pas cet adage. Je n’ai pas peur des virus. J’ai plus peur de l’administration.

 

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Merci <3 <3 à Lygie Harmand pour ses illustrations.

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  1. Pour éclairer votre lanterne à propos des virus, je vous conseille de regarder ces videos de la série « l’Info en questions », qui sont éditées chaque jeudi depuis 2 semaines, et de vous inspirer de leurs intervenants et de leurs travaux respectifs:
    Jeudi 11 juin: https://youtu.be/NTF1c0M32Hg
    Jeudi 18 juin: https://youtu.be/8ePFR76g5m8
    .. et ce soir la suite !!
    Cordialement,

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