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Terres en vue

Entre Léman et montagne, le retour des maraîchers ?

L’association L’agastache s’est fixé pour objectif de redonner vie au verger communal de Neuvecelle, en Haute-Savoie, et d’impulser la réinstallation de maraîchers dans ce secteur pauvre en production légumière. Objectif en toile de fond : redonner aux locaux le goût d’une nature nourricière.

Catherine Charpin, présidente de l'association haut-savoyarde l'Agastache, dans les jardins pédagogiques des Incroyables comestibles. © Géraud Bosman-Delzons

C’est une carte postale. Je suis en pleine méditation ! Assise sur un muret en pierre, Catherine Charpin contemple l’étendue bleue et légèrement voilée qui s’allonge à 180 degrés devant elle. Le lac Léman est à un jet de pierre. Une pierre qui, pour l’atteindre, roulerait d’abord sur de vertes pentes où bêlent quelques moutons noir et blanc : c’est l’ancien verger communal, classé zone naturelle, que l’association L’agastache, née en novembre dernier, vise à réhabiliter. Elle souhaite en faire un lieu citoyen d’éducation à l’alimentation et à l’environnement. Et pour l’instant, tout reste à faire, insiste sa présidente, avec les yeux pétillants de la passionnée qui voit loin.

Il n’y a encore pas si longtemps, Neuvecelle, bourgade limitrophe d’Évian-les-Bains (Haute-Savoie), était constituée d’un ensemble de hameaux, avec ses fermes, ses bistrots et ses nombreux vergers. L’église est là-bas, reprend Catherine en tendant le bras vers le clocher en contrebas, et la mairie est à l’opposé, poursuit-elle en se retournant vers les contreforts montagneux. Ce parc Clair-Matin où nous nous trouvons, entre les deux, est donc le cœur du village. C’est, en temps normal, un lieu de rendez-vous, d’évènements, de lien social.

Les pentes grasses du verger communal de Neuvecelle. © Géraud Bosman-Delzons

Là où nous ne voyons qu’un pré et un vieil arbre effeuillé, Catherine Charpin projette le futur espace permacole. Pour le rejoindre, le cheminement sera mellifère et sécurisé depuis l’école, située juste derrière, à côté de la médiathèque (qui abrite la grainothèque que Catherine, encore elle, a mise sur pied il y a un an). Vu du ciel, le verger aura la forme d’une feuille de chêne et sera divisé en sept zones bien spécifiques, adaptées tant au relief escarpé du terrain qu’au climat venteux bien particulier.

La première zone sera consacrée au Jardin des simples, comme on appelait les plantes médicinales au Moyen Âge. Ce sera la première zone opérationnelle, dès 2021 ; la deuxième sera une terrasse fruitière avec une vigne sur palissade ; la troisième accueillera la ruche et l’arbre à contes ; la quatrième, la zone des oiseaux ; la cinquième, une oasis avec des plantes du Sud – pistachier, amandier, olivier (on demande quand même à voir !). Quant aux six et septième, elles seront réservées à quelques centaines d’arbres : un verger de montagne et un autre conservatoire pour les espèces anciennes. Le tout à un horizon progressif de cinq ans. Oui, c’est un projet ambitieux, sourit Catherine. Les gens sont enthousiastes et aimeraient le voir déjà sorti de terre. Mais la nature a besoin de temps. On a raté le coche des premières plantations par exemple, regrette-t-elle à demi-voix.

Le dossier est actuellement entre les mains de la mairie. Le financement existe. Il y a par exemple 190 000 euros de budget alloués aux vergers municipaux par la communauté de communes. L’association se conçoit comme « une tête de réseau » pour faciliter la mise en relation entre les différents acteurs (et notamment le vivier associatif local). Dans la pratique, cela signifie qu’elle ne s’occupera que de la partie animation avec des bénévoles (Jardin des simples, etc.) et aura donc peu de charges, couvertes notamment par les adhésions libres. L’entretien technique sera l’affaire de la commune.

L'équipe fondatrice de l'Agastache : Marion, Gaël, Catherine, Hugo, Chloé, Marie-Camille et Louise. L'association vise les 200 adhérents d'ici quatre ans. © Agastache

Quelle mouche a donc piqué Catherine et ses six acolytes pour se lancer dans une telle aventure ? Les parcours professionnels de chacun, très complémentaires, permettent d’emblée d’écarter le classique procès en idéalisme gentillet : documentaliste, Catherine a longtemps travaillé au sein de Médecins sans frontières. Monter des dossiers, aller chercher l’information, dénicher des pistes de financements publics ou privés, présenter des projets (comme au conseil municipal) lui font écho. L’équipe compte aussi deux économistes de formation, pratique pour une comptabilité d’équerre ; une graphiste – une communication en aquarelle, c’est stylé ; une travailleuse sociale, qui avait déjà créé et animé le jardin participatif des Incroyables comestibles ; un ancien cuisinier, au top pour les ateliers cueillette et dégustation…

La mouche donc, c’est d’abord une convergence de points de vue sur la question écologique : celle d’un besoin d’action au-delà des discours. Il est urgent d’agir, à notre échelle bien sûr. Il faut sortir de ce réflexe attentiste vis-à-vis des pouvoirs publics, estime Catherine Charpin.

C’est ensuite deux constats, beaucoup plus prosaïques. Le premier est d’ordre alimentaire. Pendant le premier confinement, on s’est aperçus qu’il n’y avait ni maraîcher ni marché sur Neuvecelle. Et pour cause : selon une étude*, le Chablais est autonome à 200 % en produits laitiers, grâce aux nombreux alpages et à leurs productions de fromages d’excellence, mais à 7 % seulement en fruits et légumes ! Un déséquilibre qui s’explique, selon Catherine Charpin, par le coût de la vie sur les rives du Léman et la diminution des terres agricoles, déjà peu nombreuses dans un Chablais coincé entre l’eau, la roche et… le béton armé.

Oyez oyez, propriétaires !

En effet – et c’est le deuxième constat, imbriqué dans le premier – la pression foncière est monstrueuse dans le bassin lémanique, témoigne Catherine. Principale cause : la Suisse voisine, avec ses salaires mirifiques, aspire comme une véritable ventouse des milliers de frontaliers. Ces dernières décennies, le prix de l’immobilier et du terrain constructible s’est envolé. Les propriétaires de parcelles déclassées (redevenues agricoles après un Plan local d’urbanisme) ne veulent pas vendre, conscients d’être assis sur une mine d’or monnayable le jour où une révision du PLU venait la rendre de nouveau constructible. En attendant, elles ne servent à rien.

Difficile pour un exploitant de s’installer dans un tel contexte. Sur les deux Savoies, on compte seulement 200 producteurs en maraîchage pour 500 hectares (20 % certifiés bio). Il y a une forte dynamique d’installation en maraîchage, dans le sens où il y a des candidats, mais le frein est la rareté du foncier, explique-t-on à la Chambre d’agriculture. La surface totale des terres reste bien sous l’emprise immobilière et les terres agricoles ont été globalement menacées et suffisamment artificialisées dans les décennies précédentes pour aboutir à une situation de crise et de dépendance aux importations en fruits et légumes. Les volumes de production sont bien loin de satisfaire les besoins de la consommation locale.

Nous voulons montrer que c’est possible de développer une activité locale. Le PLU est en ligne, on voit qu’il y a des parcelles, du potentiel. Maintenant, on espère que cela va générer des envies, reprend Catherine Charpin. Pour cela, elle veut croire en une méthode originale : faire appel aux propriétaires des fameuses micro-parcelles déclassées. Elle insiste sur une forme peu connue et alternative à la vente ou au bail : le prêt à usage (ou commodat). Un propriétaire prête son lopin de terre pour une durée déterminée et établie par écrit, pas nécessairement devant notaire. En retour, l’emprunteur s’engage à entretenir le bien et à le rendre en état. C’est quelque chose d’à la fois très simple, souple et juridiquement bien cadré. Cela se prête parfaitement à des projets de maraîchage à moyen ou long terme, car cette activité ne nécessite pas la construction d’infrastructures lourdes. À terme, l’association espère attirer plusieurs dizaines de maraîchers et apiculteurs.

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* Étude du SIAC réalisée pour la Semaine de l’alimentation durable de 2020, à partir de chiffres de l’Agreste datant de 2010. Ils sont assez datés mais donnent idée du déséquilibre qui n’a, en toute logique, pas été compensé depuis.
La grainothèque de sortie en septembre 2020. © Agastache

Et comme la meilleure manière de faire des émules reste de montrer soi-même l’exemple, Catherine Charpin et Jean son compagnon s’y emploient déjà. Sur leur terrain de 6 000 m², ils accueillent depuis peu Hugo et Chloé, un jeune couple de maraîchers. Leur micro-ferme permacole, joliment baptisée les Jardins de Solune, sera bientôt terrassée et a vocation à devenir le pilote des projets d’Agastache. En 2022, ces cultures pourraient remplir jusqu’à 30 paniers. On ne va pas nourrir Neuvecelle avec ça, et ce n’est pas l’objectif !, prévient Catherine, engagée plutôt dans l’éducation à l’alimentation et à l’environnement, deuxième poumon du projet de L’agastache.

Le cœur du projet : attirer le public, développer le circuit court et la transformation, montrer le savoir-faire par le biais d’ateliers collaboratifs. Ces derniers sont déjà en place, greffe d’arbres fruitiers, cueillette et dégustation de « mauvaises herbes ». C’est aussi au cours de l’un d’entre eux, animé par un expert en agroforesterie, que les Jardins de Solune ont été dessinés avec les habitants.

2 commentaires

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  1. Bravo ! C’est vraiment ce que j’espérais, et à 100 mètres de chez moi ! Nature, travail commun, partage de savoir et d’idées, … je pense vous rejoindre bientôt. Merci.

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