Émile Coddens, 24 ans, chargé des vinifications dans un domaine près d’Amboise, vulgarise l’univers du vin sur le réseau social Tik-Tok auprès des plus jeunes qui le suivent par centaines de milliers. Dans son verre, du vin bien sûr, mais surtout des discussions à son sujet entre copains.
Pourquoi aimez-vous le vin ?
Parce que pour moi il est synonyme de partage, on le boit souvent avec des gens qu’on aime. Tout le monde doit répondre la même chose, non ? J’aime aussi faire du vin parce que c’est le résultat d’une année. En comparaison de la bière qu’on peut fabriquer à peu près quand on veut, là, on doit retranscrire ce que la nature nous a donné pendant un an dans un millésime unique.
Pourquoi avoir choisi de devenir vigneron ?
Un peu par hasard. J’ai grandi dans le Loiret où il n’y avait vraiment pas de vignes. Le bac général, ce n’était pas pour moi. Mais je ne savais pas où me diriger. Et puis mon grand-père que j’aimais plus que tout m’a légué sa cave à sa mort, une vraie, creusée dans la roche, avec toutes ses bonnes bouteilles. Je me suis demandé ce que j’allais faire de ça. Et puis je me suis souvenu de lui, issu d’une famille vigneronne, qui débouchait du vin à table pour tout le monde. Je me suis lancé dans un bac pro viticulture dont je suis sorti en 2016.
C’est à ce moment que le déclic s’est fait ?
Au départ, j’ai cru que ce n’était pas pour moi et que j’avais fait le mauvais choix. Je n’y connaissais rien, je n’étais pas dans mon élément. Ma classe comptait majoritairement des fils de vignerons. Moi, je n’avais jamais vu un pied de vigne. Progressivement les étapes les plus dures, comme le cours sur la fermentation qui me largue ou la vigne à bêcher sous 30 °C, se sont faites plus rares, je comprenais de plus en plus. Mais c’est pendant mes stages à Chablis, près de Pommard et en République Tchèque que j’ai vraiment chopé le virus du vin parce que j’ai découvert toute la convivialité qu’il y avait autour de ce produit.
Comment parlez-vous de vin avec ceux et celles qui vous entourent ?
Parmi ma clientèle (Émile est second de chai, NDLR), certains considèrent ne pas s’y connaître et se sentent bêtes. J’essaye de casser ça en en parlant simplement sans les prendre pour des idiots non plus. L’idée de mon compte Tik-Tok, c’est de rendre accessible le vin (où il diffuse de nombreuses courtes vidéos de vulgarisation, NDLR). Si on le met sur un piédestal, personne ne le comprend et personne ne veut en boire.
Quel(s) type(s) de vin préférez-vous boire justement ?
Les vins de Loire. Le chenin est mon cépage préféré pour la variété de vins qu’il peut donner : du sec, demi-sec, effervescent. Il reste frais et acidulé, vieillit bien et retranscrit à merveille le sol sur lequel il pousse. Sur du silex, on en retrouve l’arôme dans le verre tandis que l’argile le rend un peu fade, par exemple. J’aime aussi les vins corses que j’ai découverts en voyage scolaire durant mon BTS. Désormais, dès que je mets le nez dans un verre, je m’y retrouve, nous, en haut de la montagne en regardant la mer, avec la chaleur ambiante. C’est ça le vin, souvent rien de plus que des souvenirs qui remontent.
Quand et avec qui buvez-vous le plus souvent ?
Avec mes meilleurs amis qui sont sommelier, second de chai et vigneron. Surtout, plus que de le boire, on ne parle que de lui en permanence. Ce qui doit bien casser les oreilles de ceux autour de nous qui ne sont pas du milieu !
Comment a évolué votre goût au fil des années ?
Avant de faire du vin, j’aimais beaucoup les blancs secs. Mais désormais, je me rends compte du travail que représente la fabrication du vin rouge et cela le rend précieux à mes yeux. On peut faire macérer la peau des raisins, à froid, à chaud, une semaine ou un mois, ce qui change le profil du vin. Et puis selon si on a voulu que le sol, le fruit ou le côté tannique prenne le dessus, la dégustation ne sera pas la même non plus. Quand je goûte un vin rouge, j’essaye de décortiquer par quelles étapes est passé le vigneron.
Un(e) vigneronn(e) qui vous a marqué ?
Une balade dans le Médoc, chez Château Dompierre, où sont vinifiés des jus fruités et gourmands en dehors des codes à la bordelaise. J’ai adoré le fils et son père, des personnages ! Il ne s’agit pas que de vin : l’importance de la dégustation tient aussi aux personnes que tu rencontres ce jour-là, à la météo, etc… J’ai un très bon souvenir avec eux.
Qu’est- ce qui vous agace le plus quand il s’agit de vin ?
T’façon, j’y connais rien ! Pas besoin de s’y connaître pour aimer ou pas. Je laisse toujours mes clients goûter et faire appel à leurs propres tiroirs de saveurs. Et si on n’y arrive pas, ce n’est pas grave. Mais je n’oriente pas ou en tout cas jamais sans laisser la place à leur imaginaire : peut-être que je sens la framboise mais qu’eux non. Chacun sa perception des choses.
La réaction la plus inattendue qui vous a traversé en buvant du vin ?
C’était un blanc de la Taille aux Loups, Clos de Mosny 2018, que j’avais amené sur la table familiale. Là, vraiment, c’était dingue. Pourtant je connaissais bien cette cuvée, mais là je la redécouvrais avec délice. Comme quoi selon le jour, le temps, les personnes présentes…
La dernière bouteille bue ?
Chablis premier cru Fourchaume 2020 du Domaine Vocoret. Le vin de mon voisin de stand à un salon parisien que j’ai fait découvrir à mes potes.
Qu’est-ce que vous aimez boire en dehors du vin ?
Je me prends de passion pour le gin parce que j’ai récemment compris la manière dont il était fait, via une collaboration avec la distillerie de Paris. Je le réduisais au gin tonic, mais depuis que je sais qu’il évolue en fonction des ingrédients utilisés, qu’il peut être épicé, agrumé, pimenté, je ne le goûte plus de la même manière. On s’attache souvent au produit final, mais comprendre la fabrication ouvre une autre dimension. Pour le vin, c’est pareil, je n’ai pas envie que les gens s’arrêtent à l’étiquette. C’est pour ça que je montre l’envers du décor. Il ne faut pas avoir peur de découvrir le vin. Les portes sont grandes ouvertes et des personnes comme moi, je l’espère, cherchons à les ouvrir davantage encore.
Pour approfondir
Références
Émile Coddens est second de chai dans l’une des plus grandes exploitations du Val de Loire, où il a gravi les échelons en accomplissant toutes les tâches liées à la fabrication du vin. Lors du confinement, il a ouvert un compte TikTok pour en enseigner les secrets…
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