Dans les marais de la Brière, à deux flaques de Saint-Nazaire, Jean-Henri Pagnon puise la matière précieuse de ses couteaux artisanaux. Et, grâce au morta, fait revivre une histoire vieille de 5000 ans.
Sur un petit chemin enherbé, entre deux mares, Figaro court devant. Jean-Henri le suit d’un pas alerte, un pieu à la main qu’il plante régulièrement dans le sol humide de cette Brière automnale. Quelques oiseaux de passage l’accompagnent dans sa balade qui, au début, ressemble à une mauvaise partie de pêche : rien ne remonte au bout de sa pique.
Le grand blond poursuit sa promenade, perfore le sol encore et encore quand soudain le morceau de ferraille rencontre le trésor recherché. Une mine d’or ? Un brochet géant ? Plutôt, un morceau de bois qui nage dans l’eau depuis des milliers d’années. « A l’âge du bronze, il y a environ 5000 ans, la Brière a été envahie par la mer, explique Jean-Henri. L’eau salée a grillé les racines d’une forêt de chênes, les arbres sont tombés et se sont enfoncés dans la tourbe une fois la mer retirée. En cours de fossilisation ces chênes donnent un bois dur, noir, qu’on appelle le morta. »
C’est donc ça le morta, la matière précieuse convoitée par l’artisan coutelier ? Pour le moment, elle se résume à un tronc de près de 800 kilos gisant sous l’eau. A coups de bêche et de pelles, le visage et les mains désormais noircis, Jean-Henri finit par dessiner une belle tranchée. Il faut désormais installer le trépied, passer autour de l’arbre une grosse chaîne en acier et tirer comme une brute. Ca patine, ça mouline quand enfin, le tronc sort la tête de l’eau. Une fois le butin à bord, Jean-Henri nous fait le tour du propriétaire.
« Tous ces marais sont à moi, ils appartiennent à tous les habitants de la Brière. » En effet, depuis 1461, date mémorable pour tous les Briérons, François II reconnait « … la propriété, possession, jouissance communes et publiques des marais de Brière aux habitants des paroisses riveraines… ».
Depuis ce jour, les habitants des communes du coin peuvent venir puiser dans les marais les roseaux pour construire les toits de chaume de leur maison, la tourbe pour leur cheminée ou le morta pour leurs couteaux. « Enfin, sur ce coup-là, je suis le seul, » précise Jean-Henri.
L’idée d’utiliser ces troncs fossilisés lui vient de Chateaubriand et d’un copain numismate. L’auteur parle dans son livre « la Brière », grand prix du roman de l’Académie française, du bois noir. « Quant à mon ami, il m’a montré que les pièces pouvaient raconter une histoire, avec les couteaux c’est pareil. »
Jean-Henri part alors sur une énumération de couteaux célèbres, comme celui dit des cambrioleurs qui, au XIXe siècle était équipé d’un diamant pour briser les fenêtres. « Lorsque je suis arrivé dans le coin il y a 10 ans, j’ai eu envie d’avoir mon couteau de la Brière. J’ai cherché ce qui pouvait le caractériser et, un jour, je suis tombé sur le morta. »
Au début, le jeune quadra fabrique des couteaux pour s’amuser, dans la vraie vie il reste formateur commercial. « J’achetais des Opinels par paquets de 10 et je refaisais les manches d’abord en bois local puis ensuite en morta. J’ai réalisé pas mal de modèles mal faits mais à chaque fois je m’améliorais. » En quelques années, il apprend à travailler ce bois dur et exigeant, peaufine son savoir faire, affine les formes, soigne les finitions, commence à en vendre et à se faire repérer par la presse et les connaisseurs.
Un jour, il ajoute à ses manches d’ébène des marais quelques points de suspension blancs élégants. « Ils sont en ivoire de mammouth laineux de Sibérie. » Comprenez en défenses fossilisées d’un pachyderme éteint il y a près de 10 000 ans. « La première fois que tu reçois ton morceau d’ivoire préhistorique par la Poste, ça fait un choc. Un jour, c’est sûr, j’irai voir ces chercheurs de défenses. » En attendant, il contemple quotidiennement ces chasseurs d’or blanc sur l’une des photos en noir et blanc qui ornent son atelier.
Si Jean-Henri vit désormais de son art, vend un millier de couteaux par an, son atelier n’est pourtant qu’une petite cabane de jardin que l’on achète communément pour ranger la tondeuse ou la piscine gonflable du petit dernier. Lui en a fait une maison de poupée-atelier. Les guitares Cohiba accrochées au mur côtoient les ponceuses qui elles-mêmes s’accordent avec des objets bizarres. « Ca c’est une constateuse, précise l’artiste devant une espèce de réveil à cadran téléphonique. Ca servait à pointer l’heure de retour des pigeons lors des courses colombophiles. » Partout, une fine poudre de bois vient tamiser l’ambiance.
Dans un coin, une bibliothèque de trois livres résume l’activité du passionné : Chateaubriand, le manuel du coutelier et un ouvrage d’économie. Dans une jolie vitrine, figurent ses derniers modèles tous faits de morta, de patience et de délicates attentions. « Je fabrique tous mes couteaux comme s’ils étaient pour moi, j’y mets beaucoup de coeur. » La gamme traditionnelle présente des lames en inox, celle morta brut de forge est faite de lames forgées artisanalement.
Quant à la gamme prestige, elle arbore une lame de Damas, soit 180 couches d’acier que l’acide perchlorure de fer vient révéler pour former des motifs subtilement psychédéliques. Pour l’heure lames et platines viennent d’un atelier de Thiers que Jean-Henri affine sur place. A terme, il rêve de monter une forge avec un ami.
« Mes couteaux sont des couteaux de gentleman, explique l’artisan qui a toujours le sien dans la poche. Ils sont élégants et n’ont rien à voir avec les couteaux-armes. » À l’image de ce grand blond avec un morceau de bois noir.
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Retrouvez l’itinéraire d’un couteau sculpté grâce à l’album photos de Thomas Louapre.
Merci Mr Louapre pour cet article très intéressant.
Une remarque importante s’impose : Il y a une faute d’orthographe détestable et que certains journalistes à la TV ont tendance à faire: » UN ESPÈCE de réveil » Où avez vous trouvé que le mot espèce était masculin. Vous viendrait-t-il à l’idée de dire: « UN SORTE de réveil » Notre langue française est très belle, ne l’abimons pas par de telles erreurs d’autant que vous journalistes représentez un phare et un modèle pour nous tous. Cordialement
Bonjour et bravo pour vos couteaux, que je découvre dans la lettre de « La Ruche qui dit oui ». Mais j’ai aussi découvert et suivi ce lien:
http://www.rferl.org/a/the-mammoth-pirates/27939865.html (merci de l’avoir posté)
Quelle tristesse, quel gâchis monstrueux…
Que diriez-vous si des russes de Yakoutie venaient dévaster votre chère Brière à coups de jets d’eau tirée de la rivière d’à côté pour envoyer du morta à leurs compatriotes ? De grâce, continuez à faire vos couteaux, mais décorez-les avec la nacre des coquillages que vous ramasserez sur la côte atlantique.
Merci. Sincères salutations.
Marie-Joëlle
Très beau travail, j’ai adoré vous lire…
Merci.
Quand on connais les conditions dans lesquelles cet ivoir de Mamouth est extrait, ça fait moins rêver :
http://www.rferl.org/a/the-mammoth-pirates/27939865.html
Je partage
Tout démolir pour ça !
Et surtout le laisser faire par n’importe qui.
Merci pour cet article intéressant et pour les photos.
Une petite correction orthographique concernant l’écrivain cité : il s’agit en fait de Alphonse de Châteaubriant auteur de La Brière et non de François-René de Chateaubriand auteur des Mémoires d’outre-tombe…
Tout simplement…Beau !
Belle bête! Pour se la péter avec son sandwich saucisson.
Pour savoir ou en acheter, y a internet : http://www.couteaux-morta.com/
Ou trouver se couteau , Merci
Au début de l’article,cliquez sur le nom de l’artisan en orange,vous arriverez sur sa page
Joli travail.
Il y a des années j’avais vu à Lorient lors d’un salon d’artisans quelqu’un qui fabriquait des corps de stylos à plume à partir de ce bois fossile. Existe-t-il encore?