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Agronomie et théologie

À chacun sa merde

« Lorsqu’une terre est abreuvée par la pluie qui tombe souvent sur elle et qu’elle produit une herbe utile à ceux pour qui elle est cultivée, elle participe à la bénédiction de Dieu » (Hébreux 6:7). Ce verset nous rappelle que la terre est une grâce, qu’elle exige de l’attention et la clémence du ciel pour donner ses fruits. Mais surtout, elle exige de la merde. Beaucoup de merde. Avec l’aide de Robert Trochard, ingénieur agronome, nous vous dévoilons secrets et finesses de l’engrais fondamental de toute agriculture.

Pourquoi la merde est-elle si bonne ?

Si la merde est essentielle à la fertilité des sols, c’est parce qu’elle est si nutritive. Elle peut nourrir directement les plantes grâce aux minéraux essentiels qu’elle contient (azote, phosphore, potasse, calcium, magnésium), mais sa forte teneur en carbone nourrit aussi les micro-organismes, les champignons et les vers de terre, et cette biodiversité permet d’avoir des sols bien aérés qui développent de nombreuses symbioses avec les végétaux.

Emportés par notre émerveillement, nous serions tentés de préconiser l’épandage de merde tous azimuts, depuis les champs de Beauce jusqu’aux déserts d’Afrique, pour enfin mettre un terme à la faim dans le monde. Mais attention ! La science de la merde est complexe car ses propriétés varient en fonction de son âge, son origine, le type de sol et la période choisie pour l’épandage. Bref, à chacun sa merde.

Liquide ou solide ?

En agriculture, la merde existe sous deux formes. Le fumier, sa forme solide, est un mélange avec les litières des animaux, en général de la paille. La forme liquide est appelée « lisier », et concerne surtout les élevages intensifs où les animaux sont élevés sans litières sur des sols durs (par exemple les caillebotis), qui sont nettoyés à grands jets d’eau. Le lisier est généralement stocké dans de grands réservoirs, sur l’exploitation, puis répandu dans les champs le moment venu.

Cuite ou crue ?

Selon les effets désirés, le fumier peut être épandu frais ou composté. Le compostage consiste à le laisser reposer, en tas, à l’abri, pendant au moins deux mois. Les microbes à l’intérieur le transforment, la paille se dégrade, tandis que la température de l’ensemble monte à 70°. Cette cuisson lente de la merde, à l’étouffée, détruit certains pathogènes et bloque la germination des mauvaises herbes. Surtout, elle permet à la merde de se transformer en humus, une matière organique noire que vous retrouvez dans les sacs de terreaux pour le jardinage, qui est très stable et diffuse lentement son azote aux plantes. Le fumier à la sortie du bâtiment, dit « fumier frais », va avoir un effet complètement opposé. Une fois épandu dans les champs, il va se décomposer dans le sol, et les micro-organismes qui dégradent la paille auront tendance à consommer de l’azote. Ainsi, la terre sera moins fertile durant cette période et les rendements pourront être affectés. Pour bien l’utiliser, donc, il faudra l’épandre environ deux mois avant de semer les graines.

Le lisier, quant à lui, peut être épandu tel quel par l’agriculteur, sans transformation. Mais dans les grandes régions porcines, on préfère l’envoyer vers des stations de traitement ; en Bretagne on en compte 450. On y transforme la merde en engrais sec, ou alors on y ajoute de la paille pour obtenir du compost.

Quelles différences selon les animaux ?

La merde de poule est pauvre en carbone mais très riche en azote, et ce dernier est très rapidement disponible pour les plantes. On estime que 70% de l’azote total est consommé la première année suivant l’épandage ; pour la merde de vache c’est plutôt 30%, et l’on tombe à 5% pour la merde compostée. La merde de cheval, quant à elle, est comparable à la merde de mouton car toutes deux contiennent beaucoup de paille et donc, comme pour la merde fraîche, il faudra l’épandre longtemps avant de semer pour ne pas appauvrir les sols.

Dans la plupart des cas, l’agriculteur ne choisit pas la merde qu’il utilise mais se contente de celle qu’il trouve sur son exploitation. S’il n’a pas d’animaux, il s’arrange avec un éleveur local qui ne produit pas de céréales et, ensemble, ils perpétuent un échange ancestral : merde contre paille. Malgré tout, il existe une merde commercialisée sur le marché. Une seule. C’est la merde humaine. On appelle ça des « boues d’épuration », et c’est le surplus dont les stations de traitement doivent se débarrasser après avoir filtré, décanté, puis traité les eaux des égouts.

Sur quels sols, en quelles saisons ?

Le sol influe sur la vitesse à laquelle l’humus libérera son azote. Un sol sableux, par exemple, dont les particules sont grossières, ne protégera pas l’humus des micro-organismes et l’azote sera donc plus vite épuisé, à l’inverse du sol argileux composé de particules plus fines. Pour maintenir une même quantité d’azote, il faudra donc épandre de la merde plus souvent sur un sol sableux que sur un sol argileux.

Nous l’avons vu, il faut doser les quantités pour épandre suffisamment… Et pour ne pas épandre trop ! Le risque, c’est d’avoir un surplus de merde fraîche en hiver, car ce moment de l’année est la « période de drainage du sol », quand les pluies sont maximales et l’évaporation minimale. Les nutriments que les plantes n’ont pas le temps d’absorber seront donc emportés vers les profondeurs et rempliront les nappes phréatiques. En grand quantité, elles sont facteur de pollution. C’est ce que l’on observe en Bretagne depuis 40 ans.

La merde du futur.

La recherche progresse dans ce domaine. Bien sûr, le cycle de la vie ne sera pas réinventé, mais de meilleures connaissances du sol, de la merde et de leurs interactions permettent aux agriculteurs d’optimiser l’épandage, c’est-à-dire de faire plus avec moins. Le développement récent des méthaniseurs pose également de nouvelles questions aux scientifiques puisque le digestat qu’ils produisent n’est ni de la merde fraîche, ni de la merde cuite, mais une merde d’un genre nouveau largement inconnu. Encore un sujet d’agronomie sur lequel la Bible est très incomplète.

Faut-il s’en étonner ? Jésus n’a-t-il pas maudit un figuier parce qu’il ne donnait pas de fruits, alors que ce n’était pas la saison ? Il aurait mieux fait d’écouter le bon sens du vigneron qui répondait : « Laisse-le encore cette année ; je creuserai tout autour, et j’y mettrai du fumier. » (Luc 13:8)

4 commentaires

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  1. On en redemande !
    L’esprit, le sérieux , le contenu ..l’humour ! Tout ce que j’aime lire dans vos articles …
    Continuez !

  2. Dommage d’avoir uniquement utiliser le mot « merde », la vulgarité l’a pour moi emporté sur l’intêret, pourtant réel, de l’artcile…

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