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Massacre à la biodiversité

Petites histoires des « mauvaises » graines

Quel est le point commun entre le cépage Othello, dont le raisin est d’un beau noir bleuté, la grosse graine du potiron bleu de Hongrie ou encore la semence de blé Touselle blanche barbue ? Oui, ils ont tous un joli nom. Mais ce n’est pas tout, ils ont surtout été bannis de nos champs et de nos étals.

Martyrs de la biodiversité

Ces trois produits font partie des nombreuses victimes oubliées de l’uniformisation agricole. Alors, nous avons choisi de vous raconter leurs histoires personnelles, parce qu’elles montrent comment l’essor de l’agriculture française s’est faite au détriment de certaines pratiques et de certains aliments.

Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas résument ce côté sombre du « progrès agronomique » dans leur passionnant livre Semence : une histoire politique. Oui, l’homogénéisation des plantes cultivées depuis l’après-guerre a permis des gains de rendements importants. Mais, rappellent-ils, elle a limité la liberté des agriculteurs, nié leur rôle dans la sélection et l’adaptation des plantes, réduit massivement la biodiversité cultivée. Haut les cœurs : se pencher sur ce passé et ces renégats aide à penser l’agriculture de demain.

Vins interdits

Démarrons ce voyage avec le vin. Depuis 1935, les cépages Clinton, Noah, Jacquez, Herbemont, Othello et Isabelle sont interdits pour la production de vin en France. L’histoire de ces plants de vigne démarre à la fin du XIXe siècle, quand l’importation de vignes américaines apporte de nombreuses maladies en Europe, notamment l’oïdium et le phylloxéra. Les variétés européennes sont dévastées alors que les cépages du Nouveau Monde s’en sortent très bien.

De nombreux agriculteurs décident de créer des hybrides, notamment entre des souches américaines et des souches européennes. C’est de ces unions que naisseront les cépages interdits. Problème : le goût du vin issu de certains de ces hybrides déplait. Ils étaient connus comme étant les plus productifs et les plus mauvais aussi, expliquait à Slate en 2014 Olivier Yobregat, ingénieur agronome-œnologue et responsable du matériel végétal à l’Institut français du Vin et de la Vigne. Quand les volumes de production de vin redeviennent très importants, on décide de s’en prendre aux cépages les moins appréciés pour éviter la surproduction.

Certains cépages furent aussi interdits pour mettre en difficulté un député ou un ministre dont le fief politique comptait beaucoup de ces cépages.

Mais des raisons moins avouables ont sûrement joué aussi. Le même article de Slate expliquait notamment : Ces cépages étaient alors principalement utilisés par des petits paysans qui en cultivaient des lopins sur leurs sols les plus difficiles. Ils en faisaient un vin de table à bas coût. Mais cette autosuffisance leur faisait peu participer à l’écoulement de la production nationale et algérienne. Suivant l’adage qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, les politiques de l’époque accusèrent les vins issus de ces cépages de rendre fou. (…) Certains cépages furent aussi interdits pour mettre en difficulté un député ou un ministre dont le fief politique comptait beaucoup de ces cépages. Le Jacquez aurait ainsi été interdit pour embêter Edouard Daladier. Un article de l’Âge de faire de 2014 avançait une autre hypothèse, décelée par un amateur passionné, Freddy Couderc, dans les débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi. Selon lui, les cépages qui ne nécessitait pas de traitements ont été écartés afin de pouvoir vendre des produits chimiques. 

Heureusement, nombre de structures œuvrent à la préservation des cépages oubliés. Notons les travaux des conservatoires de l’Inra, et celui des associations Fruits oubliésMémoire de la vigneRencontres des cépages modestes, ou encore la plus récente Wine Mosaïc. Grâce à elles, chacun peut (re)découvrir que, non contentes d’être peu sujettes aux maladies, beaucoup de souches anciennes apportent une diversité de goûts très appréciable.

Querelle d’épis

Passons maintenant aux blés. L’histoire de la culture de cette céréale au siècle dernier dans notre pays est celle d’un rapetissement calculé et d’un effondrement volontaire de la biodiversité cultivée. Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas citent ainsi dans leur livre ces mots tirés d’un ouvrage sur la qualité des blés datant de 1938 : Le catalogue officiel des blés cultivés en France en compte 385. Voilà des années que nous recommandons en vain de porter la hache dans la forêt touffue des blé français, et d’y pratiquer des coupes sombres. C’est une douzaine, une quinzaine de blés au plus qui suffiraient pour toute l’étendu du territoire. Après-guerre, ce souhait sera réalisé. La France va cultiver des blés toujours plus petits et toujours plus semblables, donnant des champs toujours plus bas et homogènes et faisant le succès des entreprises semencières françaises.

On estime que dans le monde 10% à 20% du rendement des blés est perdu à cause du vent.

Les gains de rendement sont au rendez-vous. Mais, notent les auteur : Ces progrès ne sont pas sans contreparties. Le cadrage de l’innovation s’avère remarquablement efficace, il n’en représente pas moins un clôture technologique qui n’obtient de résultats qu’à force d’exclusions et de réductions. Au bord du chemin, on a laissé nombre de variétés et de possibilité d’innovation, comme des blés peu gourmands en eau ou en intrants, des blés qui permettent un semis peu dense, des blés dont les glutens seraient plus digestes…

Interrogé par Terra eco en 2014, Bruno Moulia citait une autre qualité du blé oubliée par les sélectionneurs, leur capacité à percevoir le vent et à se renforcer en fonction : On estime que dans le monde 10% à 20% du rendement des blés est perdu à cause du vent. Pour lutter contre ce phénomène, on a sélectionné pendant des décennies des plantes plus petites. Mais ces espèces plus petites ont donc également des racines plus courtes et peuvent puiser moins loin les ressources du sol. Ce n’était pas un problème tant qu’on leur donnait des engrais à tire-larigot mais vu les conséquences économiques et environnementales c’en est devenu un. Vu qu’on ne savait pas que les plantes perçoivent le vent quand on a fait ces sélections, on a peut-être délaissé des espèces capables de se renforcer face à lui. On pourrait essayer de faire de nouvelles sélections avec ce critère.

Là encore de nombreuses associations et bénévoles se mobilisent pour la préservation des blés anciens, la plupart étant regroupé dans l’excellent réseau Semences paysannes. Ils s’intéressent notamment aux variétés populations, qui sont en fait des mélanges de plusieurs familles de blés et qui donnent dans les champs des ensembles de tailles, de couleurs et parfois de formes légèrement différentes. Des variétés… variées, pour résumer. Cette diversité est à l’opposé des critères industriels, si bien que les variétés populations ne sont pas accéptées dans le catalogue officiel des espèces et variétés végétales du Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences et des plants). La vente aux professionnelles et donc interdite. Pire, les échanges de semences entre paysans sont eux aussi interdits, alors que l’utilisation de semences paysannes nécessite justement un travail de sélection permanent, notamment avec des échanges.

Dommage, puisqu’elles accroîssent la résistance à certaines maladies et la capacité d’adaptation aux terroirs et aux climats. Pour voir Jean-François Berthelot, agriculteur, boulanger et sauveurs de graines, présenter la Touselle blanche barbue et le pain qu’il en tire, on peut se rapporter à cette vidéo.

Biodiversité interdite aux pros

Fin de notre voyage, en passant par le potiron bleu de Hongrie. C’est Philippe Desbrosses, militant historique du légume libre et cofondateur du label AB qui a découvert cette courge lors d’un voyage en Hongrie en 1983. A la fin des années 1990 il a décidé de demander à faire entrer ce légume intéressant et original au catalogue officiel des espèces et variétés végétales du Gnis, dans la catégorie amateur. Désormais, les jardiniers amateurs ont le droit d’acheter ces semences, en petits sachets de quelques grammes seulement. Hors de question de les vendre en grande quantité à des maraichers professionnels, c’est interdit. François Delmond, le gérant de Germinance, résumait ainsi cette législation dans une interview donnée à Rue89 en 2015 : La loi dit que ceux qui ont un jardin ont le droit de cultiver et manger des potirons qui ont du goût. Mais ceux qui n’ont pas de jardin doivent se contenter d’acheter des fruits issus de la liste principale, qui ont été sélectionnés pour être cultivés avec des produits chimiques, pour ne pas mûrir jusqu’au bout, qui ont beaucoup moins de goût…

Heureusement, les structures qui militent pour la préservation des légumes rares ou anciens sont nombreuses et bien organisées. Citons pêle-mêle Intelligence verte et Graines de vie, Kokopelli, Germinance, le réseau des grainothèques, Biau Germe, Graines del Païs…. Et bientôt vous et votre jardin ou balcon ?

2 commentaires

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  1. Article édifiant malgré beaucoup de fautes d’orthographe… Une question me vient à l’esprit ; si on a une structure de jardin associatif a-t-on le droit de cultiver ces semences anciennes ?

  2. J’ai ete tres heureux d’apprendre qu’il existait des organismes qui sauvegardaient les varietes anciennes. Le sujet traite de plantes dont on remarque peu la diminution de la variété. Personnellement je souffre de l’uniformisation de la tomate, ou pomme d’or, et de la perte de gout qui en decoule. Dans le jardin de mon père, les tomates n’avaient pas le temps de pourrir…

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