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Pour l'amour des cônes

Au Nord, c’était le houblon

À Hazebrouck, en pleine terre flamande, Édouard Roussez s’est lancé dans le houblon bio. Fils d’agriculteur et amateur de bières de terroir, il participe à la renaissance d’une production indispensable à tous ceux qui veulent boire des mousses locales aux caractères affirmés. Nous nous sommes invités à sa dernière récolte. Reportage écrit avec les doigts verts.

© Éric Carpentier

Du matériel d’apiculture à déplacer, un exemplaire de La Voix du Nord à écarter et l’on peut s’installer dans le Kangoo familial. Édouard branche Radio Uylenspiegel, l’accordéon envahit l’habitacle. Pour te souhaiter la bienvenue en Flandre, glisse-t-il d’un clin d’œil.

La radio associative tire son nom de Till l’Espiègle, un saltimbanque farceur de la littérature populaire allemande. On se l’imagine volontiers accompagné d’un petit loup, un lupulus. Ou se promener au milieu de lianes géantes, dodelinantes sur six mètres de haut, des cônes vert et or s’agitant comme autant de carillons silencieux. Bienvenue dans le monde magique du houblon grimpant, nom binominal Humulus lupulus.

Conversion, adaptation

Mais pour l’heure, il s’agit de récupérer des vis pour Emmanuel. En stage de reconversion, Emmanuel Poudret veut lancer le « bois du diable », autre petit nom du houblon, et, si tout va bien, celui de la future houblonnière bio dans le Poitou. L’ex-caviste bricole un ancien tapis convoyeur de pommes de terre, lui aussi en reconversion. Un système débrouille qui illustre les balbutiements de la production française de houblon biologique : moins de 30 hectares sont en bio ou en conversion. Problématique face à l’essor des bières houblonnées, respectueuses et locales.

En 2019, plus de 80 % du houblon utilisé par les quelques 1 700 brasseries artisanales françaises est importé d’Allemagne, d’Angleterre ou des États-Unis. Un dernier chiffre ? Sur 36 000 hectares de houblon cultivés en Europe (dont 500 en France, principalement en Alsace), seuls 200 hectares sont actuellement en bio.

© Éric Carpentier

La plantation d’Edouard s’étire le long d’une voie SNCF. Le passage des trains rythme la récolte de la vingtaine de cultivars expérimentés au Houblon de la Motte. Aux côtés des classiques brewer’s gold (l’or du brasseur), magnum ou cascade, les chinook et autres saaz tentent de s’élever, avec une réussite inégale. La famille houblon est très souple, elle pousse du trentième au soixantième parallèle (grosso modo, du Maroc à la Norvège, ndlr), indique Edouard. Mais les différents cultivars sont beaucoup plus localisés. Le saaz par exemple, très apprécié, ne pousse pas ici. Le climat est trop humide.

Ici on cultive du houblon qui peut plaire aux sols comme aux hommes.

Voilà pourquoi le néo-houblonnier a voulu passer par une phase expérimentale : pour rapprocher autant que possible les goûts des consommateurs des possibilités pédoclimatiques. Je retiens trois critères pour le choix de cultivars pérennes. Un, la résistance aux attaques, essentiellement mildiou, oïdium, pucerons et araignées rouges. Deux, le rendement. Trois, les demandes des brasseurs.

© Éric Carpentier

Love is in the cône

Justement, Julien et Pierre-Benoit viennent donner un coup de main. Leur Brasserie Bellenaert opère à Bailleul, à moins de 15 kilomètres de la houblonnière. La récolte commence.

Édouard est au volant du tracteur, nous autres dans la remorque. Après avoir coupé les pieds à un mètre du sol, il s’agit d’agripper vigoureusement les lianes pendantes pour rompre le fil sur lequel elles s’enroulent. Il fait beau mais il pleut des cordes, avec elles des feuilles palmées, des cônes ovoïdes et de la lupuline, la résine jaunâtre et odorante qui constitue le principe actif du houblon. La vigne du Nord se vendange dans une débauche de végétal. Quand le rang est terminé, le tracteur part chargé de son or vert, direction le tri et le séchage.

© Éric Carpentier

Rencontre avec la trieuse, au fond d’un hangar en bois. Elle s’appelle Marie-Jeannine, un beau bébé de 43 ans et 4,9 tonnes qui avale des lianes pour recracher des cônes. Elle tire son surnom d’un certain lien de cousinage : le houblon fait partie de la famille des Cannabaceae. Mais ici, aucun fumet illégal. Seulement des gerbes de pétales projetés dans l’air, enveloppant le tri d’une atmosphère de merveilleux. Un bras enfourne les lianes dans des rouleaux de peignes, des mains affinent le tri, et les cônes s’élèvent aussitôt jusqu’au sommet d’une tour semblant tout droit sortie d’une boite de Kapla géante. C’est le séchoir, construit pendant l’été à partir d’un système d’occasion.

Édouard suit le ballet avec attention : La problématique principale est de réduire le temps de séchage pour une meilleure conservation des huiles essentielles, éclaire-t-il. Avant, c’était moins important, car l’objectif était l’amertume. Désormais, les recherches de goûts sont plus développées. Si le raisin a ses cépages, le houblon déroule ses variétés. Pour apprécier leurs saveurs, on frictionne un cône entre les paumes et on se laisse envahir par les parfums.

© Éric Carpentier

Pendant ces quelques jours de récolte, des amis brasseurs à Paris, un amateur curieux et un député local viendront tour à tour s’intéresser aux petits cônes verts. Signe que le houblon retrouve ses lettres de noblesse au sein de la filière brassicole, mais aussi auprès du grand public. Car pour faire une bonne IPA, un houblon de qualité est indispensable, comme ceux qui le font pousser, souvent avec amour. C’est d’ailleurs comme ça qu’Edouard présente son activité : Je suis houblonnier. Mon métier consiste à faire des câlins au houblon !

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