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Brassica rapa vadrouilleur

Au début était le navet

Au commencement, nous avons apprivoisé les navets. Après bien des générations et des sélections, nous en avons fait des légumes bien choux. Ce qu’il s’est passé entre temps raconte l’incroyable diversité du vivant et notre faculté à évoluer avec les plantes cultivées.

Les navets cultivés aujourd'hui ont de très nombreux cousins, dont beaucoup ne leur ressemblent pas du tout. © Istock

L’ancêtre des pommes de terre charnues d’aujourd’hui ? Des tubercules minuscules. Les lointains parents des pastèques bien rouges et rafraîchissantes de nos assiettes estivales ? Une petite baie sauvage très amère. La majorité des végétaux que l’on consomme aujourd’hui sont le fruit de très longues sélections, opérées génération après génération, qui ont permis de faire évoluer des plantes tout juste comestibles en des délices nourrissants.

Cette sélection n’est pas un long fleuve tranquille, plutôt une saga à rebondissements. En la matière, ce sont sûrement nos bons vieux navets et leurs étonnants cousins qui réservent le plus de surprises. Une récente étude publiée dans la revue Molecular Biology and Evolution nous le confirme. Dans cette étude, la botaniste de l’Université du Wisconsin, Eve Emshwiller, et Alex McAlvay, du New York Botanical Garden, ont retracé – grâce à l’analyse ADN de plusieurs centaines de plantes, la domestication d’une plante appelée Brassica rapa, dont on tire de très nombreux légumes cultivés aujourd’hui.

Mais reprenons depuis le début. L’histoire commence dans les montagnes de l’Afghanistan actuel, il y a entre 3 500 et 6 000 ans. Là-bas, des humains ont apprécié la partie souterraine riche en amidon de l’ancêtre sauvage du navet. Ils ont commencé à sélectionner et à cultiver les tubercules les plus intéressants à leurs yeux. Cette culture s’est répandue en Europe et poursuivie d’année en année, de sélection en sélection, jusqu’à notre navet actuel.

Le chou Pak Choï ressemble aux blettes mais s'avère moins filandreux. © Istock

Brassica rapa, ancêtre commun

Parallèlement, cette domestication a aussi eu lieu à travers l’Asie. Les agriculteurs de cette partie du monde se sont plutôt intéressés aux grandes feuilles goûtues de ce navet ancestral. Ils ont donc sélectionné les spécimens aux plus belles feuilles, jusqu’à faire naître des légumes-feuilles classiques de la cuisine asiatique : le bok choy, le pe-tsaï (ou le chou nappa) ou encore le très joli chou mizuna. Certains ont sélectionné les fleurs les plus grosses et délicieuses, obtenant le brocoli rave. D’autres enfin ont sélectionné les graines les plus charnues pour en faire de l’huile, ce qui donnera les navettes ou même le sarson, une plante proche de la moutarde et utilisée dans la cuisine indienne.

Aussi différents qu’ils puissent paraître, ces légumes ont donc tous le même ancêtre et appartiennent tous à la même espèce : Brassica rapa. Leur destinée a été modifiée en fonction de ce que les cultivateurs appréciaient chez elles. L’autrice de l’étude Eve Emswiller analyse donc : En étudiant ces plantes et leur histoire, on apprend beaucoup sur l’histoire humaine.

Le chou Mizuna résiste très bien au froid et apporte un goût relevé et de jolies formes dans les assiettes. © Istock

Croiser pour sauver

Et ce n’est pas tout. En retraçant ainsi l’histoire de l’une des espèces agricoles les plus importantes de la planète, on peut aussi mieux connaître les navets sauvages toujours présents dans les montagnes afghanes. Crucial pour l’avenir ! Eve Emswiller explique : Ces informations peuvent être très utiles afin de conserver les parents sauvages des plantes cultivées aujourd’hui, et s’assurer ainsi qu’elles ne disparaissent pas, notamment à cause de la destruction de leurs habitats naturels.

En se penchant sur ces ancêtres sauvages, qui ont une diversité génétique beaucoup plus grande, on peut en effet repérer celles qui s’adaptent le mieux face aux défis écologiques et climatiques actuels. Pour créer des variétés plus adaptées aux défis de notre époque, il suffit ensuite de croiser nos plantes actuelles avec leurs ancêtres sauvages et résilients.

Ce genre de croisements a déjà été réalisé avec succès par le passé. Quand une bactérie s’est développée dans les champs de maïs américains au milieu des années 1970, on a réalisé que la majorité des variétés cultivées aux USA étaient très proches génétiquement, si bien que près de 80 % des champs étaient menacés. Pour éviter la catastrophe, il a fallu trouver un gêne résistant dans une variété ancienne de maïs africain et croiser les variétés.

Si ce défi agricole vous intéresse, vous pouvez contribuer à la connaissance des plantes sauvages issues de la famille Brassica rapa. En France, une équipe de chercheurs de Rennes a lancé le programme BrasExplor, qui comprend une mission de sciences participatives appelée « Navet sauvage ». L’équipe vous propose d’identifier des populations de navets sauvages dans le sud de la France. Le but ? Améliorer la connaissance sur la répartition de cette espèce, mieux analyser sa capacité à s’adapter aux conditions climatiques difficiles et sensibiliser le grand public à sa valeur patrimoniale.

Pourquoi diable le chou Romanesco est-il si beau ? © Istock

Et la saga ne s’arrête pas là. Les chercheurs Eve Emshwiller et Alex McAlvay vont maintenant se pencher sur une famille très proche de Brassica rapa, appelée Brassica oleracea. Une inconnue ? Pas du tout. Sous ce petit nom se cache la famille réunissant aussi bien les brocolis, les choux-fleurs, les choux de Bruxelles que les choux frisés, les choux raves ou les choux cabus… Là encore, le destin de ces descendants s’est joué dans la façon qu’ont eu les agriculteurs de sélectionner ou non les feuilles, les tiges ou les fleurs de l’ancêtre en commun.

Reste une grande question : mais pourquoi diable le chou Romanesco est-il si beau ? Une autre étude vient de nous donner la réponse… Les florettes, ces petites pyramides coniques rappelant chacune la forme globale du chou entier, sont tout simplement dues à deux petites modifications génétiques. Modifications nées du hasard, mais que des agriculteurs malins ont eu le bon goût de sélectionner. Bravo à eux !

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