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Voyage au bout de ma rue

Le boui-boui n’a pas toujours très bonne réputation. Dans le dictionnaire, il est même défini comme un café, restaurant ou cabaret médiocre. Pour Chloé Vasselin, auteure du Guide du Paris Boui-Boui, c’est une invitation au voyage. Embarquons avec elle pour le quartier tamoul, à La Chapelle, pour découvrir les saveurs du sud de l’Inde et du Sri Lanka à portée de métro.

Texte et photos : Julie Subiry

Chloé tient le blog boui-boui depuis 2016. Elle y partage les adresses de ses boui-boui préférés à Paris, des recettes, des portraits de chefs. Elle y présente aussi des balades gourmandes dans le Paris cosmopolite. Ses bons plans sont recensés dans le Guide du Paris Boui-Boui, né en mars 2022. Aujourd’hui, elle nous emmène dans le quartier tamoul de La Chapelle : le “Little Jaffna”, qui comprend quelques rues seulement.

Le peuple tamoul compte 81 millions de personnes à travers le monde, dans le sud de l’Inde, au Sri-Lanka ou en Malaisie notamment. Sa cuisine est l’une des principales cuisines indiennes. Difficile pour autant de parler d’un seul menu, tant il varie selon la géographie, la confession (chrétienne, musulmane, bouddhiste, hindoue) ou même la famille.

Le dénominateur gustatif commun ? Des mets principalement d’origine végétale et épicés (les plus pimentés d’Inde !). À table, il y a toujours du riz, des légumes, et une grande variété de légumineuses comme les lentilles ou les pois chiches. Pour assaisonner le tout : des épices torréfiées, moulues ou infusées, ainsi que beaucoup, beaucoup de condiments différents font la typicité de cette cuisine.

Quels condiments et épices choisir à l’épicerie pour retrouver la tonalité de la cuisine tamoule ? Prenez note : du tamarin (fruit dont le jus apporte de l’acidité aux sauces), des feuilles de kaloupilé intensément citronnées et destinées aux curry, des graines de moutarde, de la coriandre, du gingembre, de l’ail, de la cannelle, du cumin, de la cardamome, de la noix de coco, de l’eau de rose…

Les marqueurs de la cuisine tamoule tiennent en six saveurs : le piquant, la salinité, la douceur, l’acide, l’astringent et l’amer. Chaque repas doit les réunir avec harmonie. Avant de se mettre en cuisine à l’aveugle, attablons-nous pour goûter quelques plats et éclairer nos lanternes…

Rue du Faubourg-Saint-Denis, nous entrons chez Muniyandi Vilas pour prendre un petit-déjeuner. Chloé salue le maître des parottas, qui officie en vitrine : Vanakkam ! (bonjour en tamoul). Les parrotas font partie de la street-food. Ces pains non levés sont servis à emporter à tout heure de la journée. Ils sont généralement consommés avec un mélange de légumes ou des currys.

Pour les confectionner, de la pâte feuilletée est aérée, abaissée, puis pliée comme on le ferait pour un éventail en papier. Ce pliage longiligne est ensuite roulé comme un escargot. L’escargot est aplati puis frit. Grâce à cette forme particulière et cette cuisson, l’enveloppe se fait croustillante et le cœur moelleux !

Un repas typique tamoul, qui se prend traditionnellement assis par terre, sera servi sur une large feuille de bananier ou sur un plateau circulaire avec plusieurs bols en inox. On porte la nourriture à sa bouche avec la main droite.

À voir la mine réjouie de Chloé devant son plat, comment imaginer qu’elle chipotait petite dans son assiette ? Le goût du voyage lui a ouvert l’appétit. Pour aller à la rencontre des gens, elle comprend qu’elle doit manger ce qu’ils mangent. Enfant, elle parcourt le monde avec sa famille pour suivre son père, photographe de mode. Pendant plus de dix ans, elle travaille pour plusieurs compagnies de tourisme jusqu’à une prise de conscience : Quand on sait qu’aujourd’hui il y a plus d’un milliard et demi de touristes qui génèrent à l’échelle mondiale plus de 8 % des gaz à effet de serre, il y a de quoi se pencher sérieusement sur l’impact de nos envies d’horizons lointains.

Dans le quartier, les Tamouls circulent davantage pour faire leurs courses ou attraper une collation que pour s’attabler dans les restaurants, plutôt réservés aux touristes. C’est donc dans les snacks et les épiceries que l’on peut trouver la cuisine la plus typique !

Chez Ganesha Sweets, on ne sait plus où donner de la tête pour choisir un encas. Les pâtisseries colorées côtoient les gourmandises salées comme le murukku (préparé avec du riz et de la farine de lentilles, visuellement proche d’un churros enroulé sur lui-même).

Marcel Proust avait sa madeleine. Chloé, elle, a le ladoo, une pâtisserie qui la replonge instantanément dans les rues de Pondichéry ou de Tiruchirappalli, en Inde. Il s’agit de petites boules très sucrées que l’on sert lors des fêtes, à base de farine de pois chiche et de ghee, recouvertes de sirop de sucre. Des variantes incluent au choix des amandes, de la farine de blé, des graines d’amarante, des fruits secs…

La ladoo est aussi la pâtisserie préférée du dieu Ganesh. Au temple de Ganesh justement, rue Pajol, Chloé propose de faire une puja, rituel hindouiste d’offrande et de prière. Plusieurs citrons verts et feuilles de béthel, au goût boisé et mentholé, sont réunis en guise de présents. Dans la communauté tamoule, cuisine et religion sont indissociables.

Direction un autre temple, plus consumériste cette fois : VT Cash and Carry, rue Cail, la plus grande supérette du quartier où l’on trouve du sol au plafond tous les ingrédients pour emporter la cuisine tamoule à la maison. Graines de moutarde et cardamome côtoient lentilles rouges et vertes, pois cassés, riz, ou petites aubergines de toutes les couleurs.

Pourquoi ne pas réunir les ingrédients nécessaires à un curry de radis blanc ? Ou à la préparation d’un rasam, une soupe à base de tamarin, de tomate, d’ail ou de citron, à boire en fin de repas pour la digestion ?

Ce jour-là, Chloé fait râper de la chair de noix de coco pour cuisiner un pol sambol, un condiment traditionnel à base de coco râpée, de jus de citron vert, d’oignons rouges et de piment… On écrase les ingrédients dans un pilon jusqu’à l’obtention d’une pâte qui accompagne riz ou pain. Tout simplement addictif !

De Belleville à la Goutte d’Or, en passant par Chinatown, Chloé met en lumière une cuisine du quotidien, familiale et goûtue. L’humble restaurant devant lequel on passe sans prêter attention est souvent pour celui qui le tient un lieu de résilience après un parcours d’exil. Et pour celui qui y vient, l’opportunité d’un voyage immédiat. Nul besoin d’aller loin, le voyage est une posture. Pour Chloé, voyager, c’est se laisser surprendre, être déstabilisé parfois.

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