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Vague d’optimisme

À Marseille, le futur de la bouillabaisse s’écrit sur le Vieux-Port

Un dernier bastion marseillais de pêche durable, locale et en circuit court résiste tant bien que mal à l’industrialisation de la filière. Quelques poissons-pilotes passionnés luttent pour la survie du marché iconique du Vieux-Port.

Christian Qui et son fils Jonah, sur le marché du Vieux-Port, un vendredi d’hiver. « Certains sont devenus des amis, ils m’apprennent beaucoup et m’enrichissent de leurs anecdotes. » © Laurène Petit

Retrouve-moi à 10 h 30 au Vieux-Port, m’écrit Christian Qui, en ce jour d’hiver marseillais ensoleillé. Le rendez-vous est pris avec ce chef électron libre et fondateur de l’association Bouillabaisse Turfu. Créée en 2019, elle a pour but de fédérer par l’intermédiaire de la cuisine et de sensibiliser à la défense de la biodiversité marine. La marotte de Christian ? Redorer l’image du marché aux poissons, en perte de vitesse, mais aussi transmettre en cuisine la valorisation des richesses de la Méditerranée. Cuisinier instinctif, il donne des cours dans son appartement perché sur les hauteurs d’Endoume, à Marseille. Pas de menu prédéfini, c’est surtout le marché qui oriente la session.

Contrairement aux criées ou aux marchés d’intérêt national nocturnes, ce n’est qu’en fin de matinée que le marché aux poissons du Vieux-Port de Marseille bat son plein. On pourrait presque passer devant sans le voir, croyant à un attrape-touriste, vu son emplacement stratégique. Quelques stands sur tréteaux, aucune glace pilée ni vitrine réfrigérée : la fraîcheur vient d’ailleurs. Les poissons qui y sont exposés viennent tout juste d’être pêchés, démaillés et débarqués. Œil vif, ouïes rouge foncé, corps ferme et brillant. Aucun doute, il est frais, leur poisson.

Véronique, vendeuse sur le port, appréhende le retour de son fils Anthony (en veste orange sur la photo ci-dessus, NDLR), et guette l’horizon. Les tempêtes ont été monnaie courante ces derniers jours. Avant, je travaillais avec mon mari, puis mon fils a pris le relai sur notre bateau. En ce moment, c’est l’hiver, on a de la sole, du turbot, de la baudroie. En été, on a des poulpes, des rascasses… Chaque saison a son filet et chaque filet a son poisson ! Anthony débarque finalement sur les coups de 11 heures et la valse peut commencer.

À chaque communauté son poisson préféré

Face aux stands, Christian fait partie des habitués. Il arpente le marché régulièrement depuis dix ans et tout le monde l’appelle par son prénom. C’est un vrai terrain de jeu, je trouve ici des poissons que je ne verrais jamais chez le poissonnier. Torpille, galinette (l’autre nom du grondin) ou plus communes pélamide ou liche. Pour Christian, aller sur les étals permet de ne pas figer le menu au travers d’une commande anticipée. Je prends ce qu’il y a à l’instant T. J’invente, j’élargis mon vocabulaire de poissons, je fais avec ce que je trouve beau.

Sur le Vieux-Port, si les acheteurs sont tantôt restaurateurs ou particuliers, tous sont connaisseurs, et appartiennent à des communautés variées. C’est un marché populaire et chaque communauté a sa manière de manger le poisson. Avec beaucoup d’épices pour les Tunisiens, avec du pain pour les Africains de l’Ouest, parfois en grand plat familial, parfois frit, au four, en couscous, en bouillabaisse, raconte Achraf Stifine dans une vidéo (pas encore diffusée) tournée par Adrien Bell pour le Parc national des Calanques. Lui aussi a son étal sur le marché. Ce jeune pêcheur-entrepreneur, comme il se définit pour souligner la polyvalence du métier, se lance tout juste à son compte, après avoir longtemps vendu du poisson avec sa mère sur le port. On sait que l’on va vendre plus d’un poisson ou d’un autre en fonction des coutumes et des traditions. On nourrit toutes les familles avec des poissons accessibles.

Si les jeunes Ashraf et Anthony apportent une vague de renouveau dans le marché, l’espoir reste mince quant à la pérennité de cette institution marseillaise. Les pêcheurs sont vieillissants et chaque année, la pêche aux petits métiers (la pêche côtière de petits bateaux) s’amenuise. Pour Christian Qui, si ce patrimoine culturel disparaît, il y aura un grand trou dans la ville.

La pélamide (au milieu), cousin de la bonite, entourée de saupes (en habits rayés) et de petits rougets attendent preneur © Laurène Petit

Mission sauvetage

D’autres raisons de s’inquiéter : la raréfaction et le rapetissement de la denrée. La galinette ou la sardine font partie de ces poissons que l’on voyait autrefois en abondance, et que les pêcheurs ne retrouvent plus dans leurs filets en taille suffisamment intéressante pour être vendus. Aujourd’hui, les eaux ne leur fournissent plus le plancton dont elles se nourrissaient, explique Christian. C’est la bien nommée étude Mona Lisa de l’Ifremer qui a permis d’expliquer que la raréfaction et la baisse de la taille des anchois et sardines de Méditerranée sont liées au changement climatique. Une augmentation d’un demi degré de l’eau a fait chuter la quantité de micro-algues de 15 % et par conséquent, la taille de ces poissons est passée de 15 à 11 cm en 20 ans seulement.

Pour tenter de pallier ces bouleversements dans le Golfe du Lion, l’opération « Récifs Prado » a été lancée en 2008. Plus de 400 récifs artificiels ont été immergés dans la rade de Marseille pour y réintroduire de la biodiversité. Selon la Mairie, en dix ans, les dernières études scientifiques montrent que le nombre d’espèces de poissons a été multiplié par 3 et la biodiversité a augmenté de plus de 30 %. L’initiative a d’ailleurs été récompensée par le Ministère de l’environnement en 2014 avec le « Grand prix du génie écologique ».

Après le marché, direction la cuisine de Christian. Ce jour-là, quelques curieux apprendront à lever les filets de pélamide, de liche ou de sévereau, et à les accommoder tantôt en tartare, en sashimi ou en soupe. Tous ont connu le chef et son association pendant le premier confinement, grâce à ses bouillabaisses à emporter, et font aujourd’hui partie d’un groupe WhatsApp regroupant plus de 120 personnes.

Christian Qui organise également des réunions-repas avec des scientifiques : Mettre les pêcheurs, les cuisiniers et les scientifiques autour de la table permet de décloisonner les métiers de façon plus informelle. En cela, il crée un pont entre la connaissance scientifique et les observations de terrain de ceux qui connaissent la mer mieux que personne.

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