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Épargne solidaire

À Magnantru, les citoyens investissent les champs

Et si les citoyens finançaient la création de fermes ? C’est l’idée de Fermes en ViE, qui crée du lien entre investisseurs et futurs installés en agroécologie. Un premier lieu a vu le jour à Magnantru, dans les Deux-Sèvres, chez Camille et Raphaël.

L’atelier de transformation est situé dans la grange, à quelques pas de l’habitation des agriculteurs, aussi chambre d’hôtes. © Marguerite Legros

Dès six heures du matin, Camille est au labo, dans l’ancienne grange transformée en atelier de transformation, située à quelques mètres de son habitation. Aujourd’hui, elle y prépare notamment des paupiettes, rôtis et escalopes de veau. Cet après-midi, elle s’occupera du boudin blanc et finalisera les rillettes à base de veau et de porc, ce dernier étant fourni par le voisin d’à côté.

Ces activités récurrentes sont le pendant de l’activité principale d’élevage de veaux et d’oies en agriculture biologique que la jeune femme exerce avec son conjoint dans cette petite exploitation des Deux-Sèvres. Camille, 26 ans, et Raphaël, 33 ans, ont repris la ferme de Magnantru au mois d’août 2021. Début 2022, ils relanceront aussi l’activité de chambre d’hôtes.

Pour s’installer, Camille et Raphaël n'ont eu qu'à investir dans le matériel et le rachat du troupeau. © Marguerite Legros

Ce lieu a un sens particulier pour le jeune couple. Ils y ont tous deux travaillé et s’y sont rencontrés en 2015. Depuis, on s’est dit que ce serait bien qu’on reprenne la ferme, confie Camille. À l’époque, le propriétaire songeait déjà à son départ et à un moyen de sécuriser la reprise de l’exploitation. Six ans plus tard, après d’autres expériences de salariat, les revoilà à Magnantru, à quelques dizaines de kilomètres de Niort, à la tête de leur propre entreprise.

Les produits transformés (ici des rillettes) sont principalement distribués dans les magasins bio des alentours. © Marguerite Legros

Une opportunité qu’ils ont pu saisir grâce à Fermes En ViE (FEVE), un nouvel organisme qui aide des agriculteurs à s’installer sur des fermes diversifiées et collaboratives, via l’épargne citoyenne. La ferme de Magnantru est le tout premier projet financé par ce biais. Les terres et les bâtiments ont été ainsi achetés par plusieurs citoyens investisseurs regroupés au sein d’un groupement foncier agricole. Camille et Raphaël n’ont eu qu’à racheter le cheptel et le matériel qui appartenaient à l’ancien propriétaire.

Camille et Raphaël ont repris le cheptel de 18 vaches Parthenaises de l'ancien propriétaire et ont racheté 8 vaches Bazadaises, une race plus rustique. © Marguerite Legros
On a fait le constat de la difficulté de trouver et de financer du foncier pour les porteurs de projet.

Leur investissement déjà important de près de 150 000 euros (hors achats complémentaires) se tient pourtant loin des 700 000 euros environ nécessaires pour reprendre l’intégralité de la ferme. Ça aurait été beaucoup pour la banque, explique Camille, certaine qu’une demande de prêt de cette ampleur n’aurait pu aboutir, surtout pour une reprise hors cadre familial. Une telle dette aurait été de toute manière une charge trop lourde pour ces jeunes exploitants en phase d’installation. On est dans une génération d’agriculteurs où on a vu les autres en baver, s’endetter à vie, s’en mettre beaucoup sur le dos. Souvent ça finit mal, résume la jeune agricultrice.

Avec le système pensé par FEVE, les porteurs de projet comme Camille et Raphaël sont locataires pour vingt-cinq ans. Ils bénéficient à l’issue d’une période de sept ans d’une option d’achat du foncier à prix préférentiel. Là, on a quand même sept ans devant nous. Sept ans de filet de sécurité, se rassure Camille. Au-delà de l’aspect financier, FEVE fournit un accompagnement aux porteurs de projet sur les aspects financiers et les perspectives d’évolution. C’est aussi ce qui nous a décidés, souligne l’agricultrice. On ne s’est pas jetés tous seuls dans la fosse aux lions !

La possibilité d'installer un maraîcher sur le terrain est en cours d'étude. © Marguerite Legros

Respecter le vivant

Faciliter ainsi l’accès aux terres pour des projets agroécologiques est au cœur du projet FEVE, lancé fin 2020 par Astrid Tarteret et ses trois associés, Marc Batty, Simon Bestel et Vincent Kraus. On a fait le constat de la difficulté de trouver et de financer du foncier pour les porteurs de projet, explique Astrid. Autre épine dans le pied des candidats à l’installation : la taille des exploitations, qui sont généralement surdimensionnées par rapport au projet.

De là est née l’idée de mettre plusieurs porteurs de projet sur un même lieu en favorisant des projets de polyculture-élevage. Concrètement, différents ateliers sont mêlés et permettent un fonctionnement circulaire sur la ferme. Les récoltes des uns nourrissent les bêtes des autres, les déjections des cheptels fertilisent la terre. L’objectif, à terme, est ainsi de permettre l’installation d’autres agriculteurs aux côtés de Camille et Raphaël dans une organisation diversifiée de ce type. Tous devront respecter la charte agroécologique mise en place par FEVE. On signe une charte avec obligation de travailler en bio, explique Camille.

Les 6 propriétaires, la FEVE, Camille et Raphaël se sont réunis à la ferme à l'occasion d'un week-end d'inauguration au mois de novembre. © Marguerite Legros

Pour la ferme de Camille et Raphaël, comme pour le deuxième projet financé grâce à FEVE, la forêt de Higas, une structure juridique regroupant les citoyens investisseurs a été mise en place. Les prochains projets pourront passer par la foncière solidaire de FEVE, opérationnelle depuis le mois de novembre 2021 et déjà dotée de plus d’un million d’euros. Du côté des investisseurs, on sent une motivation assez forte, se réjouit Astrid. Beaucoup de gens font de petits gestes mais cherchent à faire plus. Ils ont envie de placer leur épargne autrement : dans des projets qui ont du sens, où il y a plus de transparence.

Après le financement de cette ferme d'élevage, c'est l’une des plus grandes forêts comestibles d’Europe qui a pu s’installer dans les Landes grâce au financement citoyen. © Marguerite Legros

Amélie Faure, l’une des propriétaires de la ferme de Magnantru, fait partie de ces investisseurs d’un nouveau genre. Il y a un besoin de réinventer un modèle agricole qui fonctionne mieux, qui respecte l’environnement. Si mon argent peut servir à ça, tant mieux, résume cette passionnée d’agriculture. Elle a à cœur de rendre visite régulièrement à Camille et Raphaël pour mettre un supplément d’âme dans son investissement. Ce n’est pas un pur placement financier. On a envie de voir comment ça évolue, de créer des relations interpersonnelles avec les exploitants, de comprendre les problématiques et de les aider si besoin.

Camille et Raphaël élèvent également des oies. © Marguerite Legros

4 commentaires

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  1. Bonjour, je suis Vincent, un des fondateurs de FEVE et me permets de répondre à vos commentaires, en particulier pour vous expliquer en quoi notre démarche diffère de celle de Terre de Liens et la complète plutôt que la concurrence. Car nous pensons aussi qu’il est inutile de recréer une n-ième solution quand celles qui existent répondent déjà aux besoins des personnes qui s’installent.

    Nous avons consacré plusieurs mois à échanger avec des porteurs de projet à l’installation agricole afin de mieux comprendre leurs enjeux et difficultés. Il en est ressorti notamment que – pouvoir devenir propriétaire à terme – était un critère important pour les personnes qui s’installent (sur près de 700 porteurs de projet interrogés, plus de la moitié nous ont dit vouloir devenir propriétaire). Pour cette raison, nous avons choisi de proposer une solution de financement à la reprise de ferme avec une option d’achat à partir de la 7eme année, proposition que nous voyons comme complémentaire à ce que propose Terre de Liens qui ne souhaite pas donner cette possibilité d’acquisition pour les porteurs de projet.

    J’espère que cela répond à vos observations et interrogations !
    N’hésitez pas à nous contacter en venant sur notre site si ce n’est pas le cas.

    Bien cordialement

  2. c’est dommage : Terre de Lien propose une épargne citoyenne à une plus grande échelle: unissons nous au lieu de nous diviser

    1. Effectivement, j’ai pensé comme vous. C’est une super initiative, mais qui rappelle en effet Terre de liens qui existe depuis 2003, soit presque 20 ans.

    2. Je partage votre observation
      J’ai pensé comme vous , étonnée qu’on ne parle pas de l’association Terre de liens,
      qui existe depuis une dizaine d’années au moins je crois .
      Et triste qu’une initiative précieuse soit reprise comme nouvelle , alors qu’il faudrait se regrouper pour developper ce qui existe déja .

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