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Tatie Pod'vache a encore frappé

Tatie a dit : « L’insecte, c’est l’ennemi de l’agriculteur »

À chaque fois c’est la même chose ! Après le dessert, quand elle boit son digeo, Tatie Pod’vache ramène sa fraise… C’est fou : des certitudes, elle en a plein ! Mais elle tombe rarement juste. Cette semaine, elle nous a dit : Les insectes ce sont les ennemis des agriculteurs. On a failli s’étrangler et puis on lui a tout expliqué.

— Ah, ma chère Tata ! Dans le fond, tu n’as pas tort : les agriculteurs et les insectes se font la guerre depuis des décennies. Mais si nous faisions fausse route ? Et si nous cherchions plutôt à faire la paix ? Oui, je vois bien que tu te moques… Tu penses que c’est un rêve à cheveux longs ! Et pourtant… Laisse-moi te présenter quelqu’un de très sérieux. Il s’appelle Adrien Rusch, il est chercheur à l’Inra, et il a des choses à dire sur le sujet.

Par une extraordinaire facilité d’écriture, Adrien Rusch apparaît subitement dans la pièce. Tatie Pod’vache se croit victime d’hallucination. Elle se frotte les yeux, se sert un grand verre de kirsch puis l’interpelle :

— Vous êtes qui vous ?

— Je suis Adrien Rusch, et je m’intéresse depuis dix ans aux services que peut nous rendre la biodiversité. Plus particulièrement, mon domaine concerne les auxiliaires de culture : c’est-à-dire les prédateurs ou les parasites qui rendent des services aux agriculteurs. Parmi les auxiliaires de culture en question, on trouve des insectes, mais pas seulement…

Incrédule, Tatie lève les yeux au ciel : 

— Ils rendent service ? Ils font les courses et la vaisselle, c’est ça ?

— L’exemple que tout le monde connaît, c’est celui du ver de terre qui entretient la fertilité du sol. Mais il y a des auxiliaires bien moins connus. Par exemple, les carabes sont des insectes qui ont le double avantage de manger les pucerons, mais aussi les graines de mauvaises herbes. Les araignées sont plus généralistes et mangent tout un tas d’insectes : grâce à elle, on peut espérer réduire la quantité de pesticides utilisés. La chauve-souris, de son côté, va plutôt manger les papillons lépidoptères, qui sont notamment dangereux pour la vigne. Il existe même des insectes (certains staphylins) qui sont mycophages, c’est-à-dire qu’ils mangent les champignons potentiellement nuisibles aux cultures. Et ainsi de suite… On en découvre tous les jours !

Tata pouffe : 

— Ah ! Mais vous les découvrez comment ? Vous allez les compter, les bestioles ?

— Exactement. Une grosse partie de notre métier consiste d’abord à faire des échantillonnages dans les champs, avec des pièges ou des filets par exemple. Ensuite, en laboratoire, on compte les individus et on les identifie. Il faut souvent se servir d’un microscope. 

— Et comment vous savez ce que la bestiole elle mange ? Vous allez voir dans son ventre ?

— Tout à fait ! Par exemple, si l’on veut connaître le régime alimentaire d’une carabe, on va prendre un tout petit scalpel, l’ouvrir, prendre son système digestif, puis faire des analyses ADN pour retrouver tous les petits animaux qu’elle a mangés. On fait des analyses similaires avec l’abdomen des araignées.

Tatie recrache son kirsch. L’image est trop grotesque.

— Dites, ça fait longtemps qu’avec nos impôts, on paye des chercheurs pour qu’ils ouvrent le ventre des araignées ?

— C’est au début des années 1980 qu’émerge l’agroécologie ; en France, cela fait plus de vingt ans qu’à l’Inra, au CNRS et dans les universités, des chercheurs travaillent sur ces questions… Pourtant elles ne sont pas nouvelles ! C’étaient auparavant des savoirs empiriques ; déjà, chez Pline l’Ancien, on trouve des textes sur l’utilité de la biodiversité, même si le terme n’existait pas à l’époque. Les paysans ont toujours su que certaines choses fonctionnaient. Aujourd’hui, on veut savoir pourquoi elles fonctionnent, pour les maîtriser encore mieux.

Ici, le narrateur intervient dans la conversation pour essayer, en vain, de paraître intelligent :

— Ce que vous essayez de dire, Adrien, c’est que plus il y a de biodiversité, mieux c’est pour l’agriculteur. N’est-ce-pas ? 

— Globalement le consensus va dans ce sens. Mais si on regarde dans le détail, les choses sont plus compliquées. Dans certains cas, il n’est pas nécessaire pour l’agriculteur d’avoir une grande biodiversité  : par exemple, sur certaines parcelles, une seule sorte de guêpe parasitoïde peut éliminer 95 % des pucerons à un moment donné. Une seule ! Dans d’autres cas, c’est pire : la biodiversité peut avoir des effets négatifs. Par exemple, on observe des parcelles où les araignées et les carabes sont si nombreux qu’ils auront tendance à se manger les uns les autres, plutôt qu’à manger la proie qui intéresse l’agriculteur. D’ailleurs, on valorise la biodiversité, mais on interroge jamais ce terme…

— C’est-à-dire ? 

— Pour l’agriculteur, toutes les biodiversités ne se valent pas. Imaginons que, sur une parcelle, il y ait cinquante espèces différentes, mais qu’elles mangent toutes la même chose, aux mêmes heures, etc. Bref. Cinquante espèces avec, en gros, le même comportement. On pourrait dire qu’en abondance et en nombre d’espèces, c’est une belle biodiversité. Mais en termes de diversité fonctionnelle, c’est nul. Et ce concept de diversité fonctionnelle est relativement récent. On commence à peine à l’explorer. Pourtant, du point de vue agricole, c’est bien cette biodiversité-là qui nous intéresse.

Tatie Pod’vache croit déceler une faille dans le raisonnement du chercheur :

— Bon, très bien, il y a des gentilles bestioles qui rendent des services. Et puis quoi ? Le paysan, comment il fait pour les avoir chez lui, il passe une annonce ? 

— L’essentiel, c’est d’offrir des refuges et de la nourriture aux fameux auxiliaires. On peut planter des arbres, des haies, mais ce n’est pas tout. Les bandes enherbées, les fossés et les ruisseaux sont aussi très importants. Pour les chauves-souris, le bâti agricole sera même plus déterminant encore, car elles adorent passer la nuit dans les vieilles granges. Et puis, bien sûr, les pratiques agricoles, ça compte aussi…

Là, le narrateur voit une nouvelle occasion de défendre son agenda politique : 

— Voilà. Tu entends, Tata ? Ce que le monsieur veut dire, c’est qu’en termes de biodiversité, l’agriculture biologique fait mieux. N’est-ce pas ? 

— C’est plutôt vrai. L’agriculture biologique permet en général d’augmenter l’abondance ou le nombre d’espèces de 20 à 30 %. 

Adrien, qui finit par manquer de salive, se sert également un verre de kirsch. Puis il reprend :

— Pour la rotation des cultures, le cas est plus complexe. Globalement, à l’échelle du paysage, diversifier les rotations, c’est une bonne chose. Mais, si on regarde de près, cette pratique peut perturber certains auxiliaires de culture, car ce ne sont pas les mêmes qui habitent dans le blé, le colza, le tournesol… Il faut donc pratiquer la rotation de manière intelligente, afin que les animaux puissent se déplacer d’une parcelle à l’autre et que chacun trouve « le gîte et le couvert » sans trop de difficultés. 

Le narrateur, qui aurait aimé des réponses univoques, soupire de déception :

— J’ai l’impression qu’il n’y a jamais solutions simples…

— Malheureusement, non ! Il y a des contextes extrêmement différents, en fonction des climats, des sols, des cultures environnantes, etc. Il faut tailler des solutions sur-mesure, en partenariat avec les agriculteurs. Des solutions qui soient viables sur le long terme. C’est ce que nous faisons. Et nous avançons dans le bon sens.

Tatie Pod’vache n’écoutait plus. Le kirsch, manifestement, lui montait à la tête. Soudain lui vint une idée. Elle s’adressa au narrateur : 

— Dis, le truc de tout à l’heure, tu pourrais pas le refaire ?

— Quand j’ai fait apparaître Adrien ?

— Oui. Ce truc-là.

— Mais pour quoi faire ?

— Devine… Je m’ennuie !

C’est alors que, par une extraordinaire facilité d’écriture, une nouvelle bouteille de kirsch apparaît subitement sur la table.

__________

Merci à Lygie Harmand d’avoir fait apparaître Tatie Pod’vache au bout de sa palette graphique.

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