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Ostréiculteurs : sombres héros de la mer

Producteurs de la mer, protecteurs de la Terre

Ostréiculteurs et agriculteurs, même combat. Les producteurs d’huîtres, comme une poignée de leurs homologues de la terre, luttent pour la préservation de l’environnement, la qualité de leur produit et contre les dérives encouragées par l’appel du rendement. Trois d’entre eux, membres de la commission des huîtres de Charente-Maritime (HCM), posent les défis écologiques liés à leur métier.

©Justine Knapp

La triploïde, discrète OGM

Annie Aubier, ostréicultrice depuis 38 ans à Arvert

Entre 280 tonnes et 300 tonnes d’huîtres par an

5e génération d’ostréiculteurs

La profession doit garder une majorité de naturelles, pour la diversité, mais également pour ne pas dépendre des écloseries comme les agriculteurs avec les semences Monsanto.

«  En ostréiculture, on fait la distinction entre deux huîtres  : la naturelle, dite diploïde, et la triploïde, stérile. La loi ne définit pas la seconde comme OGM, mais comme «  un organisme vivant manipulé  ». Scientifiquement, c’est pour ainsi dire la même chose. À la base, elle a été mise au point pour prendre le relai de mai à août, le temps que la naturelle se reproduise. Cela permet de manger des huîtres en été qui ne sont pas enceintes, donc pas laiteuses. J’en propose moi-même à cette période, mais je l’indique, bien que ce ne soit pas obligatoire.

Que les choses soient claires, ce ne sont pas de mauvaises huîtres. Mais il faut les garder sous contrôle. La dérive, c’est d’en faire toute l’année, notamment pour Noël où la demande est forte. Elles se prêtent parfaitement à l’intensif, car on les achète déjà formées et elles sont programmées pour pousser en continu sans que l’on ait à intervenir.

©Justine Knapp

Sauf que quand la triploïde prend le pas, la nature se déséquilibre. Dans les écloseries privées où elle naît, plutôt que le captage traditionnel en mer des bébés, appelés naissains, elle est élevée en batterie, confinée et traitée. En milieu naturel, elle n’est plus du tout adaptée, ce qui est susceptible de dérégler son environnement. En 2008 et pendant les quatre années qui ont suivi, il y a eu une forte mortalité de l’huître, causée par un virus qui se serait développé en partie à cause de ce type d’excès.

La profession doit garder une majorité de naturelles, pour la diversité, mais également pour ne pas dépendre des écloseries comme les agriculteurs avec les semences Monsanto. De toute manière, la naturelle requiert du temps et de l’attention, qui nous encouragent à plus s’y attacher. De rien, on fait un produit sublime.  »

©Justine Knapp

L’huître, un produit de saison qui s’ignore

Jean-François Beynaud, ostréiculteur depuis 33 ans à l’île de Ré

Près de 60 tonnes d’huîtres par an

3e génération d’ostréiculteurs

Après plus de six mois d'affinage, j'évalue la maturité de l'huître selon son goût, comme un vigneron avec ses raisins avant de lancer les vendanges. 

«  Mes huîtres ne quittent pas l’île de Ré, je ne les vends pas à plus de 30 kilomètres. Leur particularité, c’est de n’avoir jamais vu la mer. Elles grandissent en marais uniquement, ce qui leur donne un goût vraiment spécifique, très floral et fruité, aux arômes de noisette et d’amande. L’idée est de proposer un produit moins standardisé en matière de goût que l’huître Gillardeau par exemple. Elle a initié le consommateur, mais certains on en marre de ce moule.

À l’origine de cette méthode d’élevage unique, nous sommes six ostréiculteurs qui avions envie d’un vrai produit de saison, au même titre que les champignons à l’automne. Après plus de six mois d’affinage, la Cybelle, c’est son nom, peut être vendue en septembre ou octobre. J’évalue sa maturité selon son goût, comme un vigneron avec ses raisins avant de lancer les vendanges. Du coup, je perds la clientèle estivale qui s’attend à manger des huîtres en été, et qui se dirige de fait vers la triploïde, la saisonnalité n’étant toujours pas bien intégrée. Quand je dis sur le marché que je n’ai pas cette huître-là parce qu’elle n’est pas goûteuse, une partie des clients me remercie pour la démarche, et l’autre tourne fatalement les talons.

©Justine Knapp

Avant, il fallait produire beaucoup, privilégier la quantité à la qualité. Dans les années quatre-vingt-dix, j’ai fonctionné comme ça pendant près de dix ans, en approvisionnant une cinquantaine de grandes surfaces et restaurants parisiens. Ca a été difficile d’inverser la production, mais l’avènement du tourisme à l’île de Ré grâce aux RTT a permis de développer une clientèle exclusivement locale. On est désormais libres de choisir des méthodes de vente à taille humaine et d’établir nos prix sans se les faire dicter par les grandes surfaces, qui vont toujours au rabais.

Mais encore aujourd’hui, se mettre à la place de l’huître pour l’élever ne va pas de soi. Les poches où elles grandissent, en plastique de surcroit, sont blindées. Résultat, l’eau est vidée de son plancton et les déchets envasent. Ceux qui cèdent ainsi à la politique du rendement y perdent, car la mortalité des huîtres augmente. La Nature les rattrape, mais la réputation de la profession en pâtit. La preuve  : les jeunes ne veulent pas reprendre, découragés d’avance. Ils n’imaginent pas que l’on puisse travailler petit, sans trop grande pénibilité et pour un produit de qualité. Ma fille Léa s’y essaie, mais elle fait office d’exception.  »

©Justine Knapp

Eau polluée, coquillage dévalué

Cyril Pain, ostréiculteur depuis 25 ans au Château d’Oléron

Entre 85 et 100 tonnes d’huîtres par an

3e génération d’ostréiculteurs

Si un Saint-Emilion élevé dans une mauvaise barrique ne donnera pas un bon cru, l'huître non plus en fonction de là où elle a poussé.

La présence d’élevages de coquillages assure une certaine qualité de l’eau. Si ce n’était pas le cas, l’administration, qui contrôle tous les jours, nous interdirait de travailler. On est les surveillants du milieu naturel. Sauf que les sources de pollution majeures proviennent des terres, du monde agricole ou industriel. Les ostréiculteurs se situent en bas de la cascade pour recevoir azote, phosphate, nitrate… Le tourisme n’arrange rien non plus. En passant de 24.000 habitants l’hiver à 200.000 l’été, forcément les risques de pollution sont décuplés. Je pense aux poubelles et divers plastiques abandonnés, bien sûr, mais aussi au réseau d’assainissement, auquel on prête une grande attention car la moindre anomalie nous coûte chère.

©Justine Knapp

Au-delà de l’aspect sanitaire, l’eau relève du terroir et donne un goût spécifique à l’huître. Comme les éleveurs, les ostréiculteurs mettent en place des transhumances, passent les huîtres de parc en parc en fonction de leur âge et du calendrier, avant de les mettre à l’étable, l’équivalent de nos parcs de stockage. Et si un Saint-Emilion élevé dans une mauvaise barrique ne donnera pas un bon cru, l’huître non plus en fonction de là où elle a poussé.

C’est pour ça que je vends en direct et que je ne travaille pas avec les grands groupes. Ils achètent un tarif, et moi j’aime parler de mon produit. Exactement comme en agriculture, soit on choisit le volume en travaillant avec la haute distribution, soit on aborde les choses différemment en indépendant. Cela dit, la profession ne compte pas ses heures, sans vacances et week-ends, pour dégager 1500 euros par mois en moyenne. Ce n’est pas pour rien qu’on nous appelle les paysans de la mer.  »

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