Sur la porte d’un grand bâtiment industriel qui semble avoir toujours été là, une plaque de cuivre nous invite à franchir le pas : MOB HOTEL – OF – THE PEOPLE. – Vous êtes ici chez vous. Entrez sans frapper. Nous voici ici, à Saint-Ouen, dans un hôtel qui nourrit aussi bien le corps que l’esprit. Au menu : une philosophie, un voyage, un monde en mouvement.
Cyril Aouizerate est assis dans le boudoir attenant à la salle de restauration. Sa barbe blanche de hipster, son chapeau de feutre de dandy, sa veste stricte d’homme d’affaires et ses bracelets ethniques de voyageur nous plongent dans l’univers du lieu : un creuset des cultures où les différences s’érigent en richesses. Derrière le quadragénaire, Marx s’offre en poster.
Pas Thierry, le chef de cuisine ici est Brice Morvent, ex top chef particulièrement talentueux. Sur l’affiche surannée, Karl – le philosophe, précise Cyril lui-même docteur en philosophie – nous regarde droit dans les yeux. En tendant l’oreille, on l’entend presque murmurer : Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il faut désormais le transformer.
Des lettres et des chiffres
Pour participer à cette mutation, Cyril quitte rapidement les amphis de la Sorbonne où il enseigne pour passer du côté de l’entrepreunariat. En 1997, il rejoint Alain Taravella du groupe Altarea-Cogedim. Il cherchait une personne atypique pour développer le commerce dans la ville, avec lui j’ai tout appris du montage des projets urbains. Puis il monte dans les années 2000 avec son fidèle associé Michel Reybier et le designer Philippe Starck, la chaîne d’hôtels Mama Shelter qui s’étend aujourd’hui de Marseille à Rio. En 2011, convaincu que l’alimentation est le meilleur moyen de faire basculer des projets du bon côté, de celui de l’entente des communautés, l’entrepreneur philosophe ouvre à Brooklyn MOB, Maïmonide of Brooklyn, un wise food végétarien.
En homme de lettres, Cyril attribue le M du MOB au philosophe du XIIe siècle, qui, déjà en son temps établissait l’importance de la nutrition pour être en bonne santé. L’idée pour moi était de faire découvrir dans un milieu populaire une nourriture conviviale, fraternelle, généreuse tout en étant végane, précise Cyril. Avec son équipe, il tisse des liens avec de nombreux agriculteurs de l’État de New York, beaucoup de néo-paysans surdiplômés et très engagés. Le restaurant cartonne, le Daily news le consacre même meilleur restaurant vegan de New-York.
Je suis végan mais refuse le discours faciste de certains d’entre eux. Épier ce que l’autre met dans l’assiette, c’est pathétique.
De Brooklyn à Saint-Ouen, n’y aurait-il qu’un plat ? Peut-être même qu’une pizza, aujourd’hui la pièce centrale du restaurant du MOB HOTEL que Cyril a ouvert en 2017 à deux pas des Puces. Je cherchais un lieu pour mon concept de MOB HOTEL avec des caractéristiques proches de celles de New-York. Un lieu à la fois mixte et engagé dans une dynamique culturelle. Le 4 de la rue Gambetta sera le havre de cette utopie concrète où les programmes culturels se feuillettent sur des moulins à prière et les toits s’ouvrent aux habitants du quartier qui viennent y cultiver leurs légumes et leurs idées.
« Caravansérail sur la route de soi »
C’est encore une lettre qui détermine la forme du bâtiment. Je voulais un L ou un U, précise l’enfant du Mirail. L. Dans l’abécédaire rédigé par l’écrivain Patrice Franceschi que l’on trouve dans la Préface du MOB (sorte de manifeste du concept présent dans toutes les chambres), le L est celui de Liberté : en écrivant MOB, on épelle liberté. Le dictionnaire admettra peut-être un jour ces deux mots comme synonymes. Quant au U, il n’a rien à voir avec Uniformité, mot rayé nul, mais penche davantage du côté de l’utopie, de l’urbain, notion chère à Aouizerate ou de l’univers qui se découvre une fois la porte franchie.
Il faudrait quelques lignes supplémentaires pour le décrire dans sa dimension sociale où le partage et le faire ensemble éclipsent l’individualisme et le repli sur soi. Citons dans un ordre aléatoire l’absence de télévision dans les chambres, la mise à disposition d’instruments du monde entier (et même de guitares pour gauchers), la bibliothèque de plus de 2000 livres de poche ouverte aux habitants du quartier, les jardins sur les toits, l’incubateur Kolkhozita qui accueille gracieusement la Casa 93, école de mode alternative, la carte 100 % bio du restaurant aux ingrédients sourcés par l’épicerie Biocoop, la distribution de la Ruche qui dit Oui !, l’association les Bienveillants qui soutient le mouvement de l’hôtel, les cours de jardinage, de hip-hop ou de gym suédoise, les théâtres d’ombres chinoises disponibles dans chaque chambre, les terrasses et jardins, les toilettes à la japonaise dans lesquels sont diffusés des conférences de philosophie, la programmation culturelle au coin du feu réunissant les plus grands artistes comme Arthur H ou Keziah Jones, accessible aux clients comme aux habitants du quartier, une literie aux mêmes exigences que les établissements 5 étoiles, le divan de l’autre, un matelas gonflable mis à disposition dans les chambres pour les rencontres de passage, les séances de cinéma en plein air…
Nous voulons mettre en avant ce qui nous est commun, notre appartenance à la famille des Hommes, plutôt que de tomber dans le piège des sirènes identitaires.
Au MOB HOTEL, explique Cyril, nous faisons nôtre la conception de « l’hospitalité » développée par Edmond Jabès dans l’ouvrage du même nom : « Je ne vous demande pas qui vous êtes, ni votre origine, ni le lieu où vous vous rendez ». Car l’hospitalité est d’abord reconnaissance de l’autre dans sa différence, elle est bonheur de recevoir le voyageur et de le protéger dans sa précarité matérielle, au point d’aménager pour lui sa demeure. Et l’entrepreneur de conclure : Quand les musiciens viennent se produire devant les voyageurs et les habitants du quartier, je me dis qu’on a réussi notre pari, créer des lieux mixtes en dehors du temps où il s’y passe des moments d’éternité.
J’ai très envie d’y aller la prochaine fois que j’urai à Paris ! Enfin un lieu » extra ordinaire » comme on en voudrait partout !
Merci pour cet article ?
Bonsoir
Tout le monde est cité même Patrice Franschesqui qui a fait la préface et pas un mot sur nous les architectes d’intérieurs qui ont fait ce que Mob est devenu en passant de longs moments avec Cyril pour comprendre ce qu’il voulait comment le traduire en couleur formes et matières
Kristian Gavoille et Valérie GARCIA
Waouh, quelle bouffée d’oxygène ces êtres humains qui façonnent le monde de demain , en l’ancrant dans le présent et surtout en créant du LIEN au quotidien.
J’habite Paris, mais j’ai soudainement envie d’aller vivre à l’hôtel à Saint Ouen 🙂