Loin de la Colombie ou du Costa Rica, les oiseaux paradent aussi dans le jardin voisin ou sur le port de Dunkerque. De plus en plus d’ornithologues amateurs se tournent vers les espèces du coin ou organisent leurs voyages d’observation à pied ou à vélo.
Pendant le premier confinement de mars 2020, Aurélie a vécu un doux émerveillement. Alors qu’elle télétravaillait pour la première fois dans son appartement proche de Mulhouse, cette ornithologue amateure a pris l’habitude de regarder par la fenêtre, pendant ses réunions, les oiseaux du parc voisin : J’ai réalisé que les oiseaux communs comme les pies bavardes, les rouges-gorges ou les mésanges pouvaient être passionnants, beaux et même étonnants à observer. Je ne sais pas si c’est grâce au silence lié au confinement ou grâce au fait que j’étais plus disponible pour leur prêter attention, mais j’ai ressenti avec eux des choses que je ne ressens d’habitude que lorsque je voyage et me déplace pour observer des espèces beaucoup plus rares. Depuis lors, la trentenaire a totalement changé sa façon de pratiquer sa passion. Elle a décidé d’approfondir sa connaissance des oiseaux de sa région, qu’elle ira rencontrer uniquement à vélo.
Elle n’est pas la seule. Dans la communauté des ornithologues amateurs, nombre de personnes ont pris ces derniers mois, en France comme ailleurs, l’option du local. Ils s’écartent ainsi du cliché traditionnel de l’ornithologue parcourant le monde en avion pour pouvoir « cocher » le plus d’espèces possibles sur sa liste d’oiseaux rares, de la Colombie au Costa Rica en passant par le Kenya ou les détroits des grands fleuves. Il faut prendre la mesure de cette petite révolution dans le rapport entre l’humain et l’oiseau : au lieu de partir loin pour rencontrer certaines espèces que l’on a choisi de voir, on patiente et on se laisse surprendre par les espèces et les individus qui arpentent notre coin.
Prendre le vélo, c’était un challenge ornithologique mais aussi sportif, puisque j’ai fait plus de 3000 km sur l’année.
Et les surprises sont nombreuses. Vincent Le Calvez, ornithologue amateur quinquagénaire vivant en Seine-et-Marne, nous a ainsi raconté avec passion aimer observer les oiseaux dans certains endroits a priori peu adaptés pour l’ornithologie. Comme par exemple lorsqu’il passe dans le port de Dunkerque, dans le Nord : C’est un endroit magnifique, qu’on peut rejoindre facilement en transport en commun. C’est plein d’oiseaux, on voit des canards plongeon, des harle huppé, des labbe pomarin. On voit même des oiseaux qui nichent en Laponie et qui passent l’hiver à Dunkerque comme le bruant des neiges. On se dit qu’ils arrivent là alors qu’ils viennent de zones où il n’y a quasiment pas d’êtres humains, c’est fou. Pour moi c’est encore plus intéressant que la réserve du Marquenterre qui est dans la même région et qui est malheureusement entourée de zones de chasse.
3000 kilomètres en silence
L’un des sites internet de référence pour les ornithologues amateurs français, cocheurs.fr, s’est adapté à la tendance. Ses animateurs ont créé des défis invitant les observateurs à s’intéresser aux oiseaux locaux. L’un des défis, baptisé Yearlist verte (Localbigyear à l’étranger), consiste à répertorier les oiseaux rencontrés dans un rayon de 10 kilomètres autour de chez soi sans jamais prendre la voiture. Et ça change tout ! Vincent Palomarès, l’un des ornithologues les mieux classés en 2021 dans ces défis, assure avoir redécouvert sa propre passion : J’habite au nord de la Drôme. C’est un endroit où l’on voit moins d’oiseaux qu’en zone littorale. J’ai donc longtemps fait beaucoup de voiture pour aller les observer. En 2021, j’ai décidé de plutôt prendre le vélo. C’était un challenge ornithologique mais aussi sportif, puisque j’ai fait plus de 3000 km sur l’année, avec des journées à plus de 100 km.
Le défi apporte son lot de récompenses : à plusieurs reprises, ce professeur de SVT a pu repérer des oiseaux sur son chemin grâce au silence et à la lenteur de son cycle : Quand on roule à moins de 15 km/h, le vent ne gêne pas l’audition. Quand on passe dans des zones fréquentées par les oiseaux migrateurs notamment, on a à l’oreille une impression d’abondance et une idée assez précise des espèces qui passent autour de nous. Ça m’est arrivé de pouvoir repérer le cri d’un gobemouche à collier ou d’entendre une bande d’étourneaux roselin au bord de la piste. En voiture, je les aurais sûrement ratés.
Vincent Le Calvez a vécu des étonnements semblables. Il avait déjà pendant son enfance pratiqué l’ornithologie autour de chez lui, dans les parcs de la région parisienne. Une fois adulte, il avait pris l’habitude de prendre la voiture pour observer les oiseaux. En retrouvant le vélo en 2020, il a divisé par deux son nombre de kilomètres parcourus en voiture dans l’année. Mais il a aussi retrouvé des espèces qu’il aimait observer dans sa jeunesse. Il cite notamment les martinets noirs, des oiseaux fabuleux que l’on peut observer depuis une fenêtre ou un balcon, ou les mésanges bleues dont le comportement riche peut encore étonner même après plusieurs décennies d’observation. J’ai appris très récemment qu’elles choisissent des graines de plantes aromatiques pour leur nid parce qu’elles ont un effet antiseptique.
Ces retrouvailles l’alertent un peu plus sur la baisse de biodiversité commune : Quand j’étais ado, on voyait de façon très commune des moineaux friquets, qui sont des cousins du moineau domestique. Aujourd’hui, je constate qu’ils sont extrêmement rares, du moins en Seine-Saint-Denis. Il y a même des espèces considérées comme communes dont les effectifs baissent tout de même. Les mésanges bleues ou les charbonnières, on en voit beaucoup par groupes, mais ils sont beaucoup moins denses par rapport à ce que je lis dans mes carnets d’observations d’adolescent. De quoi le motiver encore davantage à mener des démarches de comptage dans le cadre des programmes d’observations et de sciences participatives (sur les sites de la Ligue de protection des oiseaux, du Muséum national d’Histoire naturelle, ou sur Faune-France).
Que les amoureux d’exotisme se rassurent. Au final, ce boom de l’observation locale n’empêche pas de s’accorder des rencontres étonnantes comme nous le raconte Vincent Le Calvez : Il y a deux ans, j’ai appris qu’une fauvette de Rüppell s’était installée dans un camping en Camargue. C’est un oiseau extrêmement rare en France. Je suis parti au petit matin, à 4 h je crois. J’ai pris un bus de nuit, puis un RER, puis un TGV et puis encore deux bus. À 13 h, j’étais devant la fauvette de Rüppell. C’était magique !
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