Des invendus de supermarché pour cuisiner, du troc avec les Restos du cœur pour glaner les denrées à transformer, et des menus à moins de 10 euros. À Aouste, dans la Drôme, les bénévoles du restaurant associatif L’élabo de Paulette ne remuent pas que le contenu de leurs casseroles.
Jean et Artur épluchent le fenouil ce matin. Artur sans h me précise le petit monsieur barbu. L’homme, au léger accent allemand manie bien le couteau. Il a été cuisinier par le passé. Avec Jean, un ami depuis vingt ans, ils donnent un coup de main au restaurant tous les vendredis. Eve, la cuisinière, les récupère en voiture à Crest, la petite ville où ils habitent, pour rejoindre L’élabo de Paulette, le restaurant associatif situé à Aouste, à trois kilomètres.
Le projet mûrit depuis des années grâce à elle : cet établissement deviendra aussi un lieu culturel, un espace de convivialité et de mixité sociale. En pleine crise du Covid et après des mois de chantier solidaire pour remettre en état cet ancien restaurant qui avait déposé le bilan, l’équipe de L’élabo s’est tournée vers la vente à emporter. Eve s’était mise aux fourneaux, il faisait froid dans le local pas encore bien isolé, mais les clients se pressaient pour venir chercher des menus à 6 euros, pour ne plus se faire à manger, se faire plaisir, goûter à une cuisine du monde. Depuis, six mois plus tard, la terrasse ombragée sous la vigne et le petit jardin de l’ancien Temple Protestant prêté par la commune, leur tend les bras. Au menu du jour, salade mechouia, poulet, légumes à l’orientale avec semoule et crémeux aux fruits en dessert.
Troc fruité
En sirotant un café en terrasse, on rencontre l’une des bénévoles, Carole. En général, les volontaires de l’association s’engagent à travailler quatre heures le matin, une fois par semaine. Ce jour-là, elle a fait de la ramasse à l’Intermarché du coin et a récupéré du lait maternisé. Pas de quoi entrer dans les ingrédients de la cuisine d’Eve. Du coup, il sera échangé avec les Restos du cœur contre une autre denrée. Carole et Nathalie Martin, la responsable des Restos à Crest, s’appellent souvent pour organiser ces mouvements. L’été est par exemple l’occasion de récupérer des fruits très mûrs, propices à la transformation au restaurant (bien que cette année, les abricots et les pêches soient rares à cause d’un gros épisode de gel au mois d’avril qui a détruit 80 % de la récolte). C’est tout l’enjeu du projet : créer un circuit de récupération alimentaire pour le restaurant et favoriser le troc avec les associations d’aide alimentaire.
Soupe populaire
Eve a grandi dans le quartier de la Belle de mai, à Marseille. Un souvenir décisif dans son parcours ? Elle pouvait manger pour 5 francs grâce au restaurant de quartier tenu par des femmes africaines. Elle a ensuite longtemps travaillé dans le social, dans des MJC et en lien avec des jeunes délinquants. Cuisinière pour une compagnie de spectacle de rue pendant quelques années, elle a appris à confectionner des bons repas à moindre coût. Je me suis inspirée d’un collectif à Lyon qui après le marché récupère les invendus de légumes pour préparer une soupe pour les gens de la rue.
Eve ne s’appuie que partiellement sur la récupération alimentaire, elle achète encore une bonne partie des denrées nécessaires. Parallèlement, Carole s’occupe de démarcher les boutiques et les maraîchers. En six mois, les partenariats se sont mis en place. Par exemple, la ferme du Bouligats à Montmeyran livre gratuitement ses invendus et surplus. Des légumes de garde comme des patates, courges, patates douces… La ferme des Capri’cieuses de Grâne et la Chèvre qui saoûrit ont apporté dernièrement un gros seau de picodon, le fromage de chèvre d’ici, précise Eve.
Depuis décembre 2020, L’élabo met à disposition de Val’Acceuil, le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) situé à Aouste, cinq repas gratuits par jour. Mais les quelques kilomètres jusqu’à Crest ne permettent pas à beaucoup de personnes de venir manger, même gratuitement, sans voiture à disposition. Et les transports en commun sont encore trop rares dans cette vallée rurale.
Deux personnes seront prochainement salariées au restaurant : Eve elle-même, et son amie de longue date, Nelly, serveuse. J’ai un petit garçon, je ne pouvais plus travailler dans la restauration classique vu les horaires. Mais ici, on ouvre du lundi au vendredi à midi, c’est le bonheur. Le menu sur place oscille entre 9 et 11 euros, 6 à emporter. Les restrictions sanitaires ne permettent pas encore d’installer une grande table à l’intérieur du restaurant pour que les clients mangent ensemble, mais ils sont nombreux, entre 30 et 40, à pousser la porte de ce lieu accueillant.
Des premières soirées musicales sont prévues, avant que soit développée la deuxième partie du projet : transformer le local en café culturel les vendredis et samedis soir, et consacrer des après-midi à des ateliers cuisines. Aujourd’hui, l’association a tenu grâce à la location à bas coût (le restaurant a ouvert avec 50 euros de trésorerie). Mais la pérennité du projet s’installe progressivement. Le local sera prochainement sécurisé car racheté par un propriétaire à qui le projet plaît. Le même qui a investi dans l’Épicerie Géniale, à moins de 300 mètres.
restaurant et équipe super sympa.
Il faudrait plus de projets comme celui là.
Plein de bonnes choses pour la suite