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Absinthe au pays des druides

La fée verte est de retour

Près de Rennes, Julien Fanny s’est lancé il y a six ans un défi fou, celui de créer sa distillerie et d’y produire de l’absinthe bio, quelques années à peine après sa réautorisation en France.

Dans l’absinthe, on trouve la plante absinthe, ainsi que de l’anis et du fenouil. Ensuite, cela varie en fonction de la recette (menthe, citronnelle, hysope, racines d’angélique, badiane…). © Thomas Louapre

C’est un bâtiment commercial comme on en voit partout aux abords des villes, derrière un supermarché et une station-service. À l’intérieur pourtant, rien de classique : des plantes séchées dans de grands sacs, des palettes remplies de bouteilles, des cuves et bidons par dizaine et, surtout, deux superbes alambics en cuivre. Nous sommes chez Awen Nature, à La Bouëxière, à une vingtaine de kilomètres de Rennes, dans la distillerie de Julien Fanny.

À 36 ans, le jeune homme est un passionné de plantes depuis toujours. Plus jeune, je fabriquais des teintures mères, des onguents, des liqueurs… Il se tourne pourtant vers un autre domaine, celui de la ferronnerie d’art. Forgeron pendant une petite dizaine d’années, il est contraint d’arrêter pour problèmes de santé. Un crève-cœur, mais il a fallu rapidement réfléchir à faire autre chose. Je suis parti dans le Sud retrouver ma tante Moutsie, ethnobotaniste et formatrice. J’y ai appris la cueillette et la transformation des plantes en cosmétiques notamment.

La distillation prend entre vingt-quatre heures et quarante-huit heures. L’alambic est chauffé au gaz, pour une température constante. © Thomas Louapre

Il passe ensuite plusieurs mois chez une savonnière, qui va le former sur les normes et étiquetages, lui apprendre à diriger une entreprise, à mettre en place des fiches de fabrication de produits… De retour en Bretagne, je me rends compte qu’une savonnière a déjà été créée et décide de me lancer dans une distillerie, puisque je m’intéresse aussi à la fabrication d’alcools depuis longtemps, raconte-t-il.

En 2014, l’aventure est lancée avec un défi fou : celui de l’absinthe, dans une région pas vraiment connue pour cela (on en produit surtout du côté de Pontarlier, en Franche-Comté). J’ai appris seul la distillation en me renseignant, en lisant de vieux ouvrages, et, pour le côté théorique, en étudiant au Centre international des spiritueux de Ségonzac. Julien Fanny passe alors des nuits entières à réfléchir, noter et tester des recettes.

L’absinthe de Julien Fanny s’élève à 60 %. « Une vraie bonne absinthe n’est pas forcément très forte, contrairement à ce que j’entends souvent et, en général, quand le taux est trop important, on peut penser qu’elle est chimique, avec l’utilisation d’arômes plutôt que de plantes séchées. » © Thomas Louapre

Le pari est osé, trois ans après la réautorisation officielle de commercialisation de l’absinthe — même s’il était possible d’en produire depuis 1999, en l’étiquetant « spiritueux aromatisé à la plante d’absinthe ». Interdite un siècle plus tôt, en 1915, elle était accusée de rendre fou, criminel, de provoquer des hallucinations. On pointait notamment du doigt l’une des molécules présente dans la plante, la thuyone. On disait que l’absinthe en contenait 100 g/litre, alors qu’en réalité, c’était autour de 10 à 15 mg/litre !, détaille Julien, intarissable sur l’histoire de cet alcool.

À l’époque, au XIXᵉ siècle, tout le monde, et pas seulement Verlaine ou Toulouse-Lautrec, buvait de l’absinthe. Elle représentait 95 % de l’alcool vendu en France ! Il y avait aussi bien sûr de l’absinthe frelatée, mais les pouvoirs publics ont fait le choix de diaboliser l’alcool fort. Ce qui rendait fou, ce n’était pas l’absinthe, mais tout simplement l’alcoolisme… Pour tenter de l’enrayer, on a donc rendu l’absinthe illégale. Et le lobby du vin n’est pas tout blanc dans cette histoire. Le secteur viticole se remettait juste de la crise du phylloxera, il lui fallait donc reprendre sa place dans nos verres. Les soldats de la Première Guerre se mirent d’ailleurs à en consommer énormément…

Diaboliser l’absinthe et mettre l’accent sur les alcools moins forts, tel a été le choix des autorités au début du XXᵉ siècle. © Thomas Louapre

Et dans l’esprit des Français, les histoires autour de l’absinthe sont toujours bien présentes… Il m’arrive régulièrement, sur des marchés, de me faire alpaguer par des personnes me disant que ça rend fou, que je n’ai pas le droit d’en vendre… J’essaye d’expliquer calmement et avec pédagogie que ce n’est pas le cas, en racontant l’histoire de l’absinthe, ses vertus médicinales — digestives, et permettant aussi de lutter contre la fièvre et les règles douloureuses — mais ce n’est pas toujours simple. C’est parfois un peu décourageant car je produis avec soin un alcool de très haute qualité !

Pour déguster l’absinthe, mettez-en entre 2 et 4 cl dans un verre, puis placez dessus une cuillère et un sucre (à l’époque, plusieurs…). Il ne reste qu’à verser lentement de l'eau très froide goutte par goutte sur le sucre jusqu'à ce que celui-ci se dissolve. L’eau permet de révéler le bouquet d’arômes (et pas seulement la saveur anisée). © Thomas Louapre

Et puisqu’il aime les paris, Julian Fanny a décidé dès le début de faire de l’absinthe bio — il était, en 2014, le premier en France. Une évidence pour moi, aucune envie d’empoisonner les clients ! Il se fournit auprès de l’Amante verte, un producteur de plantes aromatiques d’Ille-et-Vilaine, de divers grossistes et cueille aussi lui-même certaines plantes, dont une « mystère », présente dans l’une de ses absinthes, la rouge. Les autres ingrédients ? De l’alcool de blé bio à 96 %, de l’eau de source… et c’est tout !

Le marché de l’absinthe étant encore à ses balbutiements en France (100 000 litres produits, chiffres 2017), Julien Fanny propose aussi divers autres alcools. Le gin, qui rencontre un succès grandissant, la vodka, mais aussi le rhum, pour lequel je fais macérer des plantes que je distille ensuite, et certainement bientôt du whisky, dont je travaille en ce moment une recette. Ses spiritueux sont vendus un peu partout en France, chez des cavistes, dans des bars, des restaurants, ainsi qu’en direct et en ligne.

Julien Fanny propose en tout cinq absinthes : la rouge, la safran, la finn blanche (7 plantes), la finn délice (10 plantes) et la fameuse verte, qui manquait le jour du reportage. © Thomas Louapre

3 commentaires

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  1. L’absinthe (ou armoise) correspond effectivement à l’artemisia absinthium.
    Les effets de la tisane d’artemisia n’ont pas encore été suffisamment et rigoureusement étudiés. Si vous voulez en boire, pourquoi pas mais attention aux contre-indications (en cas de problèmes des voies biliaires, calculs rénaux, problèmes de foie, ulcères de l’estomac, épilepsie) et aux effets indésirables (en cas de surdosage : vomissements, diarrhées, vertiges, convulsions).

  2. est ce que l absinthe est faite avec l artemesia la plante qui est utilisee dans la tisanec anti covid de madagascar ?

    1. La plante utilisée à Madagascar est l’artemisia annua et non l’artemisia absinthium !!!
      Cela fait toute la différence et toute l’efficacité !

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