Voyager sans prendre l’avion ? Fastoche. C’est dans cet état d’esprit bien fougueux que j’ai entrepris de fouler le sol marocain au début du mois de mars 2020. Sans céder au chant des sirènes du kérosène et dans l’espoir qu’on me jette des fleurs pour ce sacrifice insensé. Mais en fait, non. Pas de fleurs et une tentative infructueuse à cause d’une des plus grosses pandémies de tous les temps.
La grande épopée
Paris > Casablanca : 2336 km. L’itinéraire Google maps m’indique 23 heures et 54 minutes de trajet en voiture ou 440 heures si je choisis d’y aller à pied (soit 18,3 jours sans dormir). Contrainte majeure : je n’ai que deux semaines devant moi.
Et déjà, pourquoi se passer de l’avion ?
L’avion c’est génial, ça va super vite et ça coûte pas cher. Oui, mais. C’est aussi un des moyens de transport les plus polluants (surtout les court-courriers, 25 % des émissions carbone du trajet se concentrent sur le décollage et l’atterrissage). À l’heure actuelle, on impute en moyenne 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre au trafic aérien (hors période de confinement mondial).
Premier arrêt, Perpignan. Train de nuit et cabine partagée avec d’autres voyageurs (on est encore en mars, et donc à l’aise avec l’idée de passer la nuit à moins d’un mètre de gens qui toussent très fort, YOLO). Escale de vingt-quatre heures, juste le temps de faire un coucou à la famille. C’est vraiment beau le slow travelling, ça permet de renouer des liens, de partager, de… Ouais, ouais, bon, super, mais demain à 11 h, on a un train qui décolle pour Séville, donc on n’est pas là pour beurrer des biscottes.
Et paf, train annulé ! La Renfe en grève ! Les cieux s’abattent sur nous ! Qu’allons-nous devenir ? Ouf, une alternative est vite trouvée : un bus a la bonté de nous emmener de Perpignan à Séville. C’est parti pour dix-huit heures de pur kif, on passera une nuit dans le bus plutôt qu’à l’hôtel (pas un Airbnb, quelle horreur, vous me prenez pour une capitaliste forcenée capable de soutenir une entreprise qui ne paye pas ses impôts en France ? NO WAY). En attendant, les billets de train ne sont pas remboursés… Ma conscience écologique reste sauve mais mon portefeuille tire la tronche. Heureusement, les orangers de Séville apaisent ces basses considérations économiques. La chambre sans fenêtre de l’hôtel, beaucoup moins.
Trois jours de soleil, de tapas et de flamenco s’étendent gracieusement devant nous avant que l’on se rende au sud de l’Andalousie afin d’embarquer dans un ferry et rejoindre Tanger. Les bus au départ de Séville proposent principalement un trajet vers Tarifa, mais étrangement les trajets Algésiras/Tanger sont deux fois moins chers que Tarifa/Tanger. Loin d’être des pigeons, nous optons pour cette nouvelle option. Un contrôle à l’entrée du ferry d’Algésiras nous impose une brève prise de température. Il faut dire que depuis deux jours, les infos ne parlent plus que de l’Espagne comme deuxième plus gros foyer du Covid-19 et on croise absolument tous nos doigts pour ne pas être refoulés ou mis en quarantaine une fois arrivés au Maroc.
Fort heureusement, les consignes drastiques de sécurité ne sont pas encore appliquées et notre température indique que nous sommes aptes à ramener nos miasmes au royaume de Mohammed VI. Fort malheureusement, on s’est totalement plantés de destination : arrivée surprise dans la zone industrielle de Tanger Med, à soixante bornes de Tanger (d’où le faible coût du trajet que nous croyions être une offre promotionnelle destinée aux baroudeurs aguerris). Peu importe nous voilà arrivés au Maroc, plus qu’une nuit dans un hôtel miteux avant de profiter d’un dernier trajet sur la toute nouvelle ligne à grande vitesse Tanger/Casablanca. Youhou ! Arrivés à destination sans toux, sans fièvre et sans certitude de pouvoir rentrer chez nous. Trois jours avant le début du confinement en France.
Et sinon, pire que l’avion, y’a le paquebot.
Un trajet en bus émet 6 fois moins qu’un trajet en avion. En train, c’est carrément 60 fois moins d’émissions (Patrice Chéreau avait raison, ceux qui m’aiment prendront le train). Le paquebot en revanche remporte la palme de la lose, l’association France Nature Environnement (FNE) a mesuré un taux de particules fines jusqu’à 100 fois plus élevé dans un ferry qu’en centre-ville. La faute au fuel lourd, un carburant très chargé en soufre qui est brûlé même quand les navires sont à l’arrêt.
Pourquoi les trajets en avion coûtent que dalle ? L’aviation n’a jamais eu à payer de taxe sur le kérosène depuis 1944.
Bilan des courses : 6 jours de déplacement, 1 train de nuit, 3 bus, 1 ferry, 1 taxi, 1 TGV. Plus ou moins 38 heures de trajet. Plus ou moins 600 € pour deux personnes. Quid du bilan carbone ? On se félicite grandement d’avoir résisté à l’appel aérien de Paris/Casa aller/retour à 200 € par personne, mais en réalité il est difficile de prouver à quel point notre trajet est plus louable sur le plan écologique, tant le coût énergétique du bateau nous fait ramer. En revanche, il est vachement plus sympa mais aussi vachement plus cher.
Et au fait, pourquoi les trajets en avion coûtent que dalle ?
Les automobilistes payent l’essence, la SNCF, l’électricité… L’aviation, elle, n’a jamais eu à payer de taxe sur le kérosène depuis la convention de Chicago en 1944 (petite astuce d’après-guerre pour relancer l’activité économique du secteur aérien aux États-Unis). C’est comme ça que le train est devenu un moyen de transport bien plus cher que l’avion alors qu’il est Ô combien plus écologique.
Pandémie 1 – Bilan carbone 0
L’heure est venue de rentrer chez nous. Pas d’autre solution que de prendre un des derniers vols pour la France au départ de Marrakech avant que les lignes ne soient définitivement coupées. 3 heures de taxi, 3 heures de vol. Mon bilan carbone est K.O., mais c’est pas ma faute, y’avait pandémie.
Épilogue
Vous l’aurez compris, je ne suis pas en mesure de vous faire la leçon mais voilà en gros quelques conseils que je donnerais humblement à ceux qui souhaiteraient voyager vert.
> Prenez votre temps (pas comme moi). Plus vous évitez les transports rapides, moins vous polluez, c’est un peu la règle (exception faite pour le train, qui va vite et ne pollue pas et le ferry qui va pas vite et pollue GRAVE).
> Partez moins loin (pas comme moi). C’est l’occasion de vous offrir un petit trip en vélo dans la région pour parfaire le modelage de vos mollets (vous trouverez des exemples d’excursion sur Eurovélo, ou Cyclo-camping.international).
> Voyagez léger comme nous le conseille le site Letourdumondiste, véritable bible de conseils pour voyager écolo.
> Demander à une pandémie de faire le boulot pour le reste. Depuis le début du confinement le trafic aérien a baissé de 80 %. Vraiment trop cool cette apocalypse !
Illustrations : Amandine Richard
Je pense que c’est se « déplacer » qui pose problème (bouger vite et souvent, shooter à tout va des merveilles au lieu de les regarder, contourner l’autochtone, se pâmer ou déplorer sans avoir les infos-clés, retrouver ailleurs le confort qu’on a chez soi, se ruiner en gadgets-souvenirs ravageurs… bref, faire le touriste). Dans la mesure où il a compris ce que veulent dire prendre le temps, partager, préserver la nature, s’intéresser au vivant, aux différences et aux particularités, celui qui choisit de découvrir peu mais mieux voyage vraiment.
Merci pour ce récit de voyage drôle et intéressant ! Très agréable à lire 🙂
Pour voyager autrement il faut bien évidemment du temps. C’est un constat depuis des lustres. Pour le transport il y a d’autres alternatives écologiques comme « Bla-bla.car qui a non seulement le mérite de l’échange et du partage, mais aussi celui de la découverte d’autres endroits, d’autres lieux et de bons plans insoupçonnés. Boycotté Airbnb (qui soi dit en passant paie ses impôts, ce qui est normal dans son pays d’origine : les USA) est une erreur pour l’incomparable source de combines sur le pays puisé auprès des hôtes (qui paient leurs impôts sur les bénéfices de la location). Bref, vous l’avez compris, ne pas faire de son trajet une corvée d’un point A à un point B est essentiel, mais en tirer parti est l’assurance d’un autre voyage. Merci pour votre témoignage.
Préférez mobicoop à blablacar 😉
https://www.mobicoop.fr/
Je suis très perplexe sur la pollution par les navires. Apparemment, d’après ce que j’ai lu, ce n’est pas rien. Néanmoins, je ne pense pas qu’un trajet France-Maroc en train+ferry Algésiras-Tanger pollue autant qu’un trajet France-Maroc en avion. Effectivement, le trajet en ferry Algésiras-Tanger est extrêmement court (1h30). D’autre part, je ne pense pas qu’un ferry pollue autant qu’un paquebot de croisière dans la mesure où le ferry ne s’arrête au port que pour débarquer des passagers et en embarquer d’autres. Il rend un service public de transport de personne et ne comporte que le strict minimum à bord : bar, restaurant, couchettes pour les trajets de nuit. En revanche, ces gros mastodontes de croisière font des escales prolongées au port et leurs moteurs continuent de tourner pour fournir de l’électricité. En outre, ils comportent dix fois plus d’installations électriques (appareils de musculation, par exemple) que les simples ferries.
Donc finalement, si j’ai bien compris, vous avez, à cause du bateau, pollué autant qu’un voyage aérien. Et perdu 5 jours de vacances. Vous avez vu Casa, qui est moche et pas Marrakech dont le marché et les bonimenteurs valent le détour. Si vous y allez, évitez les hôtels de la palmeraie, trop loin, et vous trouverez un petit hôtel dans le centre. Bonne route. Pierre
Casa est pourtant une ville très agréable si on sait se perdre un petit peu. Il y a la mer et sa fraîcheur bienvenue, le souk Habous et la pâtisserie Bennis, une architecture magnifique, la médina et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup moins de touristes qu’à Marrakech.
Pour la pollution ferroviaire, c’est à relativiser selon les pays.
En France, notre énergie électrique vient du nucléaire donc pas d’émission de CO2 (mais d’autres types de déchets) et dans d’autres pays, l’électricité vient principalement des énergies fossiles. Reste à voir si le ratio conversion énergie fossile > électricité reste rentable pour le nombre de passager dans un train (je pense que oui mais je n’en sais rien du tout ^^’ )
Et encore quand vous dites pas de CO2 pour le nucléaire c’est quand on ne prend pas en compte la fabrication des centrales et l’acheminement régulier en uranium qui se fait …en train du Kazakshtan 🙂
Ainsi que tous les travailleurs qui s’y déplacent au quotidien car le périmètre autour devient un no man’s land. Les pertes du nucléaire sur le réseau sont par ailleurs de 50% (c’est l’énergie où celles ci sont les plus élevées)