On connaît l’agriculture, la pisciculture, la magistrature mais la conchyliculture ? Ce terme légèrement barbare désigne l’élevage des mollusques marins. On y trouve par exemple, parmi les plus connus, la mytiliculture (élevage des moules), mais aussi l’ostréiculture (élevage des huîtres) qui nous intéresse aujourd’hui et que nous allons bien expliquer en long, en large, avec un verre d’Alsace.
Origine et naissance de l’enfant huître
Les huîtres sauvages existent depuis la préhistoire et l’élevage des huîtres depuis plusieurs siècles, notamment sur le bassin d’Arcachon grâce au naturaliste Victor Coste et à la création des premiers parcs à huîtres en 1859. Si l’huître indigène et originelle est l’huître plate, aussi appelée « la belon » ou « la gravette » selon les régions, elle a été remplacée petit à petit par l’huître creuse qui représente aujourd’hui 98% du marché français (à peu près partout, sauf en Bretagne).
L’huître qui se retrouve le plus souvent dans notre assiette est la « crassostrea gigas » (huître japonaise) depuis 1970 suite à la disparition de l’huître portugaise. Il s’agit d’un mollusque bivalve et, contrairement à la moule où l’on trouve des mâles et des femelles, l’huître est un animal hermaphrodite successif. Elle change de sexe après chaque saison ou après chaque émission de semence. La première année de reproduction, elles sont généralement mâles. C’est au printemps que l’huître prépare ses gamètes (cellules reproductrices arrivées à maturité) quand la température dépasse les 10°. En été, grâce à une bonne salinité et une eau proche de 22°, elle libère ses gamètes. L’union des gamètes mâles et femelles va produire une larve microscopique appelée « naissain » (et non pas un « essaim »).
Ces larves vont errer au gré des courants à la recherche d’un endroit où se fixer. À la fin du XIXe siècle, une technique a été mise au point pour permettre aux ostréiculteurs de capter les larves. Elle consiste à utiliser comme collecteur une « tuile chaulée », tuile recouverte d’un mélange de chaux et de sable. Certains ostréiculteurs utilisent d’autres types de collecteurs comme les tubes ou les coupelles. Les tuiles peuvent recueillir jusqu’à 30 000 petites huîtres. Six à huit mois plus tard, on récupère les tuiles ou les coupelles, on les « détroque » c’est-à-dire qu’on sépare les jeunes huîtres de leur support à la main ou à l’aide d’une machine. Le détroquage précède le criblage qui permet de répartir les huîtres en fonction de leur taille.
Éducation et croissance
Plusieurs types de cultures sont alors possibles : l’élevage sur estran (au sol) ou la production en eau profonde. Les méthodes varient selon les régions.
Dans l’élevage sur estran (nom donné à la portion de côte découverte par la mer lors des marées), les huîtres sont réparties à plat sur le sol sablonneux ou bien sur des tables en fer. Les poches sont régulièrement vidées, les huîtres sont calibrées et remises dans des poches nettoyées. Pour l’élevage en eau profonde, les huîtres sont semées au fond de l’eau ou suspendues à des cordes amarrées à des systèmes flottants ou fixes comme les tables en Méditerranée. Pour ces deux méthodes d’élevage, les huîtres sont immergées en permanence. Les huîtres se nourrissent en filtrant l’eau et l’un des risques est qu’elles s’intoxiquent dans une eau polluée.
Une fois devenues adultes, les huîtres sont placées dans des bassins d’affinage dits « claires », c’est-à-dire dans des eaux moins salées et plus riches en plancton. C’est lors de cette étape que l’huître obtient sa saveur si particulière et sa couleur. Les ostréiculteurs mettent les huîtres à dégorger dans des bassins de décantation pour expulser la vase et le sable. Une fois le processus de croissance achevé, elles sont entreposées dans une eau de mer d’une qualité irréprochable. Elles sont alors lavées, triées, calibrées. Le bassin d’Arcachon est le premier site naisseur de France. Il fournit 60 à 70 % des 4 milliards et demi de jeunes huîtres nécessaires à l’ensemble de la production française.
Concurrence déloyale d’une huître difforme
Souvent, ce sont les consommateurs qui dictent la loi du marché et nombreux sont ceux à ne pas aimer les huîtres dites laiteuses que l’on trouve en plein été, au moment où le tourisme est à son paroxysme. Pour remédier à ce dégoût et satisfaire le plus grand nombre, un laboratoire de recherches génétiques a mis au point les huîtres triploïdes (les autres étant des diploïdes) depuis une quinzaine d’années. Ces huîtres, dites « des quatre saisons » en référence aux fameux mois sans « r » où il est conseillé de ne pas les consommer, sont élevées en laboratoire, dans des écloseries. Ces mollusques possèdent dix lots de 3 chromosomes et non dix lots de 2, comme l’huître « normale ». Cette anomalie génétique rend les triploïdes stériles. Leur texture est donc constante toute l’année. Autre avantage : elles ne consomment pas leur énergie dans la reproduction et grossissent plus vite que les diploïdes. Les « triplo » représentent aujourd’hui 50 % des huîtres vendues en France. Le souci est que le consommateur n’a aucun moyen de savoir si l’huître qu’il mange est diploïde ou triploïde puisque les demandes d’étiquetage précis sont restées lettre morte. Certains ostréiculteurs se sont donc regroupés pour créer une marque déposée « Ostréiculteur traditionnel, les huîtres nées en mer« . Leur discours a pour principe de garder la saisonnalité, les huîtres des mois sans « r » sont laiteuses, autrement dit « enceintes » : c’est ainsi, ne forçons pas la nature.
Les nouvelles huîtres triploïdes suscitent deux craintes : celle d’un monopole des écloseries et celle d’un danger pour la biodiversité. Et la question n’est pas anecdotique : la triploïdie est aussi utilisée pour les fruits et les légumes comme la betterave à sucre, la pastèque, la mandarine, le citron vert sans pépins. La banane que nous consommons est généralement un triploïde, apparu naturellement, mais qui est maintenant reproduit de façon artificielle. Cela nous permet de manger ce fruit sans graines à l’intérieur.
Alors, mandarines avec ou sans pépins ? Les huîtres avec ou sans laitance ? Et surtout, surtout : avec ou sans vinaigre à l’échalote ?
Merci !
TRES INTERESSANT
J AIME CES ARTICLES QUI PARLENT DES METIERS DE LA TERRE ET DE LA MER
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UN FIDELE LECTEUR
Pas facile aujourd’hui (sauf à être un professionnel) de savoir si les huitres que vous achetez sont nées en mer ou bien en laboratoire. Et pour cause, il n’y a aucun étiquetage obligatoire. Si vous voulez que cela change, signez la pétition lancée par l’association « Ostréiculteurs traditionnels » pour la création d’un label obligatoire distinguant les 2. C’est sur change.org
https://www.change.org/p/mme-la-ministre-s%C3%A9gol%C3%A8ne-royal-huitres-naturelles-ou-artificielles-je-veux-pouvoir-choisir
Et n’oublions pas de préciser que l’ostréiculture a également un impact important sur son environnement, en particulier par la sursédimentation qu’elle entraîne sous les tables et qui modifie de façon importante les habitats, la consommation d’espace qui ne peut plus être utilisé par les oiseaux limicoles qui se nourrissent sur l’estran, l’installation parfois illégale en réserve naturelle nationale comme celle du Banc d’Arguin sur le Bassin d’Arcachon ou l’installation illégale du début du mois de septembre sur les prés salés du marais de Brouage (17) de claires, malgré une interdiction du Ministère de l’environnement pour des raisons à la fois paysagères et environnementales (destruction d’un habitat protégé)…
Quelques ostréiculteurs font les choses bien mais ils ne sont pas légion et cette culture, lorsqu’elle est pratiquée de façon intensive et sans respect du milieu a un impact très négatif sur son environnement, quoi qu’on en dise.