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Les nouveaux visages de l’agriculture nourricière

A l’heure où la population agricole décline dangereusement en Europe, où le métier d’agriculteur peut être à certains égards perçu comme repoussoir – en lice la charge de travail importante ou encore les revenus limités – de moins en moins de filles et de fils d’agriculteurs souhaitent reprendre la ferme familiale. A l’inverse le nombre de porteurs de projets non issus du milieu agricole est croissant ; rencontre à travers l’Europe avec ces nouveaux porteurs de projets qui font sens et feront certainement l’agriculture de demain.

Longtemps en agriculture, la norme a été l’installation familiale. Les parents vieillissant, les enfants reprenaient la suite, de leur plein gré ou non d’ailleurs. Dans ce cas de figure, on parle alors d’installation dans le cadre familial, c’est-à-dire que le porteur de projet s’installe sur une exploitation qui appartient à sa famille proche. Il peut alors s’agir d’une reprise de ferme en tant que chef d’exploitation ou de l’entrée dans une société déjà existante en tant qu’associé.

Photo de Stéphane Gartner. Ferme familiale.

Par opposition, une installation est dite hors cadre familial lorsque l’agriculteur s’installe sur une ferme qui n’appartient pas à un membre de sa famille. Cette nouvelle réalité marque une rupture dans l’organisation traditionnelle du métier d’agriculteur. 

En France, avant 2010, les installations dites familiales concernaient 77% des nouvelles installations, depuis ce chiffre a baissé à 61%… Ainsi près de 40% des installations survenues depuis 2010 dans l’Hexagone se font hors cadre familial. 

En parallèle de cette augmentation du nombre d’installations hors cadre, on assiste – avec cependant des disparités selon les pays européens – à une augmentation des installations de personnes dites non issues du milieu agricole, c’est-à-dire qui ne sont pas familières avec ce secteur d’activité ni avec les acteurs et dynamiques qui le régissent. Aujourd’hui, en France, un tiers des installations est le fait de personnes âgées de plus de quarante ans, extérieures au parcours agricole classique, certaines en reconversion professionnelle. Elles sont souvent désignées sous l’acronyme “NIMA” (Non issues du milieu agricole) même si cette notion ne correspond à aucune définition officielle.

Photo de Violette Cadrieu

Selon les données françaises du recensement agricole de 2020, cette population recouvre des profils variés et de tous âges. De par leur passé, ces personnes véhiculent des visions innovantes du monde de l’agriculture et le transforment de l’intérieur. Ils s’établissent sur des surfaces moyennes plus petites, s’orientent vers l’agriculture biologique, et assurent souvent eux-mêmes la transformation et la vente directe. Ces néo-paysans“cherchent à pratiquer une agriculture plus respectueuse des écosystèmes”, détaille la journaliste Amélie Poinssot dans son ouvrage Qui va nous nourrir ? Au cœur de l’urgence écologique, le renouveau paysan (ed. Actes Sud). Tandis qu’il peut s’avérer plus difficile, ou plus conflictuel, pour les fils et filles d’exploitants, de changer de modèle agricole en reprenant la ferme familiale.

Alice Walwer, 36 ans, installée en maraîchage à quelques encablures de Rome (Italie) avec son compagnon depuis mai 2024, n’échappe pas à cette nouvelle norme. “J’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans le milieu de l’art et de la culture à Paris et en Italie avant de décider d’une reconversion. J’étais frustrée de mon mode de vie tandis qu’en parallèle je prenais conscience de la crise écologique et de l’urgence à changer de paradigme. J’ai profité d’une rupture conventionnelle pour faire du woofing puis j’ai passé mon brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole (BPREA). Après plusieurs stages en France, nous avons décidé avec mon compagne italien de nous installer au nord de l’Italie. L’installation en bio était une évidence, nous n’avons jamais acheté un produit phytosanitaire même autorisé dans le cahier des charges bio ! On a loué pour sept ans un terrain près du Tibre, un terrain en plaine avec accès à l’eau dans la nappe du fleuve.” 

L’installation d’Alice n’est pas un exemple à la marge. En juillet 2019, Gaëlle Bonnieux et Claire Wills Diquet quittent Paris (France) et sa banlieue pour Gonneville-sur-Auge, une petite bourgade normande à trois kilomètres seulement de la mer.  Dans leurs valises et leur projet de micro-ferme, elles embarquent maris et enfants. Rien ne prédestinait pourtant ces trentenaires, toutes deux non issues du milieu agricole à la création d’une exploitation agricole. “En octobre 2016, alors que nous ne nous retrouvions plus dans nos métiers respectifs – j’occupais un poste dans la micro-finance tandis que Claire travaillait dans la publicité pour le compte d’enseignes de l’industrie agroalimentaire – nous étions en quête de sens et avons songé à une reconversion dans l’agriculture”, explique Gaëlle Bonnieux. En 2017, les deux femmes effectuent, à tour de rôle, un stage en Suède chez Richard Perkins créateur d’une micro-ferme où le paysan et sa femme enseignent les grands principes de la permaculture et distillent les clés pour une ferme rentable. Gaëlle et Claire découvrent les bénéfices de la polyculture et décident de compléter leur projet de maraîchage bio par un élevage de poules pondeuses.

Photo de Cristina Arroyo

Mais le tableau est loin d’être idyllique, ces porteurs de projet non issus du milieu agricole doivent souvent faire face à de nombreuses résistances, le premier frein étant le difficile accès à la terre et au foncier… Et s’il existe des aides européennes à l’installation, à commencer la Dotation Jeune Agriculteur (DJA) ou d’autres outils d’accompagnement des jeunes à l’échelle locale : en Galice (Espagne) par exemple, des villages modèles récupèrent les terres agricoles sous-utilisées pour installer des jeunes agriculteurs; celles-ci sont loin d’être suffisantes. Car dans un contexte de vague massive de départs à la retraite et d’urgence climatique, si c’est une chance pour l’Europe de disposer d’aspirants paysans, encore faut-il les accompagner et renforcer les politiques publiques nécessaires à leur installation et à la transition.

 

Auteur : Jill Cousin
Photo Couverture : Anne-Claire Héraud. Alice Walwer, agricultrice en train de récolter des olives.

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