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Président, qu'est-ce qu'on mange ?

Emmanuel Macron : le surgelé de Picardie

Les élections présidentielles approchent à grands pas. Pour l’occasion, Oui ! le magazine passe les programmes agricoles des prétendants à la fonction suprême à la moulinette. Alors, Président, qu’est-ce qu’on mange ? Après Fillon, après Mélenchon, c’est au tour du Picard qui fait tomber les sondeurs en pâmoison : Emmanuel Macron ! Alors, l’agriculture ni-de-droite-de-gauche, ça a quel goût ? Rentrons tout de suite dans le vif du sujet !

©AFP
L’agriculture française nous nourrit…

Dès les premières lignes de la section Agriculture du candidat qui marche, on sent qu’on n’est pas là pour rigoler. « L’agriculture française nous nourrit » : il est comme ça, Manu, il dit les choses, même si ça choque, même si ça dérange.

Mais au fait, elle nous nourrit avec quoi ? Bonne question, merci de l’avoir posée !

Bon.
Chez Fillon, au moins, c’était clair : l’agriculture, ça sert avant tout à exporter. Pas d’états d’âme ! C’est la guerre économique qui fait rage dehors, ma bonne dame. Chez Mélenchon, au contraire, ça sert à atteindre la souveraineté alimentaire. La boustifaille, c’est pas une histoire de marchands de tapis, non mais ! Quand on aime on ne compte pas ! Et chez Macron ? Quelque chose entre les deux. Ou ni l’un, ni l’autre. Ou un peu des deux.

Déjà, chez Manu, il y a un diagnostic avant les propositions, avec tout plein de chiffres dedans. Du sérieux, quoi. Et là, on sent tout de suite que la compétitivité, ça le travaille quand même un peu, parce que d’un côté il y a « le dynamisme de notre industrie agro-alimentaire » et « l’agriculture est l’un des secteurs de l’économie française les plus performants à l’international », mais de l’autre « deux entreprises agroalimentaires françaises sur 10 seulement qui exportent leurs produits, contre 8 sur 10 en Allemagne ».

Et ça, c’est ennuyeux.

Si vous l’aviez oublié, Macron, il est libéral. Ça veut dire que les normes et les règles, il veut bien, mais pas trop non plus, parce que quand il y en a trop, ça fait des contraintes, et du coup, moins de liberté. A la contrainte, Manu préfère l’incitation, l’accompagnement ou l’encouragement.

Par exemple, pensez à la situation suivante : « Eh Toto, mange cette limace où tu prends mon poing dans la figure ». Là, ça ne va pas, parce que Toto est contraint, donc pas libre. Par contre : « Eh Toto, si tu manges cette limace, je te donne 20 euros », là, ça va, parce que Toto est incité. Donc oui, l’alimentation de Toto est douteuse, mais il a quand même gagné 20 euros au passage.

Mais je m’égare.

De toute façon, Emmanuel Macron est d’accord pour dire qu’en matière d’écologie, il faut quand même un peu encadrer la liberté avec des normes, parce que sinon, on va tous mourir, et qu’une fois morts, on ne pourra plus être libres.

On l’a compris, avec Macron, tout est affaire de dosage. De la cuisine de précision, vous allez voir !
Voici notre recette de la semaine : le chaud-froid de macronite ni-sucré-ni-salé sur lit de poires coupées en deux.

Commencez par rendre vos paysans autonomes sur le plan économique : jetez les dans un caquelon et faites réduire jusqu’à ce que les subventions soient évaporées.

Pas question de remise en cause totale du modèle agricole dominant ici. En revanche, le plus jeune des prétendants à la fonction suprême n’ignore ni la redondance des crises, ni le fait que les agriculteurs en sont les premières victimes.

Le premier objectif mis en avant dans le programme d’En Marche ! est assez logiquement le suivant : garantir « des prix justes pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail ».

Difficile d’être contre.

Mais comment s’y prend-on ?

On commence par encourager la création d’organisations de producteurs afin de renforcer le pouvoir de négociation de ces derniers vis-à-vis de la grande distribution. Dans le respect du droit européen en matière de concurrence, mais tout de même, en plaidant activement pour le faire évoluer au besoin.

Encore plus fort : Emmanuel Macron se dit même prêt à revenir sur la loi de modernisation de l’économie de 2008, loi qui avait considérablement renforcé le pouvoir de négociation des acteurs de la distribution aux dépens des producteurs (mais aussi loi partiellement inspirée des travaux de la fameuse commission Attali dont Manu fut rapporteur). C’est dire s’il est motivé !

Et pour le reste… Joker Grenelle !

Un Grenelle de l’alimentation, pour réconcilier les agriculteurs, les consommateurs et les acteurs de l’environnement. #MacronToulon pic.twitter.com/7wONnC6gbI

EM s’engage à organiser un « Grenelle de l’Alimentation ». En politique, les Grenelles, c’est un peu comme les hannetons : vous pensiez l’espèce définitivement éteinte, et non, une fois tous les dix ans, ils redébarquent d’on ne sait trop où. Donc en résumé : on rassemble gouvernement, agriculteurs, distributeurs et industriels, ils en discutent et ils se débrouillent pour fixer de nouvelles modalités de partage de la valeur.

Voilà, ça déjà, c’est expédié. C’était facile, non ?

Si le jeu du libre marché est un peu trop sec, rajoutez une ou deux rasades d’« Europe qui protège » (marque déposée)

Emmanuel Macron aime l’Europe, mais une Europe « qui protège ». Comment ? Déjà, on l’a vu, en essayant d’assouplir le droit communautaire en matière de cartels pour permettre la création de véritables organisations de producteurs. Et puis en favorisant la convergence sociale et fiscale, pour éviter les distorsions de concurrence. Le problème, c’est qu’il faut pour cela convaincre les producteurs libres des 26 autres pays libres, et qu’au sein de l’Union Européenne, on butte sur cette épineuse question depuis des années.

Vient ensuite une proposition des plus ambitieuses :

« Nous proposerons des outils de gestion des risques efficaces et adaptés. »

Wow. Brisons les tabous : on parle trop peu du mal qu’ont fait les outils inefficaces et inadaptés.

Attention cependant : ces outils conserveront un caractère volontaire. Parce que c’est la liberté.

Pour le moment, tout cela est tout de même un peu light, mais il y a tout de même des choses à se mettre sous la dent dans le programme de Macron.

Ainsi, protéger, c’est aussi repenser la protection sociale dans son ensemble, dont celle des agriculteurs. Concrètement, cela veut dire qu’Emmanuel Macron souhaite ouvrir les droits à l’indemnisation chômage pour tous, sans distinction de statuts : les agriculteurs, qui doivent souvent faire face à d’importantes fluctuations de leur activité, seraient parmi les premiers à en bénéficier.

Pour le coup, c’est original, et c’est du concret. La suite est-elle du même acabit ?

Hâchez finement un programme d’investissements, puis mélangez dans votre agriculture du FUTUR (surtout, évitez d’avoir la main trop lourde sur le bio. Et pas d’OGM ! Enfin, si, un peu. Non. Enfin, ça dépend. Oh, et puis débrouillez-vous !)

On rentre dans le dur : le modèle agricole de demain. Qu’en pense Emmanuel Macron ? Dans sa volonté de ne pas opposer les modèles agro-industriel et paysan et de ménager les défenseurs de l’un comme de l’autre, le Marcheur évite soigneusement d’affirmer une vision trop nette, contrairement aux deux candidats que nous avons fait passer sur le grill les semaines précédentes.

Alors l’agriculture du futur, kezako ? Oriente-t-on la recherche vers l’agro-écologie, ou vers la manipulation du vivant ? Difficile, si l’on se base sur le seul programme du candidat, de trancher (on y apprend notamment que pour que l’agriculture soit « du futur », il faut permettre aux agriculteurs de profiter des « nouvelles connaissances », ce qui est tout de même assez édifiant).

D’un côté, on promet un plan de modernisation agricole de 5 milliards sur cinq ans, avec des financements orientés vers les circuits courts et les exploitations ayant un impact positif sur l’environnement. Forcément, ça nous parle. Une enveloppe de 200 millions d’euros serait par ailleurs chaque année consacrée à la rémunération des agriculteurs qui fournissent des services environnementaux. C’est sympa, mais dans les faits, ça se chiffre à combien, en espèces sonnantes et trébuchantes, les services environnementaux (en langage économiste, ça donne : comment mesure-t-on une externalité positive) ? Enfin, on sépare les activités de conseil aux agriculteurs et de vente de pesticides qui « peuvent susciter des conflits d’intérêts ».

Mais, (car il y un mais) : de l’autre, on renvoie les mesures contraignantes concernant les pesticides les plus dangereux pour l’environnement et la santé humaine au fameux Grenelle. On « fait confiance » aux territoires (deuxième joker !) pour atteindre 50% de produits bio OU écologiques OU locaux à horizon 2022. Un objectif des plus modestes !

Et sur les OGM ? Invité par le WWF et interviewé par Pascal Canfin en février dernier, Emmanuel Macron a été obligé de préciser sa position : il souhaite que le organismes publics puissent continuer à mener des recherches en la matière, parce qu’il ne « veut pas que la recherche soit dans les mains de Monsanto ou de Bayer » (voir la vidéo ci-dessus). Ce à quoi Canfin lui rétorque que si on cherche, c’est qu’on veut trouver.

Dans une poêle à part, faites frire un peu de baisse de charges et de simplifications de normes, qui vous permettront de rehausser votre plat d’une note de compétitivité.

Parce que bien manger, la santé, tout ça, c’est bien, mais il faudrait pas non plus oublier la compétitivité. Parce que l’agriculture française, elle se doit d’être exportatrice, sinon c’est l’Allemagne qui rafle la mise (cf. le diagnostic), et ça, c’est vraiment trop la honte.

Donc on baisse les charges, l’économie pour les producteurs se situant autour de 1 800 euros par an et par salarié, on simplifie les normes, et surtout, on crée un « droit à l’erreur » : les contrôles opérés par les services de l’Etat ne serviront plus à « sanctionner » mais à « orienter » (cf. l’histoire de Toto de tout à l’heure).

Du coup, on y voit plus clair : les modèles industriel et agro-écologique sont priés de vivre en harmonie. On reste sur de l’agriculture duale, mais on bouge les lignes : on exporte la production agricole industrielle – compétitive, forcément ! – et nous, on se garde tous les bons trucs à manger ! Parfois, le bio, ça permet une montée en gamme, et donc de la compétitivité, quand même, un peu. Même que les économistes appellent ça la « compétitivité hors-prix ».

 

***

Quand j’étais petit, dans ma famille, nous raffolions d’un plat que nous préparait ma grand-mère : les knepp, sortes de gnocchis lorrains revenus dans une bonne dose de beurre. C’était délicieux, mais quand on demandait à Mamie de nous donner la recette, elle restait toujours très évasive. Elle a bien essayé une ou deux fois de poser la recette sur papier, mais rien n’y faisait, ça ne marchait pas.

Le programme agricole de Manu, c’est un peu la même chose : c’est pas forcément mauvais, on sent qu’il y a de la bonne volonté, mais la recette est quand même diablement imprécise. Pour Mamie, c’était pas grave : on savait qu’elle maîtrisait. Mais les knepp de Manu, on ne les a jamais goûtées. Et je suis à peu près certain qu’on n’en mange pas à Amiens.

Quelques mesures intéressantes (droit au chômage, plan d’investissement, etc.) mais aussi beaucoup d’affirmations de principes assez vagues (favoriser, encourager, etc.) et beaucoup de décisions importantes reportées aux calendes gr… au Grenelle !

Ce qui ressort ce tout cela, c’est une volonté de ne pas opposer les modèles, ne serait-ce que pour préserver la possibilité d’un dialogue futur – indispensable – entre les acteurs du secteur. Mais à ne vouloir froisser personne, on risque de frustrer tout le monde. La prochaine fois, une vision un tout petit peu plus affirmée de ce que devrait être l’agriculture de demain ?

Verdict : un plat plutôt léger – l’avantage, c’est que la recette laisse de la place pour l’imagination ! – qui satisfera aussi bien les amateurs de junk food que les gastronomes adeptes de bons produits du terroir bien de chez nous. Mais qui ne suscitera d’enthousiasme délirant chez aucun d’entre eux. Un plat qui se déguste tiède.

_________

Illustration : Sophie Cuvé

[Prochain épisode : Benoît Hamon]

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