Faire de petits gestes seul dans son coin, c’est bien sympa, mais il y a de quoi se sentir vite découragé quand les autres ne suivent pas en matière d’écologie. Si nous avons franchi le cap comme des grands, comment embarquer notre entourage dans nos aventures ?
Tout bon écolo que vous êtes, il y a un paradigme auquel vous ne pouvez échapper : si vous êtes un modèle d’écoresponsabilité pour certains, vous êtes encore certainement un gouffre de pollution pour d’autres. Pas d’inquiétude, c’est tout à fait normal. De la même façon que l’écologisme est un long changement dont on essaie de prendre le train en marche, notre rapport à ce processus s’évalue bien souvent en fonction des autres. Ne vous êtes-vous jamais dit : Franchement ça va, je me déplace en vélo toute l’année alors que Martine, elle, vient au travail en SUV, je peux bien prendre l’avion pour partir en week-end à Barcelone ? Bon… Peut-être pas exactement dans ces termes, surtout si vous ne connaissez pas de Martine, mais vous pigez l’idée.
Dans l’écologisme, il y a un comportement individuel qui rentre en conflit avec un comportement collectif. C’est aussi pour cette raison que les « Pablo Servigne addicts » (saint-patron de la collapsologie qui nous a tous foutu une grosse déprime avec son livre Comment tout peut s’effondrer ?) et globalement toute personne à sensibilité écolo ont bien des raisons de se sentir démunis face à l’ampleur de la tâche. Parce que celle-ci ne peut fonctionner qu’à l’échelle collective (voire universelle, mais c’est une autre paire de manches) et que nos petits gestes de colibris semblent bien vains tant qu’ils ne reposent que sur nos frêles épaules. Parce qu’on en a marre de s’embrouiller avec nos potes qui passent leur vie à commander sur Amazon ou qui ont eu l’outrecuidance de jeter leur mégot par terre.
Rameuter les colibiris
Mais alors comment faire pour grossir les rangs et changer les habitudes de nos proches ? L’ingénieur Jean-Marc Jancovici — dont on a vite fait de croiser une des centaines de conférences ou de lire un des passionnants articles publiés sur son blog, relevait très justement cette zone d’ombre : Beaucoup de gens qui s’intéressent à ce sujet sont jeunes donc ils ne sont pas encore contraints par des obligations familiales (…) et n’ont pas la conscience aiguë du fait que c’est difficile de changer, même quand vous en avez envie, dès lors que ce n’est pas homogène au sein de votre cellule familiale. On ne peut pas changer ses habitudes tout seul, il faut embarquer les siens dans l’aventure et ce n’est pas chose aisée.
Maintenant qu’on est d’accord pour dire qu’on n’est pas d’accord, que peut-on faire pour mettre son entourage proche et moins proche au diapason ? Convaincre sans passer pour le relou moralisateur de service, oui c’est possible.
Règle n°1 : ne pas jouer les héros culpabilisateurs
C’est tentant de rappeler à votre copine qu’il n’est peut-être pas nécessaire qu’elle prenne l’avion pour la troisième fois ce mois-ci sous prétexte que c’est moins cher que le train. Mais laissez tomber, la culpa, ça ne marche pas, au contraire ça braque, ça énerve et à la fin on a tout sauf envie de faire des efforts. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas discuter et remettre en question nos modes de consommation. Mais quand on discute, on ne fait pas la morale, on échange des arguments, on réfléchit, on s’informe, bref on ne se crêpe pas le chignon.
Règle n°2 : Ça commence par moi, disait Julien Vidal
Oui, je vous vois venir, il y a un côté premier de la classe dans cette attitude mais promis c’est pas obligé. En « montrant l’exemple », on peut tout simplement suggérer une idée plutôt que de l’imposer. Plus on assume nos pratiques, plus on les normalise socialement et plus il semble finalement assez simple de manger moins de viande, de ne pas manger de tomates en hiver, de ne plus prendre l’avion ou encore de faire l’impasse sur la dernière série Netflix (quoique, à ce sujet il y a encore du taf de sensibilisation). L’important, c’est aussi d’y aller petit à petit. On ne peut pas être au top dès le départ et il ne faut pas que ça ruine toute notre motivation.
Règle n°3 : Le changement, c’est tout bénef’!
Rien de tel pour attirer les jeunes âmes égarées dans nos filets écoresponsables. « Sauver la planète » ou « lutter contre les injustices », ce sont des causes qui séduisent tout le monde mais on y pense rarement quand on remplit son panier de courses. C’est pourquoi il est conseillé de valoriser les avantages concrets au quotidien. OK, tu as la flemme de fabriquer ta lessive, mais ton bidon te coûtera 100 fois moins cher (eau chaude + savon de Marseille = bonheur). Et puis finalement est-ce que c’est pas plus sympa d’avoir des bocaux bien remplis en achetant en vrac plutôt qu’une montagne d’emballages inutiles qui vont poireauter dans ton placard ? OK, ça prend plus de temps de ne pas prendre l’avion mais est-ce que le voyage n’en est pas plus sympathique ? OK, c’est galère de vivre sans frigo, mais est-ce que c’est pas mieux pour ne manger que des produits frais du jour ? Bref, vous me suivez. L’écologisme ne doit pas être vu comme un ensemble de contraintes culpabilisantes mais plutôt comme un terrain de jeu ludique où chacun s’arrange avec les moyens du bord.
Règle n°4 : Être sympa (voire sympatoche)
Ça semble tout con, je vous le concède. Mais vous vous souvenez plus haut dans l’article quand je taxais Pablo Servigne d’une dépression généralisée, eh bien je n’étais pas tout à fait honnête. L’ingénieur agronome le plus chevelu de France a rectifié le tir après une montée en flèche de la consommation de Valium en France (attention, ceci est une fakenews). Il écrit en 2017 avec Gauthier Chapelle L’entraide, l’autre loi de la jungle qui montre, non sans une pointe d’optimisme, que le meilleur moyen de sauver nos miches face à l’hypothèse d’un effondrement systémique de la société thermo-industrielle, c’est de mettre en place des réseaux d’entraide. Ce qui tend à appréhender le changement non plus uniquement sous un angle collectif mais aussi positif.
… Oui bah écoutez je n’ai pas dit que c’était fastoche cette affaire ! Il faut être patient, acharné et continuer de s’informer. La base de la base. Car il est plus difficile d’inscrire ces changements dans la durabilité, sans comprendre le danger auquel on est actuellement exposé, si on ne fait rien. Continuez donc de faire le plein de permafrost, d’acidification des océans et d’effet de serre pour étayer votre argumentation. Tout le monde est à même de comprendre ces phénomènes loin d’être réservés à l’unique sphère scientifique. Si ça se trouve, le déclic est à portée de main, c’est pourquoi j’ai co-écrit le livre J’agis pour le climat dans l’espoir de convaincre et motiver les uns et les autres. Rejoignez le mouvement !
Aller plus loin :
Gauthier Chapelle, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Une autre fin du monde est possible, Seuil, 2018.
Gauthier Chapelle et Pablo Servigne, L’entraide, l’autre loi de la jungle, LLL, 2017.
Hélène Binet, Louise Pierga, Flora Gressard, J’agis pour le climat, Marabout, 2020.
Alexia Soyeux, présages (podcast).
Jean-Marc Jancovici, (interviews et conférences).
Julien Vidal, çacommenceparmoi.org (blog).
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Mise en images : Lygie Harmand d’après des comics américains tombés dans le domaine public.
Ouf !
En tant que « Pablo Servigne addict », j’allais vous dire : »Mais il n’a pas écrit qu’un seul ouvrage Pablo <3 (et ses consorts qu'on ne cite jamais !) !".
A confinement +14, il n'est plus trop nécessaire de se convaincre de "Comment tout peut s'effrondrer" mais important (pour notre pyschisme et la société) de lire la suite "Une autre fin du monde est possible". Heureusement, vous le citez en fin d'article. Merci.
Je citerai également Arnaud Keller, qui a récemment publié une vidéo sur la résilience face à cette crise ("Aux Rames, citoyens").
Bises confinées, mais optimistes !
Pareil ! Tout est très juste et les illustrations très drôles :))
Mais ces illustrations !! J’adore !!!!