La démocratie participative au service de la transition écologique s’exercera dans la petite ville drômoise de Dieulefit. Cette dernière revendique son héritage de Saillans, le premier village à avoir tenté de mener la politique autrement.
Passer la porte de l’établissement des Grands Magasins Delclaux, à Dieulefit, face au temple, c’est en prendre plein la vue. Un immense bazar, des jouets, des vêtements, des objets par milliers, France Inter poussé à plein volume dans tout le magasin… C’est une expérience de se faire accueillir par Claude Delclaux, le propriétaire des lieux, une institution à lui tout seul à Dieulefit. L’homme, avisé, nous lance très vite dans la conversation, s’il y a eu une vague verte aux dernières municipales, c’est parce que nous sommes à 80 % des descendants de paysans. Vanessa Huguenin, sa nièce, qui travaille avec Claude, nous entraîne ensuite au salon de thé de la librairie Sauts et Gambade de cette petite ville de 3 300 habitants.
Vanessa, 40 ans, vient d’être élue conseillère municipale déléguée à la culture et au patrimoine dans cette cité très touristique pendant l’été. Faire partie de cette nouvelle équipe municipale fut une évidence pour elle quand elle comprit que l’écologie et la démocratie participative seraient la priorité, raconte-telle.
Native de Dieulefit, comme les générations précédentes dans sa famille, Vanessa se rendait parfois aux conseils municipaux où elle n’avait pas la parole. Lasse, elle s’était alors tournée vers les associations afin d’agir pour la commune. Se lancer dans l’aventure de cette nouvelle liste citoyenne était une trop belle occasion qu’elle n’a pas voulu manquer. Ici, la culture de la citoyenneté ne date pas d’hier, ajoute Vanessa, avec qui nous évoquons l’histoire de ceux qui ont reçu le titre de « Juste parmi les Nations », à Dieulefit — notamment à l’école de Beauvallon, où 1 500 enfants juifs furent protégés entre 1940 et 1944 aux côtés d’artistes de toute l’Europe, dont le poète Pierre Emmanuel.
Deux ans de campagne
Depuis le 28 juin, Dieulefit fait partie de la soixantaine de communes en France se revendiquant d’une démarche citoyenne et participative. Pendant plusieurs mois, une équipe a planché autour de trois priorités : la transition écologique, la participation citoyenne et la transparence. Élue à 59 % des suffrages pour un taux de participation de 60 % des habitants, la nouvelle équipe assume l’héritage de Saillans, le village qui le premier a tenté l’expérience de la participation, et qui a perdu les dernières élections de 18 voix.
L’association Village en transition a permis pendant deux ans de préparer les élections, de constituer un groupe et de travailler sur la gouvernance. Des habitants ont participé à des dizaines de réunions dont une fut organisée autour des élus de Saillans. Nous avons compris très vite que nous devions proposer la participation des citoyens au service d’un projet dont la priorité serait la transition, explique Geneviève Morénas, ancienne éleveuse de vaches laitières puis fondatrice du service à domicile éco-responsable L’Arbre vert.
Les premiers défis se porteront sur la rénovation de l’école publique pour en faire une « éco-école ». Les locaux étant mal isolés, l’établissement s’est retrouvé au fil des ans délaissé par les familles qui en ont les moyens, lui préférant l’école privée. La deuxième priorité sera de relocaliser l’agriculture sur la commune, sachant qu’il ne reste que trois agriculteurs tout proche de la retraite, dont Christian Bussat, le nouveau maire, éleveur de cochon bio. Nous avons de l’eau, des champs, des bois, des jeunes motivés pour s’installer et une très forte demande des habitants de production locale. Nous allons chercher à convaincre afin que les terres soient louées ou vendues et la Mairie pourrait se porter acquéreuse. En vue de la création de jardins vivriers, ou d’une régie communale pour la production agricole en direction de la restauration collective, par exemple.
J’ai appris qu’il fallait aussi déconstruire la façon dont nous avons été éduqués, apprendre à écouter en réunion, et cela fonctionne.
Mais la transition doit pouvoir bénéficier à tous, précise Geneviève Morénas, c’est une question de justice sociale, la moitié des habitants de Dieulefit n’étant pas imposable sur le revenu. Et pour faire vivre la démocratie tout au long de la mandature, les habitants pourront s’inscrire dans des commissions, des groupes de travail sur le modèle de Saillans. Certains dans l’équipe, formés aux outils de l’éducation populaire, ont planché sur ces nouveaux modes de gouvernance et de travail en commun. Vanessa s’est enthousiasmée pour ces nouvelles approches : J’ai appris qu’il fallait aussi déconstruire la façon dont nous avons été éduqués, apprendre à écouter en réunion, et cela fonctionne.
Aller chercher les réfractaires
Elle sait aussi qu’une partie du travail sera de convaincre les habitants de venir exercer leur citoyenneté, qu’il va falloir aller chercher les réfractaires. Il s’agit d’éviter quelques pièges ou des erreurs commises notamment à Saillans, savoir tenir les deux bouts, défendre des grands projets d’un côté mais ne pas lâcher le quotidien des habitants de l’autre. Mon curseur, c’est l’humain, ajoute Vanessa. Garder le contact direct avec les habitants afin d’éviter de creuser les clivages entre les natifs et les nouveaux arrivants dont un bon nombre sont des membres de la nouvelle équipe municipale.
Trop loin des habitants ?
Porter un projet de transition doit également se réaliser à l’échelon de l’intercommunalité dont les élections ont eu lieu mi-juillet. L’intercommunalité Dieulefit-Bourdeaux, constituée de 21 communes, a porté à sa tête une femme, maire d’un petit village proche de Dieulefit. Trois membres de l’équipe municipale de Dieulefit ont obtenu des vices présidences importantes sur les cinq qu’elles constituent. Geneviève Morénas est première vice-présidente défi climat ; une vice-présidence information et communication a vu le jour afin de défendre la transparence des décisions dans une instance encore trop éloignée des habitants.
Or, c’est à cet échelon qu’une grande partie de la politique locale se joue, notamment pour la gestion des déchets, la rénovation énergétique des bâtiments et de l’habitat, et le service public de la petite enfance. Sur le modèle de Saillans, les indemnités des élus seront réparties entre tous les adjoints, pas seulement le maire et ses premiers adjoints, afin de permettre à chacun de tenir un engagement qui n’est pas toujours facile à mener en plus d’une activité professionnelle et d’une vie de famille. Il faut que des jeunes actifs puissent s’investir en politique sinon, nous ne sommes qu’entre retraités, constate Geneviève Morénas. Vu les enjeux, il faut préparer la suite.
Pour approfondir
Références
Depuis six ans, les habitants de Saillans expérimentent un modèle de démocratie citoyenne où les décisions sont prises en concertation. De nouvelles façons d’exercer le pouvoir mais aussi de vivre ensemble. La journaliste Maud Dugrand, originaire du lieu, était la mieux placée pour nous raconter cette histoire.
Aucun commentaire
Close