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La relève est assurée tout risque

Des poules de luxe pour prendre son envol

Un panier de plus dans lequel mettre ses œufs. Sur l’exploitation mosellane des Choné, l’atelier de poulet de chair Label rouge permet de conforter l’emploi du fils, successeur désigné. Naissance d’une filière qui dit quelque chose d’un virage agricole.

La réunion des poules des Choné. © Thomas Louapre

Un toit de hangar émerge du brouillard. À travers la purée de pois qui recouvre ce fond de vallée lorraine, on entend le ronronnement d’un moteur et des meuglements impatients. C’est l’heure de nourrir les bêtes. À l’aveugle, on traverse la ferme pour retrouver les jeunes mères et leurs veaux, occupés à mâchonner leur foin matinal.

Monsieur le Maire est là, juché sur son tracteur. Son engin projette de la paille propre par dessus la troupe, créant un nuage de poussière dans lequel s’active le fils, fourche à la main. Le ballet sur fond blanc de Jean-Marie et Vincent Choné semble bien réglé, le duo travaille sans un mot. Cet après-midi, il faudra tailler les ongles des génisses. Pour le moment, Vincent profite d’un temps mort pour rejoindre, à grandes enjambées, un hangar flambant neuf. Son domaine réservé. Ici vivent ses pensionnaires particuliers, sur lesquels il compte pour assurer son avenir sur la ferme familiale.

La filière de poulet Label rouge de Moselle est toute fraîche : les premiers poulets ont été distribués cet hiver, uniquement dans les commerces du département. Ils sortent de six élevages, dont celui des Choné, à Oron. Pour la plupart, cette nouvelle activité fournie clé en main par la Chambre d’agriculture a été une opportunité de sécuriser des exploitations familiales.

À Moussey, Nelle Henry, employée dans la grande distribution, a pu rejoindre son conjoint sur son Gaec. À Fonteny, Bertrand Houbin s’est lancé pour assurer ses arrières, à peine un an après avoir repris l’exploitation de son père. Avec cet atelier, on vise à dégager la moitié d’un Smic, pour conforter mon emploi à mi-temps sur la ferme, explique de son côté Vincent Choné. Les premiers résultats de la filière sont encourageants, les 2000 poulets produits par semaine s’arrachent et il est déjà question de doubler la production chez certains éleveurs.

Flambant neuf, l’atelier est entièrement automatisé. © Thomas Louapre

Poulets fermiers robotisés

La visite du matin s’apparente à un contrôle de routine. Pas besoin de jeter des poignées de grains aux 4 400 poulets, la distribution de nourriture et d’eau est automatique. À l’intérieur du hangar, c’est le self-service, la queue en moins. Un peson, sorte de petite plateforme suspendue à quelques centimètres du sol, prend le poids de dix à quinze poulets par jour, pour surveiller la croissance des pensionnaires. Montée en partenariat avec l’association Alsace Volailles, qui a déjà l’expérience des poulets jaunes d’Alsace, l’affaire est bien huilée. Poussins, aliments, abattoirs : les fournisseurs et prestataires ont été choisis à l’avance. La Chambre d’agriculture n’a ensuite eu qu’à fournir une petite formation. Méthodes industrielles pour cahier des charges « fermier » : le label implique un temps de croissance deux fois plus long qu’en conventionnel, l’accès à un parc arboré et 75 % de céréales dans l’alimentation. 

Pommiers, cerisiers, et l’incontournable mirabellier prodigueront bientôt ombre et fruits aux 4400 poulets du parc. © Thomas Louapre

Devant le bâtiment, deux énormes silos de 15 tonnes de grain se vident en continu, jusqu’au 83e jour des poulets, quand sonne leur glas. Pour le moment, grégaires et peureux, les poulets noirs à cou nu, la race choisie pour la filière, hésitent à s’aventurer dans le parc d’un hectare et demi qui jouxte leur abri. Il fallait ajouter à ce décor bien policé la touche Choné, des clôtures infranchissables d’un mètre cinquante de haut avec deux fils électriques, ainsi que des rangées de pommiers, de cerisiers et de mirabelliers qui égayent le parc et assureront à terme une production supplémentaire. Autre précaution : On a surdimensionné le bâtiment et le parcours pour faire de la pintade et du chapon en cas de problème. Le bon sens paysan en action. 

Onze poulets au mètre carré, c’est deux fois moins que dans les élevages industriels. ©Thomas Louapre

Homme-orchestre

Il faut dire que vivre de l’activité des Choné requiert débrouillardise et prévoyance. La débauche de surfaces exploitées par le duo cache une certaine forme de précarité. On exploite 170 hectares de prairies et céréales, alors que la moyenne dans le coin doit être à 120, et nous avons 100 naissances de veaux par an, précise Vincent, revenu sur la ferme il y a quatre ans pour seconder son père. Pourtant, à 25 ans, notre homme cumule déjà trois métiers. À côté, j’ai une entreprise de travaux agricoles, je vais aider ceux qui n’ont pas de matériel. En saison, j’emploie quatre personnes. Et enfin, j’ai un drone avec lequel je fais de la cartographie agronomique.

Pluriactif, adj : se dit d’un exploitant agricole sur cinq (contre 2 % des salariés), obligé de jouer l’homme-orchestre du terroir pour subvenir à ses besoins. En cause, le yoyo du prix de la viande bovine, qui peut à tout moment changer le quotidien en année noire. On ne sait jamais à combien on va vendre la bête, témoigne Vincent. Le prix des poulets Label rouge est lui fixé en comité, avec les éleveurs. Il n’y a pas de très bonne année mais pas de mauvaise non plus, c’est lisse. 

Il n’a pas l’air tendre comme ça, mais le poulet noir à cou nu est réputé pour sa chair. © Thomas Louapre

Pour Vincent, c’est aussi un pari sur un certain avenir. Un bâtiment industriel abrite 22 poulets au mètre carré, deux fois plus que le nôtre, calcule-t-il. Ce n’est pas ce que le consommateur recherche aujourd’hui : on va vers des circuits courts et des produits respectueux de l’environnement. Dans les supermarchés, les directeurs de rayon nous disent bien que la tendance est à la qualité, à la viande à la découpe.

La vente directe, Vincent n’y pense pas encore. Le temps est déjà trop court pour préparer la succession de son père, à six ans de la retraite. Mais bientôt se posera la question de l’installation du petit frère, qui a aussi l’élevage dans le sang. La nouvelle génération prend les commandes ; continuera-t-elle son virage vers la transition agricole ? 

11 commentaires

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    1. Très bonne question. Nous avons jeté un bref coup d’oeil au « plan d’alimentation » en cours, et nous y avons lu une ligne « maïs OGM », parmi plusieurs dizaines d’autres lignes (céréales, légumineuses, vitamines, minéraux… c’est assez impressionant tout ce qu’ils donnent aux poulets). Nous n’avons pas eu le temps de creuser pour en connaître la proportion, et ne savons pas s’il est systématiquement présent dans ce mélange (il y a d’ailleurs plusieurs mélanges, selon l’âge des poulets).
      Ce peut être un sujet à creuser pour une enquête sur les OGM cachés dans notre alimentation, même dans des filières plutôt qualitatives comme celle-ci.
      Je vous renvoie aussi à la réponse faite ci-dessous, concernant la démarche de cet article. Le but n’est pas de faire l’apologie de ce type d’élevage, mais de montrer la trajectoire de ce jeune éleveur vers la diversification et vers la qualité.
      Bien cordialement

  1. tout à fait d’accord avec les commentaires précédents, que vient faire cette exploitation dans un article de la Ruche ?? les poulets sont peut être mieux traités que dans l’intensif, mais pas de quoi pavoiser quand même ici,!!
    je regrette que vous leur fassiez de la pub…

    1. Merci à tous pour vos commentaires, et surtout merci pour votre vigilance.
      On vous rassure : l’idée n’est pas ici de faire la publicité de ce mode d’élevage. Le cahier des charges Label Rouge a ses limites, évidentes, surtout au sein d’une filière très automatisée comme celle-ci (et nous insitons ici sur le côté « industriel » de cet élevage, qui est presque devenu un gros mot chez nous !).
      Ce que nous voulions montrer ici, c’est la démarche de ce jeune éleveur qui a grandi dans un système de production conventionnel très vérouillé, peu rémunérateur, et qui cherche des bouées de secours pour envisager l’avenir autrement qu’en fonction des cours de la bourse. S’inscrire dans cette filière est un pas dans cette démarche.
      Nous imaginons bien que certaines choses doivent être difficile à lire, mais pour nous non plus, habitués aux fermes bio et aux sympatiques permaculteurs, ce n’est pas facile de jeter un oeil de ce côté de l’agriculture. Pourtant, il le faut parfois, pour comprendre le quotidien des agriculteurs conventionnels, leurs entraves, leurs envies d’autre chose. Ce faisant, on en apprend autant que vous.
      Encore merci pour votre réactivité, c’est agréable d’écrire pour des lecteurs si exigeants. Promis, la prochaine fois, on va voir des fermiers tout parfaits 😉
      Aurélien, pour l’équipe de rédaction.

  2. un élevage un peu moins intensif : la surface d’ une feuille A4 et 1/2 pour un malheureux poulet, ! et le parcours extérieur : pas une herbe donc aucune bestiole dont les poulets raffolent : normal la nourriture doit être sévèrement contrôlée !
    rien à encourager là-dedans! la ruche qui dit oui pourra certainement trouver des exploitations + innovantes et + respectueuses de l’animal ET du consommateur à mettre en valeur !!! j’espère !!!

  3. Onze poulets au m2, vous trouvez qu’il y a de quoi se réjouir? Peut-être de l’industriel un peu plus « soft » mais pas de quoi leur faire cette pub il me semble…

    1. Désolée mais pour moi c’est de l’elevage Intensif et voir autant d’ oiseaux parqués ainsi s ne m’a pas du tout mais alors pas du tout convaincue.

      Et je suis tout à fait d’accord avec le message précédent.

  4. 75 % de céréales et le reste ???
    Cela reste de l’intensif et, qui plus est, non bio.
    85 jours de vie seulement !!!
    Le Label Rouge n’est décidément pas un gage de respect des animaux. Ne cautionnons pas ce genre de pratique.
    Certes c’est mieux que le « conventionnel » mais la politique du pire laisse la porte ouverte à des pratiques qui restent douteuses.
    Ce reportage ne donne pas une belle image de la Ruche.

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