Le cola, boisson santé ? C’est la science qui le dit ! Ou en tout cas les multiples études en nutrition, très souvent influencées par l’industrie agroalimentaire selon la chercheuse en santé publique Mélissa Mialon. Marre d’avaler des salades ?
Tout au long du siècle dernier, les industriels du tabac ont œuvré en secret pour cacher la vérité sur les dangers de leurs produits. Parmi leurs méthodes, l’une d’elle fut redoutablement efficace : la manipulation de la science. Grâce à des études orientées ou biaisées, allant jusqu’à la corruption de chercheurs, ils ont réussi à entretenir le doute sur le consensus scientifique et à laisser entendre que le tabac n’était peut-être pas si dangereux. Depuis au moins trois décennies, de nombreux industriels de l’agroalimentaire utilisent les mêmes méthodes pour nous inciter à consommer leurs produits.
L’exemple le plus célèbre est sûrement celui de la stratégie d’influence de la firme Coca-Cola. Grâce aux enquêtes de l’ONG Food Watch, on sait que cette multinationale est capable de dépenser – rien qu’en France ! – plusieurs millions d’euros par an pour financer ses propres projets de recherche et commander des articles, conférences et travaux à des chercheurs et professionnels de santé. Problème : ces financements relèvent dans leur grande majorité de la communication ou du sponsoring pur, et non d’un authentique travail scientifique. La firme choisit en effet les thèmes de recherche qui l’arrangent et dirige ainsi les réflexions des chercheurs. Elle oriente également leurs conclusions, n’hésitant pas à tordre et à surinterpréter certains résultats dans sa communication ou à ne publier que les études dont les résultats lui conviennent (pour en savoir plus, lire l’enquête à ce sujet sur Le Monde). Autre bénéfice pour la firme : il serait plus difficile par la suite pour les professionnels grassement rémunérés d’alerter sur les méfaits liés à la consommation de soda.
Ces publications et leurs conclusions ne sont pas forcément fausses. Mais le thème de recherche est assez anecdotique et permet de détourner l'attention.
On trouve ainsi des études scientifiques relativisant les dangers du sucre dans certaines conditions. Surprise : ces études biaisées sont financées par des firmes vendant des produits sucrés, à l’instar de Kellogg’s. Le but ? Détourner l’attention de l’opinion publique et des responsables politiques. Et laisser entendre qu’il y a un débat sur le sujet alors que la communauté scientifique est unanime sur le fait que la consommation de sucre est néfaste pour la santé. Autre exemple, une étude financée par le Conseil américain des œufs conclut que manger des œufs entiers cuits avec des légumes crus favorise l’absorption de certains composants des légumes. Une autre, financée par L’Office national du porc des États-Unis, avance que le porc est une bonne source de protéines pour les gens qui souffrent d’hypertension. Ces publications et leurs conclusions ne sont pas forcément fausses. Mais le thème de recherche est assez anecdotique et permet de détourner l’attention par rapport aux méfaits potentiels liés à la consommation de ces produits d’origine animale.
La docteur Mélissa Mialon, chercheuse en santé publique et spécialiste de l’étude de l’influence de l’industrie agroalimentaire, connaît bien ces manœuvres. Elle vient de publier avec quatre autres chercheurs dans la revue Plos One une étude visant à quantifier ces pratiques. Les cinq chercheurs ont analysé l’ensemble des articles de recherche publiés en 2018 dans les dix revues les plus citées en matière de nutrition et de diététique. Ils ont découvert que des entreprises de l’industrie alimentaire sont impliquées dans au moins 13 % des articles publiés, via un financement direct, des affiliations d’auteurs, ou parce qu’elles sont citées dans les déclarations d’intérêt ou dans les remerciements des auteurs. Mélissa Mialon explique : Notre étude confirme que la recherche en nutrition est très souvent influencée par l’industrie. Et encore, nous nous sommes intéressés aux revues les plus prestigieuses, en ne tenant compte que des déclarations volontaires des chercheurs. L’influence est probablement largement plus importante dans les revues ayant des politiques moins strictes en termes de conflits d’intérêts et si l’on tient compte des conflits d’intérêts non déclarés.
Cette influence a un impact énorme sur le contenu des études. Mélissa Mialon et ses collègues ont en effet montré que plus de la moitié (55 %) de ces articles sous influence donnent des résultats favorables aux intérêts de l’industrie alimentaire, contre seulement 9,7 % des articles publiés sans implication de l’industrie alimentaire. En 2007, déjà, des chercheurs néerlandais avaient montré que les études financées par l’industrie avaient quatre à huit fois plus de chances d’obtenir des résultats qui plairaient à l’industrie. La chercheuse détaille : Beaucoup de chercheurs ne voient pas le risque à travailler pour l’industrie. Mais dans un contexte où il est très difficile d’obtenir des financements publics, on aboutit à une science de la nutrition dominée par les publications au contenu très influencé par les industriels.
Comment échapper, en tant que consommateur, à ces biais et à cette science sous influence ? Il faut sûrement se pencher sur une autre conclusion de cette même étude : les entreprises qui influencent le plus les publications scientifiques sont celles vendant des aliments transformés et ultra transformés. Mieux vaut donc consommer des produits bruts, à cuisiner soi-même, ou des produits dont la liste d’ingrédients est courte et ne contient que des noms connus et sains.
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Merci <3 <3 à Lygie Harmand pour ses illustrations, réalisées à partir de vieilles publicités pour Lucky Strike, Coca-Cola, William Saurin…
La recherche est malheureusement financée par les industriels et la motivation économique gangrène notre société, puisque l’argent prime et l’humain se retrouve au second rang : sa santé compte peu par rapport à l’enrichissement de certains… sans parler de la destruction de la planète toute entière…
Je suis très contente qu’un tel article puisse enfin sortir, bravo !
On sait tous que les études sont pour le moins sujettes à caution. Le sujet ne serait-il pas de se demander comment adopter une stratégie de consommation qui protège à la fois notre santé et nos intérêts économiques.
Par exemple : militer pour un étiquetage clair, rendre obligatoire le nutriscore, et s’attaquer aux programmes scolaires des lycées agricoles. Vaste et ambitieux sujet !!!!! Je sais
et qu’en est-il du soja comme aliment pour l’humanité? n’est-il pas vrai qu’il serait pire que la viande?
Un élément de réponse : https://onav.fr/ressources/positions/position-de-lonav-relative-a-la-consommation-alimentaire-de-soja-et-a-son-action-sur-la-sante-humaine/
Et qu’en est-il du soja cultivé en Amazonie pour produire de la viande ?… On oublie souvent que les carnivores consomment beaucoup de soja, bien plus que les végétariens qui diversifient leurs menus avec d’autres sources de protéines…