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Aquaculture de luxe

Caviar du Périgord : l’esturgeon aux œufs d’or

Entre les rivières Isle et Vern, entre chênes et chèvres, la ferme de Neuvic fait revivre la culture de l’esturgeon. Un élevage en eaux aussi douces que les techniques de production imaginées par la maison.

Les esturgeons sibériens peuvent vivre jusqu’à 60/70 ans. ©Thomas Louapre
Les esturgeons sibériens peuvent vivre jusqu’à 60/70 ans. ©Thomas Louapre

Il est là au fond de l’eau à peine perceptible malgré sa quinzaine de livres. Ombre noire, ondulation reptilienne, points de suspension immaculés, l’esturgeon s’enfonce dans le bassin pour happer la nourriture déposée sur le sol. Sa trajectoire est lourde, presque gauche. « Aucune espèce piscicole n’est plus ancienne que l’esturgeon, explique Laurent Deverlanges, propriétaire des lieux depuis 2011. On trouve la trace de ce poisson fossile il y a plus de 30 millions d’années. »

« Lorsque j’étais enfant, je dépensais tout mon argent de poche en bouchons de pêche. » LD

Biopsie express pour savoir si les oeufs sont murs à point. ©Thomas Louapre
Biopsie express pour savoir si les oeufs sont murs à point. ©Thomas Louapre

A quelques centimètres des nageoires sombres, deux jeunes employés de la ferme ont enfilé leurs waders, des bottes de 7 lieux imperméables qui remontent jusqu’aux aisselles. D’un geste ferme, Marc empoigne l’animal qui n’a ni arrête, ni écailles, ni marche arrière. Une main dans la bouche, l’autre fermement arrimée sur la queue et voilà le poisson préhistorique hors de l’eau prêt à subir une biopsie express.

Son collègue, assis sur la travée verse une larme de bétadine sur l’abdomen de l’animal qu’il perfore dans la seconde suivante d’une petite gouge creuse. Devant la taille des oeufs récoltés, le verdict tombe. «S’ils sont trop petits, l’esturgeon est invité à les faire grossir encore quelques mois dans le bassin, explique-t-il sans s’arrêter de travailler. S’ils sont du bon diamètre, l’esturgeon partira demain à l’aube pour le labo. »

 

Laurent Deverlanges, passionné de poissons. ©Thomas Louapre
Laurent Deverlanges, passionné de poissons. ©Thomas Louapre

Dans les 3 autres bassins alimentés directement par l’eau puisée dans la petite rivière Isle, les centaines de milliers de poissons ont également droit à toutes les attentions. « Les esturgeons sont élevés ici depuis leur naissance et jusqu’à 7 ans ou plus, lorsque les oeufs sont à maturité, précise Laurent. Le cycle est long et toutes les étapes de la vie du poisson font l’objet de soins précis et constants. »

C’est rien de le dire. Dès leur plus jeune âge, les poissons sont nourris plusieurs fois par jour avec un mélange de farines de poissons issus de la pêche durable et de céréales sans OGM, soit au final pas moins de 2 tonnes de nourriture quotidiennes. Chaque année, on les change de bassin, regroupant les animaux par année de naissance. On les observe, on les pèse régulièrement pour s’assurer qu’ils ne manquent de rien. Un système informatique contrôle en permanence la qualité de l’eau, le taux d’oxygène… « Toutes les manipulations sont effectuées en touchant au minimum le poisson pour ne pas le perturber. »

 

Bébé esturgeon deviendra grand. Celui-ci a un an. ©Thomas Louapre
Bébé esturgeon deviendra grand. Celui-ci a un an. ©Thomas Louapre

Au bout de trois ans, date à laquelle on découvre seulement si la bestiole est un mâle ou une femelle, les messieurs sortent du jeu et vont se faire manger ailleurs. « Surtout en Allemagne où leur chair est bien valorisée, » précise le quadragénaire. A partir de la 5e année, la petite cahute qui jouxte l’un des bassins se transforme en maternité. Les demoiselles passent sur la table d’échographie pour estimer la taille de leurs oeufs. Enfin, les derniers mois de leur existence, les esturgeons se voient offrir une eau bien claire pour que leurs progénitures ne prennent pas une once de fragrances vaseuses.

 

A Neuvic, on produit 3 tonnes de caviar par an, soit 1% du marché mondial.

L'heure d'extraire le caviar a sonné. ©Thomas Louapre
L’heure d’extraire le caviar a sonné. ©Thomas Louapre

Tant d’attentions finissent pourtant par la même destinée. Car on ne sait toujours pas comment récupérer le butin sans mettre à mal l’animal. « Il est ridicule d’abattre un arbre pour récolter ses fruits », répète Laurent qui depuis son installation il y a 4 ans cherche tous les moyens pour maintenir en vie les femelles après le prélèvement des oeufs. Césarienne ? Aspiration ? Ponte naturelle ? Jade, thésarde employée par la maison, planche sans relâche sur ce No kill project épaulée par le CNRS et l’Université de Bordeaux.

« On n’a pas encore trouvé le procédé miracle qui ne tue pas les femelles et garantit au caviar ce goût unique, confesse Laurent qui a convoqué un jury sensoriel à Périgueux pour définir le produit idéal. Mais on teste encore et encore. »

 

Une extrême minutie est employée lorsqu’il s’agit d’extraire la couvée précieuse. ©Thomas Louapre
Une extrême minutie est employée lorsqu’il s’agit d’extraire la couvée précieuse. ©Thomas Louapre

« Un jour, j’aimerais que mon élevage ne produise aucun déchet. Je réfléchis à la valorisation des peaux d’esturgeons. Aussi, j’aimerais trouver un système avec des insectes qui pourraient se nourrir de nos déchets et devenir à leur tour sources de protéines pour les poissons. » LD

Associer recherche publique et éleveurs privés autour d’un produit de luxe, une gabegie ? Plutôt un enjeu de biodiversité qui ne date pas de la dernière pluie. Le rapprochement des deux mondes s’est fait avec le déclin de l’espèce sauvage dans les années 60, au moment où l’esturgeon commence à battre du barbillon. Excès de pêche, pratiques irresponsables « c’était un véritable carnage, on entaillait n’importe quel esturgeon, on rejetait les mâles sanglants… », artificialisation des cours d’eau fragilisent la bête qui vit ses dernières heures.

La fin du caviar est annoncée ? La communauté scientifique, de Moscou à l’estuaire de la Gironde, s’émeut, dessine les premiers programmes de recherche et confie aux pisciculteurs le soin d’élever les acipenseridae.

 

Les oeufs sont triés à la pince à épiler en fonction de leur qualité. Le top ? Les oeufs classés 5. ©Thomas Louapre
Les oeufs sont triés à la pince à épiler en fonction de leur qualité. Le top ? Les oeufs classés 5. ©Thomas Louapre

Dans les années 20, on pêchait l’esturgeon d’Atlantique dans la rivière d’à côté.

« Dans nos bassins, l’osciètre et acipenser baeri (l’esturgeon sibérien) remplacent aujourd’hui leur frère sauvage acipenser sturio qui ne supporte pas l’eau douce, » précise Laurent. Pendant ce temps, les organismes de recherche tentent de repeupler les rivières avec l’espèce sauvage protégée par plusieurs conventions internationales, interdite de pêche sur le territoire depuis 1982 (en Europe depuis 1998).

 

Quand le caviar français permet de sauver l'esturgeon de la disparition. ©Thomas Louapre
Quand le caviar français permet de sauver l’esturgeon de la disparition. ©Thomas Louapre

 

« 85% des espèces d’esturgeons sont menacées d’extinction,» prévient l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Leur avenir se trouve désormais entre les mains des éleveurs. Jamais, de simples oeufs n’ont été aussi précieux…

 

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De l’esturgeon au caviar : Découvrez le reportage photos de Thomas Louapre.

11 commentaires

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  1. J’aimerai que vous trouviez une solution miracle pour ne pas tuer ce poisson, après 8 ans de gestation, elle a le droit de vivre. Césarienne, après l’effort le réconfort.

  2. Beaucoup de souffrance animale et une tuerie après 10% de leur vie, un beau gâchis pour un produit dont on pourrait très facilement se passer. Quant à l’argument de  » sauver  » l’espèce grâce à cette production, demandez aux femelles esturgeons quelle différence cela fait pour elles au moment où on leur tranche le ventre ? D’ailleurs pas un mot sur les méthodes d’abattage, seulement le joli mot champêtre de  » récolte « . Ridicule, mais qui évite de regarder la réalité en face !

  3. Sur la légende de la première photo, on peut lire que les esturgeons vivraient jusqu’à 60 ou 70 ans !
    Ah oui ? mais ou ? eux (elles) aussi cherchent l’adresse pour aller au-delà des 5 ans fatidiques (3 ans pour les mâles, on est loin du compte). Vivement que la solution soit trouvée pour épargner les femelles lors de la récolte (pour les mâles … on verra plus tard).
    Bref : cette société de consommation vit encore sur le dos des espèces animales !
    Et si un jour c’était notre tour de devenir la bouffe d’une espèce !
    J’vous laisse réfléchir là dessus (Gustave Parking)

  4. Très bel animal. Sinon, je me demande ce que viennent faire les céréales (elles sont partout) dans la nourriture d’un esturgeon. je ne l’imagine pas trop barboter dans un champs de blé.
    A par ça, je dis merci (je me prosterne) aux nantis de sauver la vie de l’esturgeon dont ils bouffent les œufs. Amen.

  5. je connais bien cet entreprise pour y avoir tarvailler, laurent deverlange est vraiment quelqu’un de très bien, proche du bien être de ces chers poissons aussi bien de ceux qui les font grandires .il y a toute une équipe et une infrastructure toute jeunes. Plein de promesse pour l’avenir de ce produit de luxe,ainsi que de ce poisson qui ne demande plus qu’à retourner renpoissonner aussi nos rivière qui au départ vivait là bien avant nous.Plein de courage à toute l’équipe car la grosse saison tire à ça fin mai lui l’esturgeon lui continuera de grandire et ce nourrire toue l’année.

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