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À Ouessant, une agriculture qui ne manque pas de sel

L’installation ex-nihilo sur l’île d’Ouessant, au large du Finistère, de quatre agriculteurs – Marie et Thomas Richaud, Charlène Créac’h et Vincent Pichon – n’est pas qu’une anecdote médiatique pour égayer une fin de journal télévisé. Si elle se confirme, cette expérience ambitieuse marquera la renaissance d’une agriculture durable au bénéfice d’une population variant de 830 personnes l’hiver à parfois 3000 l’été.

Texte et photos : Géraud Bosman
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55 brebis manechs tête rousse, 25 agneaux et 2 béliers, Brad Pitt et Will Smith (les beaux gosses de l’élevage !) : le troupeau de Charlène Créac’h pâture sur 14 hectares, répartis entre 500 propriétaires. Tous d’ailleurs ne connaissent pas leur propre cadastre. En effet, l’île est fragmentée en centaines de petites parcelles, héritées en indivision : en 1972, on en a recensé 85 000 ! Certaines ne sont pas plus grandes que la taille de cette table du conseil municipal, désigne l’élue en charge de l’environnement Dominique Moigne. Quand je vois une parcelle en friche, je peux les y installer, ça se fait à l’amiable, explique Charlène, 26 ans.

Dans la Drôme, nous disposions d’un bâtiment, où les vaches recevaient une ration en plus du pâturage. Ici, elles sont nourries à l’herbe à 100 %. Il n’y a pas de bâtiment et il n’y en aura pas car c’est trop coûteux [et inconstructible en raison de la loi littoral, NDLR]. Mais finalement, on se rend compte que c’est plus pratique que l’on se déplace nous-mêmes aux vaches, constate Thomas Richaud, éleveur laitier depuis vingt ans. Et plus productif : entre 12 et 15 litres de lait par vache et par jour sur le continent ; déjà près de 20 litres, pour les premiers mois, sur l’île !

Vincent Pichon, 52 ans, est le seul maraîcher professionnel sur Ouessant. Il a été récompensé par un prix spécial de l’Unesco remis par un jury du Parc naturel régional d’Armorique pour avoir réhabilité d’anciennes parcelles agricoles sur Molène (depuis 2016) où il vit, et Ouessant, dont certaines en pierre sèche, à l’ancienne. J’avais cet objectif de renouveau agricole. J’ai toujours été étonné qu’il n’y ait plus rien sur ces deux îles, alors que partout ailleurs, l’agriculture était revenue.

La manech est une race particulièrement laineuse. La tonte des bêtes se fait aux alentours du 10 juin. Pour cela, Charlène a recours à une association : la Mer moutonne, qui coupe à l’ancienne avec des forces à tondre, sorte de gros sécateur. Ça les stresse moins que la tondeuse, explique Charlène, toujours soucieuse du bien être de ses bêtes. Quant à la laine, elle ne veut pas la vendre pour l’instant et préfère la donner à la maison de retraite pour en faire des bégens, des chaussons traditionnels de l’île.

Drômois, Marie et Thomas Richaud sont arrivés en décembre 2020 à Ouessant avec leurs trois ados, après avoir répondu à un appel à projet de la mairie d’Ouessant. Ils se sont bien adaptés à leur nouveau cadre de vie, pas forcément aussi idyllique qu’on peut l’imaginer. Il faut dire que leur utilité aide beaucoup à leur intégration : non seulement ils fabriquent de bons produits — il n’y en a pas assez —, mais en plus, leurs bêtes permettent de nettoyer les parcelles sans polluer ni coûter. Hormis quelques déconvenues, l’opération de renouveau agricole ouessantin prend un bon départ.

Les fraises, c’est plus intéressant que les melons, explique Vincent. Et quand tu as une petite exploitation comme ça, tu es obligé de viser dans ce qui se vend. Après une vie bien remplie — il travaille depuis l’âge de 15 ans, tour à tour dans le bâtiment, comme matelot puis comme maraîcher —, Vincent est épanoui mais fatigué : J’ai beaucoup tiré, surtout depuis cinq ans. Il pense raccrocher dans les prochaines années et passer la main à des jeunes.

La famille paternelle de Charlène est typiquement ouessantine : Ma grand-mère était aux champs, mon grand-père était marin de commerce. Je ne me voyais pas vivre ailleurs qu’ici, explique la bergère. Elle y apprécie particulièrement la forte solidarité qu’elle a pu constater lorsque qu’elle construisait un petit cabanon avec son compagnon : Les gens s’arrêtaient pour nous aider. Pour la géographe Françoise Péron, auteure d’un ouvrage de référence sur l’île (1), les Ouessantins sont fortement soudés entre eux (malgré leurs querelles) et vitalement attachés à leur communauté d’origine et à leur territoire insulaire qui, pour eux, ne font qu’un.

Quid de leur horizon de vie sur l’île ? On a investi 160 000 euros dans cette aventure, on part donc au moins pour dix ans, répond Thomas, 41 ans. Pour Marie, 38 ans : C’est un vrai défi, il y a toujours des moments de doutes. Mais on n’a qu’une vie et on est super contents de faire ça maintenant, quand on le peut.

Vincent Pichon vend ses pommes de terre de Molène sous l’étiquette Produits d’Ouessant. Depuis 2019, une association, le Savoir-Faire des îles du Ponant, réunit une cinquantaine de professionnels de l’archipel. Sa mission première : Valoriser les entrepreneurs insulaires et leurs produits et services d’exception, qui créent des emplois durables, à l’année, sur les îles.

Charlène fabrique une trentaine de fromages frais par jour, nature ou aux épices, franchement savoureux. En attendant le laboratoire communal qui se fait désirer, la jeune exploitante travaille dans un petit local cuisine qu’on lui prête. Sur l’île, pas de camion de lait, ni de coopérative. Tout se transforme sur place, il faut tout faire soi-même.

Alors qu’il livre ses fraises à l’Île en Vrac, magasin bio du centre de Lampaul, Vincent rencontre Charlène. Début juin, les quatre agriculteurs ont commencé la vente sur le marché. On s’entend tous très bien. Il y a une bonne ambiance, notamment le samedi quand on déballe ensemble sur le marché, se réjouit Vincent, personnage au caractère direct et jovial. Autant de signes encourageant pour la suite. On va monter en puissance l’année prochaine, avec l’achat de matériel agricole et des cultures en pleine terre, indique Vincent Pichon. En attendant, tous disent leur agréable surprise devant l’engouement suscité. C’est incroyable ! lâche spontanément Charlène au téléphone, quelques temps après notre passage. Les gens font une demi-heure de queue à chaque stand.

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4 commentaires

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  1. Super que Ouessant renoue avec ses traditions et préserve son île par une approche bio. J’espère que cette initiative sera couronnée de succès et que la solidarité entre iliens aura toujours le dernier mot.
    Très beau projet…

  2. J’ai séjourné à Ouessant en 2017 et je savais que l’île recherchait des agriculteurs et éleveurs sans succès jusque là. Je trouvais les friches envahissantes vraiment désolantes. Il n’y a pas que le tourisme pour faire vivre Ouessant ! Je suis ravie de voir aujourd’hui la reprise d’une vie agricole bénéfique pour tous les habitants et souhaite un franc succès à chacun. Courage à tous !

  3. Bravo, courage à tous et longue vie à vos entreprises !! Ca fait plaisir de voir cette ile renouer avec son agriculture et ses traditions et qu’il y ait des gens qui y croient.
    Hâte d’y faire un séjour un de ces 4….

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