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RECHO au cœur

Vanessa Krycève : « La cuisine est un langage universel qui cimente »

La cofondatrice du RECHO puise la source de son engagement au fond de ses tripes. Vanessa Krycève, autant cheffe cuisinière qu’actrice, se bat pour une cuisine qui restaure le monde.

Vanessa à gauche, reconnaissable entre mille avec son large sourire. © Alice Barbosa

Un portrait pour raconter ce qui fait de moi une personne engagée ? Est-ce que je ne serais pas plutôt une enragée ? Vanessa Krycève reçoit dans son antre du XVIe arrondissement, une ex-caserne devenue Les Cinq Toits depuis septembre 2019, à la fois centre d’hébergement d’urgence pour les personnes réfugiées et tiers-lieu pour les habitants du quartier. Nous nous retrouvons à la Table du RECHO, restaurant éphémère intégralement retapé par l’association Yes we Camp que Vanessa a créée en 2016 avec Élodie Hué et une dizaine de femmes cuisinières et professionnelles de la restauration. Ici, c’était l’ancienne salle de bal, confie la jeune femme, si tu avais vu à quoi ça ressemblait quand on est arrivées, il fallait beaucoup d’imagination pour pouvoir se projeter. 

Dans la cour des Cinq Toits. © Jessie Gaslene

Mezzanine en bois, lumières tamisées et grandes ardoises ont aujourd’hui remplacé cloisons et faux plafonds. Il fait doux à la Table du RECHO. Café pour l’une, Yogi Tea pour l’autre, les téléphones portables en mode silencieux retournés sur la table, la machine à cuisiner les souvenirs peut démarrer. Mais par où commencer ? Par la face nord de l’actrice ou la face sud de la cheffe cuisinière ? Je n’ai jamais voulu choisir entre ces deux passions, je suis intrinsèquement les deux, confie la trentenaire dont le profil Linkedln traduit à la manière d’un Schichttorte l’alternance de ces deux spécialités.

Aucun doute, la cuisine rapproche. © Alice Barbosa

Jouer pour éprouver

Vanessa commence néanmoins par raconter les planches, celles qu’elle ne foule plus depuis le confinement mais qui l’appellent depuis l’âge de ses 6 ans. Lorsque je suis entrée au CP, j’ai dit à tout le monde que je serai actrice. Déterminée, la brunette entre au conservatoire à 10 ans et n’en sortira qu’après son bac pour intégrer le CFA du Studio théâtre d’Asnières avec cours le matin et pratique l’après-midi. J’ai joué ma première pièce à 14 ans, c’était Anne Frank, j’étais en plein questionnement sur ma judéité. C’est drôle, les rôles sont toujours venus me chercher. En 2016, lorsque Vanessa se lance dans l’aventure du RECHO dont l’idée est de créer du lien entre les populations locales et réfugiées grâce à la cuisine et au repas partagé, elle joue Babacar ou l’antilope de Sidney Ali Mehelleb, un genre de Roméo et Juliette entre un réfugié et une Parisienne. J’étais à ce moment-là en pleine révolte sur la question des réfugiés.

Pour réparer ma honte, notre honte, j’ai eu envie de réchauffer, d’inviter à ma table, dans ma maison, dans mon refuge le monde entier. 

Cette colère, Vanessa la doit à la photo du corps du petit Aylan rejeté sur une plage turque, aux attentats du 13 novembre 2015 et à une conversation whatsapp familiale. Sa sœur installée en Allemagne raconte avoir rencontré à Cologne un couple de réfugiés syriens faisant la manche. Lui est médecin, elle est ingénieure, tous deux sont affamés car leur centre d’hébergement ne leur servait la veille que de la soupe au porc. J’apprends donc en direct le 10 mars 2016 l’existence d’une nouvelle crise, la crise de l’accueil, explique Vanessa relatant cette histoire fondatrice dans son TedX de l’automne 2017. À l’instant même j’ai eu envie de cuisiner, de tout mon cœur, pour tous ces visiteurs contraints qui découvrent le sol d’un pays étranger qu’ils n’ont pas toujours choisi. Pour réparer ma honte, notre honte, j’ai eu envie de réchauffer, d’inviter à ma table, dans ma maison, dans mon refuge le monde entier.

Le foodtruck du RECHO, machine à créer du lien. © Alice Barbosa

Cuisiner pour restaurer

Nous voilà désormais du côté des planches de cuisine, celles qui voient défiler les couteaux des bénévoles et des personnes réfugiées sur le camp de Grande Synthe à l’été 2016. Pendant trois semaines, Vanessa et Élodie restaurent et réconfortent les migrants en route pour l’Angleterre. Elles ont monté le projet du RECHO quelques mois auparavant, ont récolté 32 582 euros grâce à une campagne de crowdfunding, mais aussi acheté et aménagé un foodtruck, et rassemblé autour d’elles une dizaine de femmes de 25 à 35 ans. Pendant trois semaines, elles cuisinent 10 500 repas, organisent 20 ateliers de cuisine avec migrants et bénévoles, orchestrent la cuisine de 60 volontaires de terrain.

Après cette première mission, j’ai su qu’il n’y aurait pas de retour possible. On était dans un monde hyper dur mais ce qu’on projetait apportait beaucoup sur le camp. C’était la première fois que les éxilés et les bénévoles mangeaient à la même table. Vanessa prend définitivement conscience de l’importance de cuisiner pour restaurer les hommes et les femmes dans tous les sens du terme mais aussi pour faire tomber les barrières. La cuisine telle que nous l’entendons, rassemble, fédère et crée du lien, elle conduit à la rencontre de l’Autre en mettant les humains dans un rapport d’égalité et d’horizontalité. Autour de la table il n’y a que des hôtes.

Parcourir le monde dans l'assiette et s'évader. © Jérémie Croidieu

La conscience de la cuisine qui répare n’a pas été un rêve de petite fille comme l’a été le théâtre mais plutôt l’aboutissement de nombreuses expériences. Lorsque Vanessa fait ses premiers plats en cuisine à l’âge de 12 ans, elle jette d’abord son dévolu sur la pâtisserie. À l’approche de Noël, elle se passionne pour ces petits biscuits en étoile qui font la magie des marchés alsaciens et commence à collectionner les fiches Elle. Un jour où elle va acheter des macarons Ladurée, elle se dit qu’elle veut y faire un stage. Son audace et son intrépidité lui permettent d’être prise pendant tout l’été. J’ai touché à tout, au pliage spécial sur les croissants, aux galettes des rois… La nuit, l’adolescente essaie toutes les techniques du macaron, c’était l’époque des insomnies, et devient une experte.

Quelques années plus tard, alors qu’elle est entrée dans son école de théâtre, elle obtient une convention de stage pour aller travailler chez Pierre Hermé. Une histoire de macarons à la confiture d’umbu pour la marque de commerce équitable Alter Eco lui font rencontrer Julie Andrieu, qui la conduit à écrire son premier livre Délices et cœur brûlé, qui la mène tout droit chez Guy Savoy… Le jour où j’étais aguerrie à la fois en cuisine et en théâtre, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un lien entre les deux disciplines. Le petit Aylan, le Bataclan, le groupe whatsapp ont fait le reste.

Un peu de douceur pour se restaurer de l'intérieur. © Jessie Gaslene

S’indigner pour rester éveillée

Après avoir été incubé chez Antropia, le RECHO se projette désormais en version XXL. Au fil du temps, j’ai pris conscience que si je voulais avoir plus d’impact je devais prendre de la distance par rapport à ma révolte et sortir un peu de l’approche individuelle même si ce n’est pas toujours facile. Aussi, après l’organisation réussie du Grand RECHO à Arras, une nouvelle édition verra sans doute le jour à Lyon prochainement. Le Grand RECHO, c’est douze mois de développement sur un territoire, dix jours de restauration de personnes réfugiées et de locaux, un espace culturel. Une fois cet événement passé, on positionne sur un lieu la Table du RECHO qui s’inscrit dans la durée, comme ici aux Cinq Toits. À l’avenir, l’association prévoit de répliquer la formule un peu partout.

Et côté théâtre, c’est quoi le programme ? Vanessa travaille actuellement sur une pièce en création, Primates. Ça parle beaucoup de l’Afrique et de la Chine, de la relation entre les deux continents. En attendant de monter sur scène et de faire entrer en résonance ses deux mondes, l’actrice souhaiterait pousser un cri. J’aimerais que l’on réévalue notre niveau d’exigence et de respect, pour soi, pour les animaux, pour les sols, pour la planète. Il y a aujourd’hui une pensée égocentrique et instantanée. On vit dans un monde de complaisance, il faut continuer à s’indigner. Sortez les couverts, avec Vanessa, la restauration du monde est en marche !

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