Moins connue que sa fameuse cousine périgourdine, la truffe de la Meuse vit sa production naturelle menacée par l’extension des terres agricoles depuis la seconde moitié du XXe siècle. À la rescousse de cette variété tout à fait lorraine, un trio de choc, qui nous emmène à la recherche du champignon le plus prisé de France.
Diane fait dans la pièce une entrée fracassante. Des visiteurs à la truffière de Navi elle en voit passer des centaines par an. Elle semble pourtant les accueillir avec le même enthousiasme.
Ils sont tous à la recherche de ce petit bout d’or noir, ou de petits indices pour découvrir leur cachette souterraine. Mais Diane ne livrera aucun de ses secrets, pas un aboiement pour trahir ce qu’elle sait. Elle, ce qu’elle connaît de la truffe, c’est son odeur. C’est comme ça qu’elle les localise. Elle a été élevée chez un maître-chien et nous l’avons récupérée ensuite, expliquent Marc et Lydie, les heureux maîtres de ce golden retriever blond caramel.
Installé en Lorraine, au cœur de la Meuse, le couple de trufficulteurs a d’abord commencé par élever durant 40 ans des Belted Galloway, des vaches écossaises. En 2017, Marc et Lydie cèdent l’exploitation et se consacrent à plein temps à la culture de ce champignon. Mon père s’est lancé dans les années 1980, avec l’aide d’un groupe de passionnés qui voulait réintroduire la truffe dans le paysage lorrain. Le sol calcaire de la Meuse rendait sa culture propice, explique Marc.
La truffe, une histoire lorraine
Après un enfilage rapide des bottes direction les sous-bois, Marc décrit le patrimoine truffier de la région. Accueillant sur ses terres lorraines deux variétés différentes, le Grand Est a de quoi se défendre. La plus fréquente ici est la truffe de Bourgogne, parfois appelée truffe de Champagne – tuber uncinatum, elle est reconnue pour son goût de noisette – la deuxième est la mésentérique, la truffe de la Meuse ou encore truffe d’automne car on la récolte de septembre à janvier. La tuber mesentericum a un goût plus affirmé que sa voisine bourguignonne, exigeant un dosage plus précis en cuisine. Les palais les plus fins y détecteront même des arômes d’amande amère.
La production en Lorraine a vécu au rythme des soubresauts de l’histoire des deux Guerres mondiales. La destruction des truffières et la disparition des détenteurs du savoir-faire ont mis le dernier coup d’arrêt à une production qui était déjà sur le déclin depuis le début du siècle. Pendant la seconde partie du XXe siècle, l’expansion des terres agricoles, la sur-exploitation forestière, rend incompatible le renouveau de la culture truffière. On a également eu beaucoup de problèmes avec les piocheurs dans les années 1990. Étrangement les maîtres-chiens recevaient beaucoup plus de demandes de formation qu’il n’y avait de truffières recensées dans la région, ironise Marc.
Auprès de son arbre, la truffe vivait heureuse
Plutôt la truffe au sol qu’au vent, Diane dynamise la balade. On ne fait jamais des sorties de plus de deux heures – explique Lydie – parfois on espère, on espère, mais s’il n’y a rien, il ne faut pas insister, c’est toujours le chien qui a raison.
La plantation du couple s’étend sur 5 hectares, sous des noisetiers et des chênes. La relation entre l’arbre et le champignon est faite d’interdépendances et mécanismes complexes : la truffe, incapable d’effectuer seule le phénomène de photosynthèse des sucres nécessaire à son développement, se rattache à un arbre dit hôte. C’est de la symbiose entre le mycélium (l’appareil végétatif des champignons) et les racines de l’arbre hôte que va naître la mycorhize, l’organisme qui permettra les interconnexions entre l’arbre et le champignon. L’arbre hôte n’est pas en reste, cette association symbiotique lui offrant un apport en éléments minéraux et en eau que ses racines ne peuvent pas atteindre, les filaments mycéliens pouvant eux s’étendre sur plusieurs mètres carrés. Le plus terrible c’est la moquette, regrette Lydie, une sorte de mousse qui empêche tout échange entre l’arbre et le champignon.
Il faut de 10 à 15 ans avant qu’une truffe puisse être récoltée.
Un bon chien et une bonne maîtrise du fonctionnement de cet écosystème s’imposent donc pour espérer sortir un jour une truffe de son milieu souterrain. Un trufficulteur doit être un fin observateur du milieu naturel, renchérit Marc. Avec le changement climatique, ce qu’on croyait avoir compris une année sur le développement des truffes est remis en cause l’année d’après. Pour mieux appréhender cet environnement il a reçu l’aide de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) afin de reconstituer des espaces microbiens favorables au développement du champignon.
On oublierait presque de préciser qu’il faut de 10 à 15 ans avant qu’une truffe puisse être récoltée. Un fin mélange de patience, sciences et témérité.
Remettre la truffe sur la table
On s’en serait douté, cette sortie ne sera pas scellée par la découverte du trésor truffier. Au retour pourtant, la table recèle d’une dizaine de produits transformés à base de celle qui nous a fait rentrer bredouilles : des huiles, crèmes, sel, pétales de truffe lyophilisés ou en poudre. On a toujours voulu rendre ce produit plus accessible, les gens n’osent pas avec la truffe car elle est chère, commence Lydie. Il y a quelques années, même des familles modestes s’autorisaient ce plaisir et venaient chercher des truffes une ou deux fois par an. Aujourd’hui elles semblent se l’interdire, regrette-t-elle. On voulait remettre la truffe sur la table de tous, avoir des produits transformés cela permet aussi d’avoir des prix d’entrée plus bas et d’appréhender la truffe autrement, qu’elle effraie moins. Sur les marchés je dis souvent aux étudiants de mettre un peu de poudre de truffes lyophilisées dans leur purée, finit-elle avec un sourire.
La lyophilisation n’atteint ni la structure ni n’altère le goût initial de la truffe. Pour Marc, cette technique va bien au-delà d’un aspect de conservation. Bien sûr on en vend quelques fraiches au moment de la récolte à des épiceries fines, des restaurateurs, des passionnés, mais on ne donne pas une identité à un terroir avec un produit que l’on vend deux mois par an, affirme-t-il. On veut qu’elle fasse de nouveau partie du paysage lorrain, conclut-il.
La truffe en l’air et étranger à toutes ces considérations, le golden attend patiemment sa récompense. Ce n’est pas parce qu’elle n’a rien trouvé qu’elle n’a pas bien travaillé, assure Lydie. Les sous-bois lorrains auront encore une fois bien préserver leur secret.
Illustrations : Michèle Wang
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