Depuis quelques mois, les mauvaises nouvelles concernant le climat nous font lever les yeux vers le ciel, oubliant que notre salut se trouve peut-être sous nos pieds. Et si les pimprenelles, achillées et autres campanules captaient le carbone mieux que personne ? Voyage au cœur des prairies fleuries, là où l’air est toujours plus vert qu’ailleurs.
Quand on ne voit plus la semelle de notre chaussure dans les champs, on peut faire sortir les bêtes, lance Virginie Genin, éleveuse de vaches blondes d’Aquitaine, à Lachaussée, petite bourgade de 270 âmes dans le Parc naturel régional de Lorraine. Là, c’est bon, on va bientôt pouvoir les mettre dehors.
En cette veille de printemps, la jeune femme alimente ses bêtes encore à l’intérieur. Les belles blondes farfouillent dans leur botte de foin. Elles cherchent le trèfle et les fleurs, précise l’éleveuse. C’est ce qu’elles préfèrent. Depuis qu’elle s’est installée en 2010, la jeune femme ne nourrit ses vaches qu’avec la production de la ferme, un mélange 100 % herbes issu des prairies qu’elle a semées à son arrivée. Aujourd’hui, je n’achète rien à l’extérieur, je ne consomme pas de pétrole. Une exploitation comme la mienne ne fait pas tourner le système, la bourse s’amuse sur les céréales, pas sur les prairies.
De l’air !
Pourtant s’il existait des traders de carbone, ils se rueraient sur ce type d’exploitation qui, non contente de préserver la biodiversité, de filtrer l’eau, ou de lutter contre l’érosion des sols, piège en Europe environ 10 % des émissions de CO2. Comment ? Naturellement, grâce à la photosynthèse. Résumons : la plante utilise le dioxyde de carbone de l’air, l’énergie du soleil et de l’eau pour fabriquer les sucres qui la feront pousser. Elle produit ainsi de la matière organique et relargue de l’oxygène pour équilibrer l’équation (6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse → C6H12O6 (glucose) + 6 O2).
Aussi, lorsque les végétaux fanent, le carbone qui constitue leur matière première est intégré et stocké durablement dans le sol des prairies. Dans ce type d’élevage, le bilan carbone est neutre, explique Sébastien Husse, chargé de mission au Parc naturel régional. En effet, la majeure partie du méthane que les vaches rejettent est compensée par le stockage de carbone dans le sol des prairies qu’elles pâturent.
Ce service public rendu par les prairies est loin d’être valorisé. En France, un tiers des prairies permanentes (en herbe depuis au moins cinq ans) a disparu en trente ans. Retournées, urbanisées, transformées en espaces agricoles intensifs, elles ont perdu leur super pouvoir de lutter contre le dérèglement climatique et de capter le CO2. Heureusement, quelques irréductibles comme Virginie tiennent bon, encouragés par des mesures à la fois européennes et locales.
Les agriculteurs peuvent recevoir des aides financières s’ils fauchent tardivement et laissent la flore terminer son cycle de végétation, explique Sébastien Husse, mais aussi s’ils maintiennent des zones refuge non fauchées pour maintenir certaines espèces protégées comme le cuivré des marais ou le râle des genêts, s’ils limitent la pression des animaux sur le sol…
Faire baisser la pression
Petit rappel sur la pression animale sur les sols. Chez les scientifiques, elle se calcule en UGB (l’unité de gros bétail dans le jargon). Ils parlent d’élevage extensif lorsque les bestioles mangent uniquement (ou presque) ce qu’elles trouvent dans les prés et qu’elles sont très peu à l’hectare. Combien ? Ça dépend de l’animal et de son UGB. L’UGB étalon est celle d’une vache de 600 kg qui produit 3000 litres de lait par an. Il faut savoir qu’une truie = 0,5 UGB, un bovin entre 6 mois et 2 ans = 0,6 UGB, un mouton ou une chèvre de plus de 6 mois = 0,15 UGB, une oie = 0,014 UGB. Vous suivez ? Donc, dans les pâturages extensifs, la charge en bétail doit être comprise entre 0,15 et 1,40 UGB/ha (selon qu’il s’agisse des critères de l’Union européenne ou des naturalistes).
Bref, on vous épargne les calculs mais en gros, sur un hectare de prairies, s’il y a à l’année moins d’1,4 vaches, moins de 9,3 moutons et moins de 100 oies (et que tout ce petit monde n’est pas réuni), il s’agit d’un élevage extensif.
Miss prairie
Revenons à Virginie… On ne peut pas se baser sur les différentes aides pour définir nos pratiques, explique-t-elle, c’est trop compliqué. La jeune éleveuse préfère garder son cap fixé sur l’autonomie et l’écologie. En 2013, son exploitation a été retenue pour participer au concours agricole des prairies fleuries. Lancé en 2010 par les parcs nationaux et régionaux, le palmarès récompense les meilleures pratiques agroécologiques.
Chaque année, près de 300 éleveurs répartis dans une petite cinquantaine de territoires présentent leurs parcelles. Leurs prairies sont évaluées en fonction de leur intérêt fourrager, écologique et mellifère. D’avril à septembre, des comités de spécialistes aussi bien en agronomie, en fourrage, en botanique, en écologie, en apiculture qu’en faune sauvage sillonnent le territoire à la recherche de la nouvelle star. Armés de fiches techniques, ils évaluent les parcelles.
Il y a beaucoup d’hélianthèmes ? Bonne nouvelle pour les naturalistes, les abeilles en raffolent. Les pissenlits pullulent ? Aïe, il y a trop d’azote, il faut revoir la copie de la fertilisation.
Le jury examine ainsi les parcelles selon des critères précis (productivité, valeur nutritive, santé des troupeaux, maîtrise des dynamiques de végétation, diversité floristique, renouvellement de la biodiversité, valeur patrimoniale floristique et faunistique, ressource mellifère…) et attribue deux notes à la prairie : l’une pour sa valeur agronomique, l’autre pour sa valeur écologique.
En 2018, André Ritz, exploitant à Arnaville, est monté sur la deuxième marche du podium dans la catégorie prairies de fauche de plaine. Malgré ses bons résultats, Virginie elle, est restée sur le plancher des vaches. Qu’importe, sa médaille est ailleurs : Quand on a des rendements pourris, je m’en fiche, je n’ai pas de charges. Aujourd’hui, il faut envisager la décroissance. Ce que je souhaite, c’est produire moins avec moins.
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Merci <3 <3 à Lygie Harmand pour ses illustrations.
Merci pour cet article et cet bel exemple de décroissance, est-ce que Virginie a un site internet qui soit consultable ?
Intéressant ! Quelles sont vos sources concernant les chiffres en tonnes de carbone stockées/ hectare (selon le type de milieu) ?
C’est drôle , dans ce genre de recherche, on ne parle jamais de l’homme….ah oui on pourrait voir à quel point il’empeste Parfois l’atmosphere, non ? Rien qu’avec ses pets ! Je ne vous parle pas du reste ?