L’apiculture est-elle une agriculture comme les autres ? Connaît-elle les sirènes de la productivité et de l’intensification ? Deux apiculteurs passionnés abordent les difficultés du métier pour gagner sa vie sans faucher celles des abeilles.
Faire son miel de, dit-on communément pour illustrer le fait de tirer profit et de se remplir les poches grâce à la besogne du quidam. Jusque dans les usages de la langue, les fins de l’apiculteur sont claires comme de l’eau de roche ; ses méthodes, peut-être moins. Tous ont l’impression de faire un métier écologique, prévient Jérôme, apiculteur dans le Vercors, à Die. Comment allier notre éthique au contexte économique ?, questionne Fabien, même activité, même massif montagneux, à Autrans. Comme dans toutes les branches de l’agriculture, on intensifie. Ces deux producteurs concernés, le premier en conversion bio, le second affilié au label Nature et Progrès, nous éclairent sur leur profession.
L’abeille est-elle une poule aux œufs d’or ?
Jérôme : Beaucoup se lancent dans l’apiculture mais très peu continuent car il est difficile d’en tirer des revenus décents. Le seul modèle économique viable, enseigné en formation : produire beaucoup. C’est assez récent que l’on veuille retirer 20 à 30 kg de miel par ruche et par an, le minimum pour tenir la route. Au début du siècle, on considérait comme normal de leur prendre moitié moins. L’apiculture étant une activité agricole comme une autre, elle n’a pas échappé aux démarches d’intensification récentes. Certaines zones en France sont très mellifères, comme la Loire, où les producteurs vivent de leur production. Ici, dans le Vercors, pour ceux qui pratiquent une « apiculture tranquille », ça ne suffit pas.
Fabien : Que l’on récolte le miel de 80 ou 200 ruches, le temps et le coût investis sont les mêmes, ce qui pousse à intensifier. Quand à la fin de mes études, j’ai présenté mon projet de petite apiculture la plus écologique possible, avec peu de ruches, mon examinateur a ironisé en me demandant si j’en avais parlé avec des collègues. Aujourd’hui, je transhume comme les éleveurs qui montent leurs bêtes en alpage pour trouver de la nourriture. En emmenant cette année mes ruches dans les forêts jurassiennes, j’ai réalisé la moitié de ma production annuelle, en quinze jours. Mais je suis conscient que ce n’est pas une solution écologique, les abeilles étant poussées à produire toujours plus.
J. : Si l’on demandait deux fois moins aux abeilles en vendant du coup le miel trois à quatre fois plus cher, il n’y aurait pas de souci. Dès que l’on sort du modèle transhumant, avec des rendements bien plus faibles, il faut développer des activités complémentaires pour compenser. Certains sont moniteurs de ski à côté, moi j’organise des stages de formation.
Pas moyen de butiner en paix pour les colonies, victimes des pesticides de l’agriculture conventionnelle. Mais l’empoisonnement à domicile avant même leur décollage est-il un passage obligé ?
F. : Les ruches sont systématiquement traitées en préventif à l’Amitraz contre les varroas, parasites qui déciment les colonies. Cette molécule cancérigène a un impact sur les abeilles et les hommes, mais c’est trop risqué de ne pas traiter du tout. J’ai commencé sans, pendant six ans, avant 2014 : les petits apiculteurs ont perdu 100 % de leur cheptel cette année-là. Aussi parce que les abeilles ont du mal à trouver assez de nourriture, qui plus est non empoisonnée. J’utilise depuis des produits autorisés en bio. L’Amitraz était hyper efficace dans les années 1990. Aujourd’hui, les doses et les temps d’exposition augmentent, le varroa s’adapte. C’est la course à l’armement.
J. : L’Amytrase dans le miel, c’est un grand classique lors des analyses.
F. : J’ai fait jadis des tests avec du sucre glace qui fonctionnent. Un amateur pourrait s’y consacrer davantage sans prise de risque pour développer la technique. Nous, on bosse souvent tout seul, alors on fait au plus vite et au plus simple. Si je peux compter les varroas l’année prochaine pour traiter seulement les ruches où il rôde, ce sera déjà une méthode prometteuse.
Et en bio ?
F. : Cela n’empêche pas l’intensif. Des peintures à l’aluminium peuvent être utilisées pour protéger les ruches. Alors que l’huile de lin fonctionne très bien. Les abeilles, elles, sont susceptibles d’être boostées au sirop avant le début de la saison pour devenir super efficaces dès la floraison.
Pourquoi les abeilles sont-elles si fragilisées désormais ?
F. : Pour avoir des ruchers productifs, ce qui n’est pas le cas naturellement à l’état sauvage, on élève des reines à partir des colonies les plus performantes. L’objectif ? Que les abeilles produisent beaucoup, résistent aux maladies et consomment peu de leur miel. Sauf qu’en contrôlant ainsi la reproduction, on occulte le rôle de la sélection naturelle. Les colonies sont de plus en plus assistées, affaiblies et donc nécessitent encore plus de traitements pour lutter contre les agresseurs.
J. : Les apiculteurs ont beaucoup perturbé les équilibres locaux en place, comme dans toute l’agriculture. Le fantasme de la production miraculeuse s’est estompé pour les maïs OGM ; pour nous aussi. Aujourd’hui, ce sont les amateurs qui assurent la diversité.
F. : Désormais, je « rends » à la nature certains essaims pour que les abeilles réapprennent à se débrouiller seules. Je les appelle « des essaims retraite » constitués de vieilles reines, que je refuse de tuer par respect pour la vie. C’est une pratique morbide courante pour pousser les colonies à remplacer la défunte par une jeune abeille, plus vigoureuse.
Acheter un miel aux vertus plus larges que celles d’un pot de pâte à tartiner, c’est possible ?
J. : Le miel ne doit jamais être chauffé à plus de 40 °, sinon il perd ses vitamines et enzymes. Fait rarement pris en compte pendant l’extraction, par souci de rapidité. La pasteurisation est la voie classique en France, notamment pour éviter qu’il cristallise, parce que les gens n’aiment pas le miel dur. Je préfère presser à froid pour le séparer des cadres. Cela doit rester un produit vivant, à manger dans les deux ans maximum.
F. : Le miel fige en quelques mois, sauf si on le tue par la chaleur. Le prix peut être un bon indicateur pour s’éviter les mauvaises surprises : le miel made in China trône en rayon à 4 euros le kilo, quand le même poids me coûte déjà 9 euros à produire. Et plutôt que le pot uniforme à l’aspect crémeux, recherché par les apiculteurs pour plaire à la grande distribution adepte de la texture Nutella, les miens affichent des consistances très différentes : celui de pissenlit est un peu sableux, le miel de lavande très fondant et le miel de montagne reste sirupeux grâce au miellat. En sommes le reflet de la diversité.
Bonjour,
Pouvez-vous me dire s’il est possible d’acheter en direct par internet du miel éco responsable auprès de producteurs locaux engagés ?
A vous lire, cordialement.
Merci pour cet article, mais je pense que pour inverser la courbe, il faut faire comprendre au consommateur qu’il ne peut décemment continuer à exiger des produits au prix toujours plus bas.
En effet, derrière cette « bonne affaire » se cache le labeur d’un ouvrier ou d’un producteur qui aspire à vivre de son métier avec dignité. Il faut enfin remettre un peu d’humanité dans les achats qu’on fait.
Personnellement, j’achète des produits plus justes envers le producteur et plus respectueux de l’environnement. Du coup, c’est vrai que j’achète moins (de cochonneries surtout) et à y bien réfléchir, c’est pas plus mal !
Bonjour
Nous habitons à Vestric, et nous avons des ruches qui produisent en Ardèche tranquillement et effectivement le miel en pot (sans chauffage ni aucun traitement) depuis la fin de l’été est entrain de cristalliser et de s éclaircir
Enfin la vérité s’offre au grand jour
Merci pour votre témoignage
Et oui il n’y a pas que le frelon asiatique et le gaucho. …
Et vous? vous produisez comment ?
Bon article, quoi qu’un peu rapide à mon goût.
Certains apiculteurs recommencent tout doucement à vouloir respecter l’abeille mais on la comprend toujours mal…
Monsieur Jean-Claude Guillaume est un expert en apiculture écologique, je vous conseille de prendre contact avec lui pour de plus amples informations.
Bravo et merci à Jérome et Fabien. vous faites un très beau métier..très difficile. Continuez s’il vous plait, les abeilles et nous avons besoin de vous. Claudette Raynal
Bon article avec de jolies photos qui illustre clairement les difficultés rencontrées par les apiculteurs. Merci La Ruche !