Corine Broquet et Julia Cattin distillent des plantes aromatiques en huiles essentielles dans la Drôme, où la filière est la plus développée en France. Au détail près que leur cueillette penche du côté des spécimens sauvages qu’elles dénichent localement au creux des Alpes.
Nous sommes à la mi-mai. À Gigors-et-Lozeron, dans le sud du Vercors, le soleil réchauffe une atmosphère encore humide. Prairies et forêts verdoient. Pour Corine Broquet et Julia Cattin, le temps est venu de cueillir le thym. Sur les pentes rocailleuses, les deux femmes passent de plante en plante, faucille à la main. D’un geste délicat, elles tranchent les feuilles et les fleurs minuscules, puis les posent dans un drap qu’elles ont noué sur leur dos. Des bouquets de thym sauvage s’échappe un parfum frais et citronné. Ce soir, ils rejoindront au séchoir les premières cueillettes du printemps : bourgeons de pin sylvestre et fleurs d’aubépine. Ces plantes aromatiques et médicinales seront ensuite transformées en huiles essentielles et en hydrolats, en macérations et en baumes, en tisanes et en mélanges de sel aux herbes.
Originaires de Suisse, Corine et Julia se connaissent depuis leur prime jeunesse. Après leurs études, l’une en biologie, l’autre en phytothérapie, elles se sont retrouvées autour de leur passion pour les plantes. Elles ont arpenté les montagnes du Jura pour puiser les savoirs ethnobotaniques qui y demeurent. Puis elles sont parties, en 2008, pour un long voyage dans les Alpes. Accompagnées d’une ânesse, elles se sont initiées, au fil des saisons et des itinérances, aux métiers de bergère et de cueilleuse. C’est à la croisée des deux qu’est née leur activité. J’ai rencontré un berger qui avait des lavandes sauvages sur ses alpages : c’est ainsi que j’ai pu distiller mon premier litre d’huile essentielle. De son côté, Julia a fait des macérations de plantes de montagne qu’elle trouvait en gardant les brebis : millepertuis, framboisier, alchémille… explique Corine. Ça a commencé comme ça, d’abord pour notre pharmacie personnelle, puis pour les autres.
Les plantes sauvages sont en contact avec le froid, le soleil, les prédateurs : elles sont plus concentrées en huiles essentielles pour se protéger.
Le voyage a pris fin en pays drômois, où les deux amies ont lancé leur activité sous le nom de Douceurs de Gl’âne. En tant qu’amoureuses des plantes, on a été comblées ici : on a retrouvé nos plantes fétiches des montagnes suisses, comme la gentiane ou l’épicéa, et on a découvert des espèces du Sud, comme le thym ou la lavande, sourit Julia. Dans la Drôme, les climats méditerranéens et montagnards se rencontrent, donnant naissance à une diversité végétale exceptionnelle. Le département est d’ailleurs un haut lieu de la production et de la transformation de plantes aromatiques et médicinales, avec le plus grand nombre d’exploitations dédiées à cette filière en France.
Une prédilection pour le sauvage
Julia et Corine cultivent aussi quelques plantes, celles qu’elles ne trouvent pas dans la nature : mélisse, estragon, basilic, bleuet, rose ou échinacée… Mais leur cœur penche pour les sauvages : Les plantes sauvages choisissent l’emplacement optimal pour pousser, en fonction de l’ensoleillement, de la nature du sol, etc. Elles sont en contact avec le froid, le soleil, les prédateurs : elles sont plus concentrées en huiles essentielles pour se protéger, explique Julia. Corine complète : Dans les champs, on fait pousser une variété de plantes bouturées, ce sont des clones. Ici, elles se ressèment toutes seules et créent des populations avec une grande diversité génétique.
Parfois, les cueilleuses vont voir ailleurs, prenant rendez-vous avec des espèces plus lointaines. En Savoie, elles connaissent une zone où pousse l’arnica ; dans les Alpes de Haute-Provence, elles retrouvent la sarriette. L’été, Corine est aussi bergère dans le Vercors. Elle en profite pour fouiller les alpages en quête de plantes d’altitude. Elle aime garder ce lien fort avec le terrain. Julia a, elle aussi, une double casquette. Elle est naturopathe et enseigne la phytothérapie. Une activité qui l’oblige à maintenir à jour ses connaissances en la matière. Et qui lui permet, aussi, de délivrer des conseils sur les vertus des plantes. Car depuis 1941, le diplôme et le métier d’herboriste ne sont plus reconnus par l’État : seuls les pharmaciens sont autorisés à vendre des plantes médicinales en tant que telles, en délivrant des conseils thérapeutiques. Un droit dont ils usent peu, manquant bien souvent de formation et de connaissances sur le sujet.
Cueillette éthique
Les deux cueilleuses écoulent tous leurs produits en vente directe. Cela nous tient à cœur de transmettre aux gens que ces plantes sont précieuses. Il faut 1 kg de lavande pour faire un petit flacon d’huile essentielle. On ne cherche pas la quantité… note Julia. Pour préserver au mieux la flore, le mode de cueillette est déterminant. Les cueilleuses énumèrent quelques principes : pour le thym par exemple, changer régulièrement de station de cueillette ; cueillir les pousses vertes de l’année sans attaquer le bois ; ne pas tout cueillir, de manière à laisser une part pour la plante, les insectes, les herbivores… La récolte est optimisée au mieux, notamment en valorisant l’hydrolat – la vapeur d’eau qui a traversé la plante dans l’alambic, moins concentrée que l’huile essentielle.
Julia et Corine adhèrent depuis peu à l’Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages. Née en 2011, celle-ci promeut une gestion durable de la ressource végétale, alors que la demande croissante de plantes sauvages – pour les tisanes, huiles essentielles, compléments alimentaires, homéopathie, cosmétiques naturels… peut fragiliser, voire menacer certaines espèces. Le cas de l’Arnica montana en est symptomatique. Cette plante aux fleurs jaunes, réputée contre les bleus et les douleurs articulaires ou musculaires, est revendue en grande quantité à des laboratoires, avec une forte plus-value pour les cueilleurs. Dans les Vosges, sa cueillette a dû être strictement réglementée pour éviter son épuisement. En 2017, l’association des cueilleurs a rédigé une charte qui invite à préserver la flore : méthodes de prélèvement douces, limitation des quantités, respect de la réglementation… ou encore, partage avec le public des savoirs et savoir-faire, afin de rendre aux plantes sauvages la place qui leur revient dans notre société.
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