Qu’il s’agisse de bois destiné à la déchetterie ou de chutes de laine de bois trouvées sur un chantier, les déchets des uns font la maison des autres. Deux designers nantais conçoivent des lieux de vie basés sur le réemploi des matériaux.
Des pénuries de bois et de métaux, une ruée sur le plastique et le PVC, des entrepreneurs qui doivent cesser les chantiers faute de trouver des matériaux. En France comme dans le monde entier, tous les acteurs du bâtiment et de la construction sont en grande difficulté. Tous ? Non ! Un couple d’artisans designers nantais résiste à la crise. Leur secret : le réemploi et la sobriété.
Audrey Bigot et Martin Barraud ont créé leur atelier de design baptisé l’Atelier moins mais mieux en 2018, après une formation en art appliqué puis en design. Audrey Bigot explique leur conception de leur métier : À l’issue de notre cursus, on s’est interrogés sur notre impact et sur notre responsabilité en tant que professionnels. On s’est demandé comment concevoir et fabriquer sans nuire ni à l’humain ni à l’environnement, sans contribuer par exemple à créer plus de déchets, plus de publicités, plus d’obsolescence ou de surconsommation. Ça a débouché sur une démarche globale de sobriété.
De cette réflexion sont nés des principes que les deux créateurs tentent d’appliquer à chacune de leurs réalisations. En guise de matière première, le couple utilise quasiment exclusivement des matériaux qui étaient destinés à la déchetterie, des surplus de chantier, ou même des matériaux déposés lors d’une démolition et qui peuvent être réutilisés. Tous méritent d’être traités avec respect, avance Martin Barraud : Cela reste pour nous des matériaux nobles. On essaye dès la conception d’avoir le moins de chutes et le moins de pertes possibles à la fin. On réfléchit tout de suite à une troisième vie pour ces matériaux, notamment en faisant des assemblages lisibles et facilement démontables. Et on fait en sorte que ce que l’on conçoit soit vraiment utile, donc adapté aux usages et pouvant être utilisé de plusieurs façons différentes.
Concrètement ? Pour construire les bureaux de la maison d’éditions Ulmer, les designers ont démonté d’anciennes grandes caisses de marchandises utilisées dans le transport aérien. Ces plaques ont été réassemblées avec le moins de coupes possible et sans colle, afin de pouvoir être à nouveau réutilisées ensuite si besoin. Des séparateurs et des tablettes mobiles ont été prévus pour permettre à chacun de pouvoir s’approprier un bureau, mais ils peuvent être retirés pour que les tables soient alignées et transformées en salle de réunion.
Un autre exemple : Martin et Audrey ont conçu un atelier installé en 2020 dans une ferme urbaine d’Avignon. Il a été fabriqué lors d’un chantier participatif à partir d’anciennes cabanes de chantier et de matériaux de réemploi piochés dans un rayon de 50 kilomètres : chutes de chantiers, bois déclassé, rebuts du bâtiment et déconstruction dans un immeuble. Soit 1,8 tonne de matériaux revalorisés, rien que ça. À plus petite échelle en plus de leur activité principale, ils ont développé un temps des ateliers de construction de sacoches à vélo (dont les bâches, sangles et fils viennent tous du réemploi) ou de kits de cuisson style marmite norvégienne (en textiles de récupération).
Parallèlement, le couple s’est lancé en 2018 un défi fou : autoconstruire à partir de matériaux de réemploi leur petite maison en bois, roulante et autonome en énergie. Une telle initiative demande de l’organisation. Audrey et Martin ont donc commencé par créer un tableau très précis listant exactement leurs besoins : quels matériaux différents sont susceptibles d’être utilisés ? à quel coût est-ce intéressant de les acheter d’occasion ? dans quelles proportions ? Pour eux, impossible de mener un gros projet en réemploi sans avoir fait ce travail au préalable d’identification des besoins.
Ensuite, place à la débrouille pour trouver les matériaux. Ils ont notamment trouvé dans la benne d’un concessionnaire de remorques des pièces de bois en bon état et d’une taille suffisante pour composer une partie de leur ossature et charpente. En passant par hasard à vélo devant un chantier d’isolation d’une maison en laine de bois, ils ont ensuite découvert assez de chutes pour isoler toute leur maison. Au final, 95 % de leur tiny house de 20 mètres carrés est constituée de matériaux de récup’, jusqu’au poêle à bois autoconstruit.
Un anti-modèle des maisons classiques, qu’Audrey Bigot décrit ainsi : La majorité des maisons actuelles en France sont encore construites en parpaings, en béton et en laine de verre. Ces matériaux ne sont ni réutilisables ni recyclables et reposent sur des ressources finies et surexploitées, comme le sable. Ils ne coûtent pas cher, mais leur coût écologique est très élevé. À les entendre, faire autrement a l’air aussi facile que logique. Mais cela demande pas mal d’observation et d’ouverture d’esprit, explique Audrey Bigot : En réemploi, on trouve rarement exactement ce qu’on veut. Pour réunir les matériaux de notre maison, il nous a fallu un an. Il faut donc être flexible et savoir saisir les opportunités. Cela implique de bien connaître les matériaux et leurs usages. Pour un bardage par exemple, on peut utiliser certains bois mais aussi d’autres matériaux comme l’aluminium.
Les gains importants réalisés en évitant d’acheter neuf sont aussi à nuancer au regard du temps nécessaire pour dénicher les bonnes affaires et nettoyer, poncer, repeindre et/ou recouper les matériaux. Martin Barraud détaille : Notre démarche demande beaucoup plus de temps de travail. Pour nous, contrairement au recyclage par exemple, le réemploi reste donc forcément une démarche artisanale ou alors réservée aux autoconstructeurs et aux chantiers participatifs. Au final, ça coûte souvent au moins aussi cher que d’utiliser des matériaux neufs, concluent-ils.
Pour partager leur expérience aux bricoleurs, le couple vient de publier un livre aux éditions Ulmer : Auto-construire en réemploi, donner une seconde vie aux matériaux. Très précis et documenté avec beaucoup de photos, ce livre est une mine de renseignements. On y apprend par exemple simplement à distinguer l’essence d’un bois selon sa couleur ou à reconnaître son usage privilégié selon ses dimensions. On découvre comment déposer et reposer une fenêtre ou encore comment réaliser un bardage à partir de matériaux de récupération. Les auteurs ont aussi indiqué sur une carte de Nantes et ses alentours les lieux où ils ont trouvé leurs matériaux, à la manière d’experts de la cueillette qui partageraient leurs meilleurs coins à champignons. Chiche de multiplier des cartes semblables dans toute la France ?
Pour approfondir
Références
Le livre prodigue des conseils concrets pour construire soi-même en réemployant des matériaux déjà existants.
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