Les cochons de la Ferme des Vallons sont rares, noirs et poilus. Mais ce n’est pas là leur plus grande originalité. Ils naissent, grandissent à la ferme, perpétuent la tradition, sont vendus en direct. Et séduisent les plus grands chefs étoilés.
Au lever du soleil, sur les hauteurs de Vielle-Tursan, bourgade du contrefort des Pyrénées située en plein cœur de la Chalosse, un joli petit monde s’affaire à la Ferme des Vallons. Parmi eux, il y a Maryse et Néné (les anciens), Stéphane (leur fils), Benoît et Eric (les fils d’Odile et Gérard, le deuxième couple d’anciens), Clothilde (la femme d’Éric) et Laure (salariée). Nous vous avons perdus ?… Dans ce cas, plantons le décor ! En contre-bas, d’un côté les cochons blancs, de l’autre les porcs gascons noirs, car ici, voyez-vous, on ne mélange pas les cochons et les serviettes.
Maryse et Néné sont des enfants du vallon. Petits, ils ont vu maintes fois leurs parents « tuer le cochon » pour la famille et les amis. Alors quand est venu leur tour de travailler, ils sont devenus naisseurs. Tâche qui consistait (et qui consiste toujours) à assister les truies dans leur mise bas et à veiller sur les porcelets 28 jours durant, avant de les acheminer chez l’engraisseur. « On nous a fait croire à l’époque, qu’il était préférable de tout dissocier, sous couvert de travail simplifié. Seulement, on s’est bien gardé de nous dire que ce serait au détriment de la rentabilité ! » Maryse a bel et bien conscience, avec le recul, qu’il eût été plus logique et judicieux d’élever les cochons jusqu’à la transformation. « Que voulez-vous, c’est pareil pour tout, qu’il s’agisse de cochons, d’abeilles, d’huîtres, sauf que, vous savez-quoi ? Tous ces transports à répétition permettent également aux germes de voyager et de se mélanger ! »
Voisins comme cochons
Pendant une quarantaine d’années, ainsi va la vie de Maryse, Néné et leur bande de cochons jusqu’à ce que sonne l’heure de la préretraite en 1994. Néné et Gérard, un exploitant voisin, transmettent leur patrimoine à leurs garçons. Stéphane, le fils de Néné, abandonne son boulot de chauffeur de bus et s’associe avec Benoît et Éric, les fils de Gérard, pour former un Gaec (comprendre, un groupement agricole d’exploitation en commun). À la tête d’un troupeau de 70 têtes et propriétaires d’installations vieillissantes, les jeunes gens prennent conscience qu’il leur faut réagir vite. Si l’exploitation ne connait pas une remise à flots, ils n’auront pas d’autre choix que de mettre les clés sous la porte.
Stéphane décide d’un côté de réduire le troupeau, de l’autre d’y ajouter de la diversité. En complément de la production de cochons blancs large white landrace (issus de croisements), il revient à ses premières amours : le cochon gascon. Une race authentique et fermière par excellence. Originaire du Sud-Ouest, menacée de disparition il y a une trentaine d’années, la bête est aujourd’hui sauvegardée. A l’instar du porc basque, le porc gascon est considéré comme l’une des dernières formes originelles en France. Oreilles en casquette, croupe avalée noire, pelage de soies en épis et placidité à toute épreuve : une race rustaude à souhait.
Maryse et Clothilde se remémorent l’arrivée du tout premier porc gascon sur l’exploitation avec sa touffe de soies noires corsetée d’un élastique. « Nous sommes allées chercher Ouranos à Horsarrieui et quelques temps plus tard à Ligerald, la femelle, Pimprenelle. Deux villages plutôt éloignés, car il convient que les animaux n’aient aucun lien de parenté. Ahhh… ces deux-là, je peux vous dire qu’ils sont morts d’une mort tout ce qu’il y a de plus naturelle ! »
Le temps de la qualité
La bête est magnifique, seulement voilà, les performances économiques de cette race rustique autochtone sont indéniablement en dessous de celles optimisées par croisement, d’autant que l’insémination de cette race est interdite afin d’en préserver la souche. «Nous faisons naître les porcelets. Ensuite, nous laissons le temps au temps, c’est lui qui façonne l’œuvre. La vitesse de croissance des porcs gascons est lente comparativement à d’autres espèces et les mères ne donnent des portées que de 6 à 8 porcelets en moyenne. Nos porcs sont ainsi élevés pendant 12 à 14 mois minimum. Arrivés à 200 kilos, ils offrent une viande mature, persillée, entrelardée…»
Ici la devise « pas de bon jambon sans bon cochon » est de rigueur !
Qu’à cela ne tienne ! Nos producteurs de porcs de la Ferme des Vallons ont pour objectif de rentabiliser leur production mais surtout pas au détriment de la qualité. C’est à ce moment que Clothilde entre en piste. Convaincue que la valorisation d’une telle viande n’est envisageable qu’en dehors des filières habituelles, elle décide de s’investir dans le développement de la vente en circuit court. Elle imagine ainsi une boutique « à la ferme », véritable démarche de précurseur en 1998.
Le jambon de pays, notre produit phare, il subit un salage, un séchage et un affinage allant de 24 mois à 3 ans, ce qui rend unique chaque pièce.
Résolument décidée à endosser son rôle de naisseur-engraisseur, la ferme s’associe ainsi à l’abattoir d’Hagetmau, le dernier abattoir municipal du territoire ainsi qu’à la Maison du jambon de Bayonne pour la partie affinage. Tout en conservant secrètes certaines des recettes héritées de ses aïeuls : saucisse-lentilles, boudin frais, cassoulet, garbure, ragoût…
Dans la foulée, les trois couples investissent de nouvelles terres afin de produire des céréales (tournesol, maïs, orge), base de l’alimentation des porcs, auxquelles s’ajouteront des légumes de saison ! L’avenir leur donnera raison : Michel Guérard, le grand chef auréolé de 3 macarons au Guide Michelin (Eugénie-Les-Bains) ne tarde pas à leur passer commande du jambon d’exception de porc noir gascon !
Dix-sept années se sont écoulées depuis la première vente directe d’un cochon. Le parcours a, bien entendu, été semé d’embûches, la crise porcine étant aussi passée par là. Mais les enfants du pays ne regrettent rien, chacun considère avoir fait son devoir de « mémoire » et tenu ses promesses. De vraies promesses, pas de Gascon.
Mille Bravos
Les animaux sont des êtres sensibles. Les cochons sont des animaux plus intelligents que les chiens, et pourtant on les envoie à l’abattoir. Arrêtons de consommer des êtres vivants, et de les utiliser comme des objets de production. A découvrir : l’association Groin Groin.