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Cultures bio

Le lin, mode et haute culture

Jacques Follet, liniculteur en Seine-Maritime
Jacques Follet, liniculteur en Seine-Maritime

Quelle est la première région productrice de lin textile au monde ? La Normandie, et le pays de Caux en particulier. Cette fibre naturelle vieille de 12 000 ans ne représente qu’1 % du tissu mondial, loin derrière le coton et la soie, mais est largement plus écologique. Et si le lin était la prochaine culture à la mode ?

Jacques Follet, liniculteur en Seine-Maritime
Jacques Follet est liniculteur en Seine-Maritime, comme l'étaient ses parents et grands-parents. L'écharpe qu'il porte est en lin de son exploitation. Il a réussi à tracer la boucle de sa confection. ©Géraud Bosman-Delzons

Jacques Follet s’approche d’une grosse balle de lin et en tire une longue fibre. Il la secoue, coincée entre le pouce et l’index. De petits bouts de paille virevoltent et diffusent en tombant de petits éclats lumineux dans l’ombre de la grange. Je viens de séparer la paille de la fillasse, explique-t-il en lissant le filament brut argenté.

Jacques Follet est liniculteur aux Prés d’Artemare, à Saint-Vaast-Dieppedalle. Cette commune de Seine-Maritime se situe au cœur du Pays de Caux, terroir historique de la production de lin textile. Les falaises de calcaire ne sont qu’à quelques encablures. Au pays de l’herbe, toutes les conditions sont réunies pour cette culture particulière : le climat tempéré et le sol acide de cette bande littorale qui s’étend de Caen à Amsterdam où se concentrent près de 80 % des 8500 exploitations. Face au vent, la fibre de lin plie, se couche éventuellement, mais ne rompt pas.

En cette mi-avril, on espérait apercevoir les semis, période qui s’étale entre mars et avril, mais c’est peine perdue : il y a eu trop de pluie. Il faut semer sur une terre dite amoureuse, poétise l’agriculteur, c’est-à-dire fine, mais pas trop. Installée en terre, la tige de lin grandit jusqu’à atteindre un mètre. Le lin est une culture de cent jours : c’est le temps qui s’écoule entre le moment où on le sème et celui où on l’arrache.

Champ de lin
Lorsqu'il mûrit, le lin est reconnaissable à sa très belle fleur bleue tendance violette. Sa durée de vie n’est que de quelques heures : elle s’épanouit le matin de bonne heure et se fane vers midi. La floraison ne dure qu'une semaine, à la mi-juin (avis aux photographes).

Le 14 juillet marque traditionnellement le début de l’arrachage des cultures – le lin ne se coupe pas car la fibre court de la racine à la tête de tige.

La plante repose désormais sur le sol : c’est le rouissage, étape majeure qui fera un bon ou un mauvais lin. C’est lorsque la paille commence à s’ouvrir et à laisser apparaître la filasse. Le liniculteur retourne régulièrement les tiges pour que le rouissage se fasse au mieux. C’est à ce moment que l’alternance pluie/soleil joue tout son rôle, tout comme l’activité bactérienne du sol. C’est enfin là que l’expérience de l’agriculteur se mesure. Car il ne faut pas qu’il manque les signes annonciateurs du ramassage : une rosée de trop sur le rouissage peut tout changer. La culture doit alors être enroulée en une seule journée. Ensuite, les bottes seront acheminées vers l’usine de teillage, où la fibre et la paille seront définitivement séparées.

Du champ à la coopérative

Aujourd’hui retraité, Jacques Follet a laissé la clé des champs à son gendre. Une belle ferme de polyculture et élevage laitier. Mais il reste en service actif, notamment comme président de l’association Lin et Chanvre bio créée en 2013. 

Le lin nécessite dix fois moins d'azote que le blé et aucune irrigation.

Le lin étant une récolte septennale, le liniculteur est polyculteur s’il veut subsister. Pendant les six autres années, Jacques cultive du blé, du méteil, ainsi que de la luzerne pendant deux ans. Aliment pour son bétail, cette plante fourragère a également des vertus nettoyantes et capte le CO2. Au final, le lin nécessite dix fois moins d’azote que le blé et aucune irrigation, explique l’hôte des lieux. Même en agriculture conventionnelle, le végétal est donc particulièrement propre. 

Lui a choisi de se tourner vers le bio en 2010. À force de lire la page 4 du Monde qui était alors consacrée à la planète, raconte-t-il avec un sourire en coin qui le quitte rarement. Un changement de logiciel pour cet homme qui a connu les décennies phares de l’agriculture productiviste. 

La région, l’une des moins bio de France dit-il, compte une trentaine d’agriculteurs écologiques. Soit 205 malheureux hectares de terres bio… sur les 50 000 cultivées en Normandie, les 97 000 en France en 2017 ou les 115 000 en Europe. Le premier s’est lancé il y a déjà une décennie. Mais la filière est poussive… Les agriculteurs le savent, la démarche n’est pas facile, car il faut que toute la ferme soit bio, pas seulement le lin, rappelle le connaisseur. En 2012, c’était chose faite pour lui.

Un morceau de tige de lin sèche qui a rouissé
Un morceau de tige sèche qui a rouissé : la filasse se sépare de la paille. ©Géraud Bosman-Delzons

De la teilleuse à la filature

Où file ensuite le lin de monsieur Follet ? Pour ne pas en perdre la trace si vite, nous sommes allés à la coopérative qu’il fournit, à Saint-Pierre-le-Viger. Il s’agit de Terre de lin, première coopérative du secteur en Europe. Créée en 1940, elle compte 250 salariés et 650 producteurs lui livrent chaque saison leur récolte. Elle produit ainsi 18 000 tonnes sur les 120 000 tonnes du marché européen.

L’usine est surtout l’une des huit certifiées GOTS en France, il y en a 24 au total. Le label GOTS [Global Organic Textile Standard] assure une traçabilité à chaque étape, explique Laurent Cazenave, responsable de la communication de l’entreprise.

Si 90 % de la production européenne de lin part en Chine pour y être tissée, la société Terre de lin n’en expédie que 70 %, pour en garder 30 % en Europe. C’est un choix stratégique qui remonte aux années 1990 car l’industrie européenne est une source d’innovation, poursuit Laurent, en faisant le tour du propriétaire. Sur nos 30 % de lin qui restent en Europe, une petite partie est en bio.

Il existe trois filatures labellisées GOTS en Europe : la Française Safilin (née en 1778 et dont l’usine est délocalisée en Pologne depuis 1995), la Hongroise Hungaro Len et l’Italienne Linificio. C’est à cette dernière, basée au nord de Milan, que Terre de lin vend majoritairement les 30 % de sa production destinée à l’Europe. À charge ensuite à Linificio de vendre à des metteurs en marché éco-responsables. Le liniculteur normand avait ainsi réussi à tracer la confection d’une écharpe.

Il y a cinq critères qui déterminent la qualité d’un lin, explique Laurent Cazenave. 1. sa nature : la fibre doit être grasse. 2. sa couleur : argenté brillant. 3. sa solidité. 4. sa finesse. 5. l'homogénéité de l'ensemble, égrène Laurent Cazenave. ©Géraud Bosman-Delzons

Sur une récolte classique de lin, la moitié forme des anas (résidu de paille) et part en litière ou paillage horticole et 25 % sont des fibres grossières qui seront utilisées pour l’isolation ou des applications techniques dans l’automobile ou la papeterie. Il y a même de la fibre de lin dans le dollar américain, glisse Laurent Cazenave. L’huile de lin, extraite des graines, est utilisée dans la peinture et a permis à l’Anglais Frederick Walton de créer en 1860 le “lin-oléum”. Bref, rien ne se perd !

Seuls les 25 % restants sont considérés comme nobles. C’est cette partie bien teillée (voire peignée) qui intéresse les filatures. Au final, 70 % de la production de lin finit en vêtement, le reste en linge de maison.

Une culture d’avenir ?

Le lin est l’une des activités agricoles les plus rémunératrices, assure Laurent Cazenave, mais il implique beaucoup d’investissements en matériel et de cinq à sept années d’expérience avant de trouver son équilibre. Le lin est une fibre rentable dont la  culture a doublé en vingt ans, estimait en juillet 2016 Alain Blosseville, alors président de Terre de lin. Le marché du lin se porte bien, se félicitent les acteurs de la filière.

Après la récolte, le lin sera teillé, peigné, filé, tissé, vendu et porté !
Après la récolte, le lin sera teillé, peigné, filé, tissé, vendu et porté ! ©Géraud Bosman-Delzons

Textile vieux de 12 000 ans, le lin représente-t-il une alternative future au coton, dont les ravages environnementaux et humains sont désormais connus ? Oui, veut croire Jacques Follet. Il est plus bien plus vertueux que le coton qui demande beaucoup de pesticides et d’eau, et prend la place des cultures vivrières. Le lin est une culture d’avenir, promet-il. Pour le vêtement – les Indiens en raffolent depuis peu – mais peut-être surtout pour ses coproduits. Le lin “technique” pourrait devenir une filière à part entière. Reste qu’il ne peut pas se cultiver partout…

Hypoallergénique, solide et noble à la fois, élégant s’il n’est pas repassé et surtout éco-compatible, le lin multiplie les atouts et demeure une niche sûre pour la France agricole. Cette filière d’excellence écologique se prend à rêver de devenir le symbole du made in France dans le secteur du vêtement. En Pays de Caux, on garde un œil distant sur l’Empire du Milieu qui n’a certes pas (encore) réussi à cultiver la plante, mais tisse depuis trente ans… 90 % du lin d’Europe.  

4 commentaires

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  1. Merci pour cet article, informatif et convaincant.
    Je découvre que la France n’a pas d’atelier de tissage de lin… une ouverture d’avenir ?
    Déjà adepte des draps en lin, récupérés chez la grand-mère, je n’en connaissais pas ses vertus écologiques (moins d’eau que le coton !).
    Je ferai encore plus attention lors de mes achats textile.
    Merci et bravo à Jacques Follet !

  2. Bien contente de voir que le liniculteur interrogé est passé en bio.
    Ceci parce que je suis normande, et un peu agacée d’entendre « le lin textile naturelle » quand on voit le glyphosate épandu sur le lin en train de rouir parce que l’herbe repousse dedans.

    Alors on peut bien s’habiller en lin mais il faut dépasser l’angélisme et ne pas non plus en faire une fierté, car cette culture en conventionnel n’est pas propre et fait un petit tour de planète pour nous revenir tissée et cousue.

    Il y a encore du chemin à faire, et les textiles en lin bio ne courent pas les boutiques.

  3. Depuis très longtemps je n’achète que du linge de maison en lin c’est une matière merveilleuse pour dormir chaud l’hiver frais l’été ! rideaux, serviettes, nappes ,et quelques vêtements ,je l’utilise le plus possible !

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