C’est une première : faire transhumer joyeusement et collectivement 27 moutons dans le Grand Paris pour parler ville comestible, agriculture urbaine, lien social, aménagement du territoire. Vous rejoignez le troupeau ?
Aujourd’hui, il va falloir se mettre au pas des moutons, explique la bergère urbaine Marianne Cornioux aux participants de cette troisième journée de transhumance qui démarre à Montreuil (93). La jeune femme précise que le pas de l’ovin est réglé sur deux à l’heure quand celui du parisien s’offre des pointes à 6 km/h dans les couloirs de la ligne 13.
En ce lundi matin, sous le soleil des Murs à pêche, l’assemblée semble ravie à l’idée de lever le pied. Marianne déroule les consignes et rappelle qu’il ne faut jamais se mettre au milieu du troupeau, qu’il est possible de caresser les animaux sauf s’ils n’en ont pas envie, que tout le monde marche sur le trottoir avec ou sans sabots. La police qui connaît l’intégralité de l’itinéraire nous attend déjà au passage piéton. Hommes et animaux traversent sur les clous sans encombre. La journée pastorale commence.
La transhumance du Grand Paris, c’est 12 jours, 140 kilomètres, 6 départements, 34 villes, 3 bergers du 93 et d’autres venus de Lyon, Bruxelles, Marseille ou des Alpes, plein de rendez-vous culturels, et près d’une tonne d’herbe avalée par le troupeau… égraine dans un seul souffle Vianney Delourme, cofondateur du média Enlarge your Paris à l’origine de cette folle idée avec les Bergers urbains et la Métropole du Grand Paris. C’est aussi un an de préparation, la clôture symbolique des Rencontres agricoles du Grand Paris organisées depuis septembre, et une centaine d’autorisations.
En ville, le mouton ouvre une porte d’humanité.
Pour définir l’itinéraire, de la basilique Saint-Denis aux berges de Seine, en passant par Châtenay-Malabry ou le château de Versailles, Vianney a superposé plusieurs calques sur sa table de travail. D’abord celui de la diversité des paysages franciliens qu’il connaît bien, avec plaines, forêts et passages par la Seine. Puis celui du garde-manger, en multipliant les passages dans les parcs pour assurer une pitance diversifiée aux animaux. Enfin, celui des lieux de fête possibles. Hier, il y avait un super concert dans les locaux de la bière la Montreuilloise, raconte Vianney qui a encore un léger mal aux cheveux. D’autres sont prévues sur le parcours dont la fête de fin de transhumance sur les berges de Seine le 17 juillet.
Symphonie pastorale
Nous voilà dans les petites ruelles en pente de Fontenay-sous-Bois. C’est charmant, on se croirait dans le sud de la France. À l’avant du troupeau, Marianne, qui aura bientôt le sien à Marseille. À l’arrière, Guillaume Leterrier, cofondateur des Bergers urbains avec Julie-Lou Dubreuilh, et propriétaire d’un troupeau de près de 70 moutons à la Courneuve. Pour cette transhumance, on a mis à disposition l’élite, confie-t-il. Les bêtes sont calmes et faciles. Les deux bergers font avancer les moutons en les encerclant de leurs cris kilikilikli et tchiptchiptchip qui composent une étonnante symphonie pastorale.
Devant la scène champêtre, les habitants dégainent leurs téléphones pour immortaliser le moment, certains tentent même le selfie. D’autres s’approchent pour caresser les moutons ou faire quelques pas avec le troupeau. Rares sont les indifférents. Les moutons redonnent le sourire aux passants, quand tu en as vu un, tu as gagné ta journée, raconte Guillaume, à la voix tiraillée pas des années de guidage vocal. Les animaux sont de formidables vecteurs de lien social. Le berger au chapeau se défend aussitôt du côté bobo ou folklorique qu’on aime lui renvoyer et rappelle les liens historiques entre la ville et l’animal.
Il y a quinze ans, l’agriculture urbaine n’existait pas. On parlait d’agro-poésie, puis on a vu l’animal comme un élément du paysage et on a inventé l’écopâturage, avant de mettre un mot sur ce qui existait partout il y a cinquante ans : l’élevage en ville. Les cartes postales anciennes de l’ouvrage Capital agricole confirment ses dires en noir et blanc. Au début du XXe siècle, on y voit des chèvres aux Lilas, des vaches dans le bois de Vincennes, des moutons à Pantin ou à Bobigny. On comptait environ 500 laitiers dans Paris et autant dans la proche périphérie, écrit l’auteur Augustin Rosenstiehl.
Mouton futé
Il est déjà 13 h, les pasteurs amateurs commencent à avoir faim. Les moutons, eux, jouent les piquets de grève à l’entrée du bois de Vincennes. Sans prévenir, ils s’allongent à l’ombre, en groupe, et s’offrent un petit temps de récupération. L’heure du pique-nique est décalée. En pastoralisme, c’est l’animal qui donne le tempo. Le rôle d’un berger est de veiller à l’alimentation de son troupeau, de le soigner, de préserver la ressource et d’assurer sa sécurité, explique Marianne, juriste dans une première vie. Contrairement aux idées reçues, la ville est bien adaptée aux moutons. Marcher sur le goudron leur lime les pieds, la nourriture est abondante et prouve que les cités sont comestibles.
Le mouton ouvre le champ des souvenirs. C’est une porte d’entrée pour parler de tout et pour réfléchir à l’aménagement des villes.
13 h 30, le troupeau repart puis s’arrête une heure plus tard devant le lac Daumesnil du bois de Vincennes pour la vraie pause-déjeuner. Julie-Lou vient d’arriver. Béret basque immaculé, forte gouaille, la bergère aux yeux bleus assure le relais de la transhumance pour l’après-midi. En deux kilikilikli, elle rassemble autour d’elle ses moutons préférés pourtant confortablement installés à l’ombre d’un marronnier. Pourquoi tu les embêtes, ils étaient bien partis pour la sieste, s’offusque Marianne. Tout en leur donnant une caresse, Julie-Lou raconte ce qui la fait vibrer : Je suis une urbaine, j’aime voir passer les bus, d’ailleurs je connais tous les chauffeurs de la ligne 249 qui passe devant la bergerie. Je ne m’imagine pas faire ce métier ailleurs. Le mouton rend la ville bien plus supportable.
Julie-Lou, qui forme avec Guillaume le duo des Bergers urbains, souhaite avant tout reconnecter les citadins aux agriculteurs. À l’avenir, j’aimerais que l’on puisse avoir deux catégories d’agriculteurs, comme pour le foot, les amateurs et les professionnels. Tout le monde parlerait le même langage et serait conscient des difficultés pour cultiver un champ de patates ou conduire un troupeau de moutons.
Le nôtre vient tout juste de repartir. Même vitesse, mêmes arrêts, même joie des passants jusqu’à l’étape du jour, l’école d’horticulture du Breuil. L’objectif de cette transhumance est de montrer la pertinence de l’animal en ville, s’enthousiasme Vianney. Avec cet événement, on crée un précédent.
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Première transhumance du Grand Paris
Du 6 au 17 juillet 2019, places limitées à 35 marcheurs par balade.
Inscriptions obligatoires sur le site Explore Paris (exploreparis.com)
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