Piquée d’apiculture depuis l’adolescence, Jamie Lozoff, Américaine installée à Marseille, prêche partout la bonne parole du miel. Elle partage son quotidien entre son rucher installé dans la garrigue aixoise et celui niché à l’est de la cité phocéenne où elle anime régulièrement des ateliers pour les jeunes du quartier.
Jamie Lozoff virevolte entre les ruches. Son léger accent bourdonne à l’oreille. La jeune femme de 27 ans a grandi dans la ville de Philadelphie, aux États-Unis. C’est lors d’une sortie scolaire chez un apiculteur de la région, qu’elle est piquée d’amour. L’apiculteur a ouvert la ruche et je suis restée scotchée. Il se passait tellement de choses dans le royaume : des œufs étaient en train d’éclore, des abeilles venaient déposer leur pollen… Une vraie nébuleuse. En rentrant, elle installe une ruche dans son lycée puis monte un club d’apiculture. Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain passe par là, Jamie s’amourache de la France et atterrit, après son bac, chez un couple d’apiculteurs des Cévennes.
Quelques mois plus tard, l’Américaine débarque à Paris. Elle y rencontre Marie-Laure, apicultrice à la butte Bergeyre dans le XIXᵉ arrondissement. C’est à la fois mon mentor et ma mère parisienne. Nous formons un joli duo intergénérationnel. L’abeille est l’insecte social par excellence, je ne peux pas imaginer l’apiculture autrement que comme un tissu d’échanges entre les humains. C’est pourquoi Jamie butine et prêche partout la belle parole du miel. Ainsi, il y a deux ans, elle convainc quelques restaurateurs parisiens de financer ses dix premières ruches et part s’installer en Champagne.
Depuis, la jeune femme a déménagé à Marseille. En juin, après la période de confinement, je suis retournée en Champagne chercher les dernières ruches que j’avais laissées dans les vignes d’amis vignerons. Jamie Lozoff profite du déménagement pour agrandir son cheptel et achète quelques essaims de buckfast, une race d’abeille originaire d’Angleterre, à des éleveurs sudistes. Les colonies qui étaient installées en Champagne sont quant à elles toutes des races endémiques du terroir champenois.
La trentaine de ruches est aujourd’hui répartie entre la parcelle de l’association Le Grain de la Vallée située à l’est de la cité phocéenne, le jardin d’un particulier et un terrain à Jouques dans la campagne aixoise. Sans trop y croire, en arrivant à Marseille cet hiver, j’ai posté une annonce sur le site Je Partage Mon Jardin en précisant que je cherchais un terrain pour installer mon rucher. Le lendemain, j’avais une réponse d’une professeure de littérature médiévale à la faculté d’Aix. Elle me proposait d’investir gracieusement le coin de garrigue acheté plusieurs années auparavant pour contrer l’expansion des investisseurs qui bétonnent la région.
Les deux femmes se rencontrent en février et à l’aune de l’été, Jamie, aidée de quelques amis, installe une quinzaine de ruches sur la parcelle. Je suis bluffée par la générosité et l’accueil que m’ont réservé les voisins. Ils ont tout de suite compris qu’avoir un rucher près de chez eux était favorable pour la biodiversité et la pollinisation de leurs plantes. En témoignent les abreuvoirs installés sur les arbres par Louis, un homme habitant les environs, pour pallier la sécheresse de l’été.
Ce matin-là, peu avant le début de l’automne, à Jouques, Jamie procède à l’ultime récolte de miel de l’année. À Marseille, nous avons recueilli tout le miel il y a quelques semaines avec des enfants du quartier. C’est tout l’intérêt pour moi d’avoir des ruches en ville. Je veux créer des interactions entre les abeilles et les humains, utiliser la ruche comme un outil de pédagogie, raconte l’apicultrice urbaine qui se verrait bien animer, tout au long de l’année, des ateliers à destination du jeune public.
Après avoir rempli son enfumoir en inox d’aiguilles de pin, de thym sauvage et de quelques brindilles, Jamie ouvre les ruches, une à une. Le geste est sûr. Elle y distille quelques traces d’une fumée blanche. C’est inoffensif pour les abeilles. Par cette action, je cherche à les distraire afin que je puisse récupérer sans risque pour moi les cadres dans la ruche.
Jamie inspecte alors la quantité de miel présent sur chacun d’entre eux. Je dois veiller à en laisser assez dans la ruche pour que la colonie ait de quoi se sustenter cet hiver. L’apicultrice en pose quelques-uns sur le côté qu’elle ramènera chez elle pour en récupérer le miel. Je racle les rayons puis je filtre la préparation. Lorsque je récolte de plus grosses quantités, j’utilise un petit extracteur. La ruche bourdonne, chaque habitacle accueille 30 à 40 000 ouvrières et plus encore l’été, quand la colonie est à son apogée. Tandis que la reine peut vivre jusqu’à cinq ans, les ouvrières, elles, ne survivent que quelques mois.
Seulement un solstice depuis que le rucher a été établi dans la garrigue aixoise et déjà, les abeilles semblent avoir pris leurs marques. Je suis ravie, le miel est divin. Les abeilles peuvent voler dans un rayon allant jusqu’à trois kilomètres, alors je ne saurais dire exactement ce qu’elles butinent mais le résultat est délicieux, conclut Jamie en plongeant son doigt dans le nectar sirupeux. Le miel récolté à Marseille est très différent, moins floral peut-être mais il a le goût de la générosité et de l’entraide.
Alors c’est comme cà que l’on goutte le miel à Marseille ? (au couteau directement dans un cadre non operculé ?:). Bravo pour ce magazine, et plein de succès à Jamie pour le futur !
Superbe initiative! Son miel est-il commercialisé quelque part ou réservé aux restaurateurs qui ont financé ses premières ruches? Merci!