Laisser derrière soi les villes crasseuses et bourdonnantes, fuir les intrigues et l’agitation citadines, partir à la campagne, se reconnecter avec la nature et avec soi-même. Cette tentation si largement partagée aujourd’hui est-elle un syndrome contemporain ou un appel de tous les temps ?
On imagine souvent que les désirs de campagne sont le fruit d’une histoire récente, celle des années 70 et des mouvements hippies et contestataires en réaction à une industrialisation déshumanisante et à un matérialisme décrié. Mais l’histoire du retour à la terre est en réalité une vieille rengaine, aussi ancienne que l’histoire des villes et de l’agriculture. Portée aussi bien par des courants progressistes que conservateurs, religieux ou matérialistes, elle a touché tous les milieux sociaux dans presque tous les pays occidentaux. Plongeons-nous un moment dans une petite histoire du retour à la terre.
Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilières, mais épars sur la terre qu’ils doivent cultiver. J-J Rousseau
Villes/campagnes, je t’aime, moi non plus
On ne peut pas comprendre les aspirations rurales à travers les âges sans rentrer dans les rapports ambigus entre les villes et les campagnes. Ce qu’on reproche aux villes aujourd’hui n’est pas nouveau. La ville symbolise de tout temps le pouvoir, le vice et la corruption. Avant Paris, c’était Rome, avant Rome, Babylone ou encore Sodome et Gomorrhe que Dieu raya de la surface du globe pour excès de vice. Tout simplement …
En 1762, Jean-Jacques Rousseau non plus n’y allait pas de main morte. « Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilières, mais épars sur la terre qu’ils doivent cultiver, écrivait-il dans son ouvrage Émile ou De l’éducation. Plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent. Les infirmités du corps, ainsi que les vices de l’âme, sont l’infaillible effet de ce concours trop nombreux. L’homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeaux. »
Loin des hommes, près de Dieu
Dans l’ancien temps, quand les sociétés étaient largement religieuses, les villes étaient perçues comme les royaumes des hommes, lieux artificiels et artificieux où le pouvoir temporel s’exposait sans honte et sans pudeur à la surface du monde.
La campagne, à l’inverse, était restée plus proche de l’ordre naturel, c’est-à-dire de l’ordre divin. Les choses et les gens étaient supposés être plus proches de leur Créateur, vivant en meilleure harmonie avec le projet du Tout-Puissant.
Un exemple caractéristique se déroule en 1085 avec la fondation de l’ordre des Chartreux. Écœuré par les intrigues du Haut clergé, Bruno décide de quitter Reims où lui était promis un poste d’archevêque, pour mener une vie quasi érémitique dans le massif de la Chartreuse puis en Calabre, fondant au passage l’ordre des Chartreux, l’un des plus radicaux dans son opposition à l’ordre social de son temps.
A travers tout le Moyen Âge, les monastères servent de lieux de ralliement pour ceux qui souhaitent quitter le monde et mener une vie plus proche de leur idéal.
Mais bientôt, l’Europe est secouée par le séisme de la Réforme et s’embrase comme une torche. Catholiques et protestants s’écharpent alors que naissent un peu partout des mouvements religieux minoritaires. Parmi ces courants, les anabaptistes refusent toute forme d’autorité, qu’elle vienne du droit laïc ou d’un quelconque clergé. Persécutés sur le vieux continent, ils ne tarderont pas à rejoindre le nouveau monde où ils pourront construire une société qui ressemble à leur conception religieuse ; une vie rurale évidemment. Les anabaptistes existent encore, on les appelle aujourd’hui les amish et leur première règle est « tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure » !
Le nouveau monde américain agit comme un gigantesque appel d’air. La terre y est vaste et fertile, l’emprise des villes et du pouvoir y est faible. Dans ces promesses s’engouffrent aussi bien les voracités prédatrices que les idéaux les plus élevés.
Et quand les idéaux commencent à sortir de la tutelle religieuse, une pensée laïque mais non moins mystique sur la nature reprend le flambeau. Dans les années 1850, Henry David Thoreau sera l’un des pionniers du retour à la terre et de la simplicité volontaire. Pendant 2 ans et 2 mois, il mènera une expérience de vie autonome, dans une cabane isolée au fond d’une forêt du Massachusetts. Refusant de payer des impôts pour protester contre la politique du gouvernement américain, il inventera également le concept de désobéissance civile qui restera toujours lié à la vie autonome et rurale.
Cité d’échange, cité productive
Avant la révolution industrielle, la conception dominante était que seules la terre et l’agriculture étaient créatrices de richesses, le commerce n’étant qu’un simple déplacement de valeurs, une opération à somme nulle. Cette idée développée par les physiocrates est alors très largement partagée. Ainsi, la campagne est la source principale de la valeur tandis que les villes sont avant tout des lieux d’échange, de pouvoir et de transmission.
Mais rapidement, les hommes commencent à se rassembler en masse autour des outils, des mines et des usines. La cité devient productive, l’industrie prend le pas sur l’agriculture. Les paysans quittent la terre par millions.
Pour la première fois, les campagnes se retrouvent en concurrence avec les villes sur le plan économique. Ce choc provoque évidemment des réactions et, d’abord, une certaine nostalgie d’un ordre en déclin. Le courant romantique se nourrit largement de ce sentiment et renouvelle l’imaginaire de la nature comme lieu d’harmonie où l’on peut mieux exprimer sa sensibilité profonde, loin des cités superficielles, sales et laborieuses. Plus tard, l’impressionnisme reprendra le flambeau et les résidences d’artistes fleuriront dans la forêt de Fontainebleau et sur les rives préservées de la Seine.
Sur le plan politique, on assiste pour la première fois à des tentatives d’union et de défense du monde agricole. L’agrarisme fait son apparition. Ce courant, aujourd’hui peu connu, est à la fois un mouvement social et une école de pensée qui considère l’agriculture comme ne pouvant être totalement incluse dans l’économie de marché. Il aura une influence majeure en Europe entre la fin du XIXe siècle et jusqu’à la seconde guerre mondiale. Organisant la vie rurale, défendant les intérêts et le mode de vie paysans, il tente également de promouvoir les initiatives de retour à la terre. On doit à ce courant la création du ministère de l’Agriculture (1881) et des caisses agricoles.
Quand la campagne ne gagne plus
Après la seconde guerre mondiale, la question du retour à la terre connaît un certain déclin. La reconstruction occupe les esprits, le progrès technique et l’impressionnante croissance économique des Trente Glorieuses fait passer les aspirations rurales pour de la sensiblerie d’un autre âge. À cela, il faut bien ajouter que l’exaltation des « valeurs rurales » a tenu un rôle important dans la propagande de Pétain… Les images d’Épinal de la vie à la campagne ont logiquement pris un sérieux coup sur la patate.
C’est dans les années 70 que l’idée du retour à la terre refait surface, sous une forme très différente. Le matérialisme est en crise et la société n’offre pas d’horizons satisfaisants pour les jeunes générations. Ce courant est à la fois politique, spirituel et non matérialiste. Il introduit pour la première fois une sensibilité écologique. Les initiatives des années 70 connaîtront des fortunes diverses mais l’expérience a durablement marqué les esprits.
Aujourd’hui, l’aventure rurale n’est pas terminée, elle est même en pleine renaissance. Depuis le début des années 90, les campagnes ont une dynamique démographique positive ; une première depuis un siècle. En ces temps de crise économique, écologique, voire alimentaire, ceux qu’on appelle désormais les néoruraux s’établissent à nouveau dans les campagnes. Avec l’essor des technologies numériques et la capacité inédite à travailler à distance, il est désormais de plus en plus envisageable de combiner une vie rurale proche de la nature avec un travail connecté suffisamment rémunérateur. Allons-nous assister à un exode urbain numérique ? L’histoire continue …
Clichés bien pensants sur le « retour » salvateur à la campagne.
Retour à la terre, oui mais marre des ces néo ruraux qui ne supportent rien, ni le chant du coq, ni l’odeur des vaches et leurs cloches, ni les clochers. Qui veulent des poules mais qui se rendent vite compte qu’ils faut en prendre soin. Un potager mais c’est fatiguant de se baisser, de běcher, de biner, d’arroser.
La vie à la campagne n’est pas de tout repos des l’instant où l’on a une propriété à entretenir, il faut le savoir. Mais avec un peu de volonté et en étant conscient du travail à accomplir, tout est rendu au centuple une fois l’heure du repos arrivée.
Article passionnant ! En tant que néoruraux nous nous inscrivons dans ce grand mouvement qui a donc parcouru chaque époque.
Merci à vous pour ce texte !
Vivre à la campagne, oui mais sans dénaturer les villages en les transformant en dortoirs et en n’acceptant pas ce qui en fait le charme : l’heure du clocher, le chant des coqs (moins dérangeant que les aboiements d’un chien que l’on abandonne toute la journée pour aller travailler), les cloches des vaches (profitons-en pendant qu’il y en a encore).
Quels avantages entre vivre en ville ou vivre à la campagne dans un lotissement de parcelles d’à peine 400 m2, vite clôturées pour se protéger des voisins ?
Tout est question d’équilibre et de positivité! Quand c’est pas possible d’être à la campagne, on relève ses manches et on plante ses salades sur les toits, on fait ses confitures dans la cuisine, pour les poules faut chercher mais leurs vrais œufs nous délectent…
Alors gens privilégiés de la campagne ouvrez la porte on a une tête et des jambes…. et des idées…