C’est l’un des plus petits pépiniéristes de France. Devant la déferlante de fleurs hollandaises, Jean Dubois tente de rester sur la vague. Pour cela, il expérimente un culture écologique à contre-courant.
Jean Dubois fait des fleurs : il est horticulteur-pépiniériste. De hortus, le jardin et de pépinière, qui vient de pépin, qui vient de nulle part. Étymologiquement, car botaniquement, le pépin vient des fruits, et c’est une graine. Jean Dubois, donc, qui lui, vient de Béthune et pas des fruits, a trois pépins. Métaphoriquement, car concrètement, des graines il en a beaucoup plus, il en plante tous les jours. Mais ces trois pépins-là sont des gros, qui viennent de loin, et Jean s’y intéressa toute sa vie. Parviendra-t-il à les résoudre ? Touchons du bois.
Jean Dubois, en bref
Il est l’un des plus petits horticulteurs de France. Depuis la rue, il est impossible d’apercevoir ses serres de 3 600 m² nichées en plein centre-ville. Il cultive environ 100 variétés, essentiellement des fleurs parce qu’elles sentent bon, qu’elles font joli ou qu’elles goûtent bien. Le summum c’est quand elles font les trois en même temps. Les plantes les plus polyvalentes sont ses favorites, à l’image du Ocimum basilicum, qui produit de belles grappes de fleurs blanches en plus d’un excellent pesto.
La ferme vient de la famille. C’est le père de Jean qui construisit la première serre semi-enterrée en 1958. À l’époque, les horticulteurs-pépiniéristes faisaient des affaires florissantes et Jean se souvient que certains roulaient en Jaguar – pas ses parents, qui eux roulaient en 2 CV. Dans les années 2000, Jean construisit de nouvelles serres avec ses propres mains et surtout l’envie d’en faire toujours plus. Il n’avait pas vu la concurrence des jardineries et des supermarchés arriver, ni prévu l’omnipotence que gagneraient bientôt les commerçants hollandais sur le marché. En 1986, on comptait 14 000 horticulteurs-pépiniéristes, en 2000, ils n’étaient plus que 6 500, aujourd’hui, ils sont sans doute encore deux fois moins. Alors pour survivre, Jean s’est diversifié : il vend du conseil, il fait des abattages dangereux chez des particuliers, il intervient même régulièrement en tant qu’expert jardin sur France Bleu. Et puis, surtout, ils s’adapte aux tendances…
Car le végétal n’échappe pas à la mode ! Pour ne pas se planter, Sonia feuillette les catalogues de prêt-à-porter, elle en prend de la graine et repère les couleurs des saisons à venir. Cette année, ce sera pastel mais le noir reste incontournable. La crise redonne aussi de la valeur aux fondamentaux, comme les géraniums, les bégonias. Les symboliques évoluent aussi. Depuis quelques temps, Jean fait ses meilleures ventes à Noël et pour la Fête des mères ; par contre, la Fête des morts fait moins recette. Enfin, la demande de plantes aromatiques et potagères ne cesse d’augmenter car les jeunes générations se remettent à cultiver au fond de leur jardin. Les plantes, en fait, sont de petites serrures à travers lesquelles Jean peut espionner les mœurs de ses contemporains…
Premier pépin : les insecticides
« Il faut traiter », répétaient les professeurs en école d’horticulture, comme un mantra. Jean s’est toujours demandé : « C’est qui, il ? » Son angoisse métaphysique ne trouvant pas de réponse, Jean prit la tangente dès 2001 en se lançant dans la lutte intégrée, qui consiste à ne plus voir les insectes comme des nuisibles mais plutôt comme des alliés. Tout est question d’équilibre. Les trois premières années, pour obtenir un écosystème vertueux, il acheta quelques espèces qui colonisèrent les serres ; depuis, il laisse la faune s’autogérer.
En général, les agriculteurs ne se vantent pas d’avoir des pucerons sur leurs plantes, mais Jean, si. Pour lui, c’est un indicateur de la bonne santé de son écosystème. Parce que les pucerons métabolisent la sève, leur goût est sucré, très attirant pour toutes sortes d’animaux : la coccinelle, la mésange bleue, et même une guêpe particulièrement cruelle appelée Aphidius colemani, qui pond des œufs dans sa victime afin que les larves la vident de l’intérieur et n’en laissent qu’une enveloppe creuse appelée « momie ». Jean, il adore ! Ce sadique a sûrement des bourreaux parmi ses ancêtres.
Deuxième pépin : les engrais chimiques
Les engrais chimiques ne sont pas écologiques, mais surtout, ils rendent possible une forme de tricherie. L’archétype de la plante hollandaise est gavée de ces produits tout au long de sa croissance. Elle fait bonne figure encore quelques semaines en magasin. Elle est achetée, puis, sitôt dans la terre de ses acquéreurs, elle meurt. Les pauvres clients culpabilisent et se répètent que, décidément, ils n’ont pas la main verte. Mais Jean, lui, il sait qu’on leur a bradé une « plante zombie », comme il les appelle…
Alors, pour obtenir des plantes naturellement solides, Jean se passe complètement d’engrais chimique. Par contre, il a mis du temps pour élaborer la recette de son terreau fortement nutritif, qu’il obtient en mélangeant du fumier de bovin très composté avec de la tourbe. Les plantes apprennent donc à y puiser juste ce dont elles ont besoin et à laisser de côté le superflu. Bref, la flore aussi s’autogère.
Troisième pépin : le froid
Là, c’est le gros pépin, le pépinsurmontable. Les fleurs ne doivent surtout pas geler entre février et mars, ce qui ne va pas de soi dans la banlieue lilloise. Alors, pour le moment, Jean reconnaît piteusement qu’il utilise de vilains chauffages au fuel. Mais il ne s’en contente pas ! Avec l’université d’Artois toute proche, il travaille à l’élaboration d’un puits-canadien. Ce système tire parti de l’inertie thermique du sol pour chauffer l’air en hiver et le refroidir en été, afin d’obtenir une température stable à l’intérieur des serres toute l’année, de jour comme de nuit et sans aucun apport d’énergie fossile. Mais le premier test a tout simplement raté : le dispositif était sous-dimensionné et les plantes ont gelées. C’est le jeu. Et Jean rejouera dès l’année prochaine.
Comme tout le monde, Jean doit s’améliorer. Mais sur trois pépins, il en a déjà réglé deux. Il vise la perfection, il l’effleure. De florem, qui vient du cœur.
Merci de m’avoir permis de comprendre pourquoi malgré mon obstination je n’ai jamais pu voir fleurir lavande ,thym ou autres plantes pourtant faciles .J’ai bien envie de venir vous voir et de vous apporter quelques pucerons pour votre hotel .
Bonjour?
Ou on peut trouver ce terreau de fumier de vache et de tourbe?
J’habite au pays baque
Dans le réseau des artisans du végétal ils distribuent le biofertil (fumier de bovin composté)
Un bijou d’article !
A lire pour le fond et aussi beaucoup pour la forme, quelle écriture !
J’en suis pétrie d’admiration, c’est vraiment rare de trouver des articles intéressants qui sont aussi de la littérature et qui font de leur sujet une gourmandise à dévorer des yeux !
Merci au rédacteur !
il est difficile de valoriser une production agricole non alimentaire auprès du public qui s’imagine que c’est plus cher et ne rapporte pas de bienfait direct pour soit même, produire de façon saine et sans chimie est pourtant possible et demande un peu plus d’attention qu’en conventionnel.
Quel plaisir de produire en s’aidant de son son environnement et en s’intégrant à celui-ci.
Excellent article. Bravo Jean pour ces efforts. Un peu triste de lire qu’il utilise de la tourbe. D’un point de vue environnement, c’est carrément pas terrible. Mais je suis sûr qu’il doit déjà être en train de rechercher une alternative. Je l’espère du moins.
J’utilise de la tourbe en effet mais pour atténuer l’impact de écologique de cela l’ensemble de nos déchets de production (végétal et contenu des pots) est composté avant d’être inclus dans notre mélange de culture.Le mélange de tourbe que nous utilisons est un matériau fossile qui inclus aussi des matières plus durable
Jean Dubois
BONJOUR,
Et quand on est du sud de la France ,vous faites des ventes de vos plantes par correspondance ?
tout simplement : super !!!!! Bon courage à Monsieur Dubois et aussi à tous les jardiniers qui oseront changer les mauvaises habitudes en bonnes habitudes afin de sauver notre terre si belle.
elle est où ta pépinière Jean?
Peut-on venir acheter tes supers fleurs ?
L’article ne nous donne pas l’adresse…
Les serres sont située dans le Pas de Calais à Béthune en pleine ville rue de l’Université
Un régal cet article ! Information, humour, empathie, un cocktail gagnant.
Longue vie à Jean, Sonia, leurs chats, leurs amis insectes et à leur petite entreprise à laquelle on souhaite très fort de ne pas connaître la crise !
A bas le troisième pépin ….
Danielle qui aimerait bien habiter tout près.
j’ai bien ri, merci pour ces bons mots et ces bonnes nouvelles ! Bon courage à Jean et à ses chats.
Article intéressant, comme d’habitude.
Jean ta démarche va dans le bon sens .Ton compostage produit lui aussi de la chaleur surtout si il est composé de fumier de cheval plus chaud .Théoriquement cette chaleur peut être en grande partie récupérée par un échangeur ou eau en circulation intégré au coeur même de la zone de compostage .Bonne continuation et je reste à votre disposition bénévolement pour plus de développement .
Jean, tu es vraiment formidable ! Tout pépiniériste qui se respecte devrait en prendre de la graine 🙂
Longue vie aux zombies et momies !