Entre pisciculture et haute couture, il y a deux hommes, Peio et Jean-Jacques. Les truites de l’un font le bonheur des espadrilles de l’autre. On vous raconte ?
Devant un incroyable ballet de truites arc-en-ciel volantes, au cœur de la vallée pyrénéenne des Aldudes, Peio Goicoechea déroule l’histoire de sa ferme aquacole. Du haut de ses 28 ans, il est le représentant de la 3e génération de pisciculteurs. Comme tout Basque qui se respecte, il est connecté à cette âpre nature, à la beauté sauvage qui l’a vu naître. Quand on lui demande ce qui fait la typicité de sa ferme aquacole, il invoque tout de go les forces naturelles si chères à la mythologie de son territoire : le soleil, la lune, l’air, l’eau, les montagnes et autres forêts… D’ailleurs, dans ses bassins, il pratique le magnétisme afin de rétablir les énergies.
Au menu des truites : 70% de chair de poissons et de micro-organismes et des insectes naturellement présents dans l’eau.
Mais ce n’est pas tout. « Au-delà d’une alimentation limitée, deux repas par jour pour les alevins et un seul pour les truites leur assurant une croissance lente et respectueuse de leur rythme biologique, de nombreux autres paramètres entrent en compte pour assurer le bien-être des truites. Parmi ceux-ci, la faible densité de poissons et l’oxygénation de l’eau. » Avec un débit d’eau de 300 litres par seconde et des bassins en escalier, les truites ont une vie en or.
Peio, qui a très tôt souhaité manœuvrer seul, évoque alors toutes les facettes de l’activité, le savoir de ses aïeux « le bon comme le mauvais », ce qu’on lui a enseigné au centre technique d’aquaculture, ce que le terrain lui a appris et enfin sa vision et sa manière de faire. «Les quelque 800 000 truites que nous produisons chaque année sont élevées sans antibiotique aucun, sans vaccin, sans complément alimentaire et sans oxygène artificiel… Nous nous appliquons également, autant que faire se peut, à leur éviter tout stress. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, c’est là l’une des clés essentielles de la qualité du produit fini.»
A fleur de peaux
Si la pisciculture produit 1 000 truites par an plébiscitées par les plus grands chefs de l’hexagone et d’ailleurs, Peio, sa barbe de 10 jours et son regard affirmé se met en tête de valoriser les peaux des salmonidés. «J’ai toujours conservé les peaux des plus grandes truites que je trouvais douces, élastiques et extrêmement résistantes, d’autant que leur exceptionnel grand format (le poids de nos truites pouvant atteindre 5 kilos) permettait d’envisager très sérieusement une transformation en cuir! ». Pour autant, il n’est pas si simple d’identifier des artisans capables de façonner lesdites peaux, loin s’en faut !
C’est finalement en Bretagne, que le pisciculteur envoie ses échantillons après avoir entendu parler d’un tanneur expérimenté (dont il tient le nom secret). L’homme, qui a longuement collaboré avec Hermès, ne tarde pas à inventer le processus de teinture minérale idoine, avant de mettre Peio en relation avec un couple de maroquiniers albigeois retraités ayant également travaillé pendant près de quarante années pour la très grande maison de couture. C’est ainsi que naîtra la toute première collection de maroquinerie écussonnée Banka. «Il semble que l’un des grands défis dans la vie réside dans le fait de faire les choses avec sérieux afin d’être pris au sérieux, sans se prendre soi-même au sérieux».
Il faut croire que Peio dit vrai. Après avoir reçu un appel téléphonique de Monsieur Vuitton, le jeune pisciculteur a été contacté par Baume et Mercier afin de contribuer au lancement d’une collection capsule de bracelets-montres en cuir de peaux de truite !
L’union fait la force basque
Un jour, jaillit une autre idée dans la tête de Peio, celle de développer des modèles d’espadrilles en cuir de truite avec le chausseur Donquichosse, l’un des derniers vrais artisans sandaliers de Mauléon, labellisé entreprise du Patrimoine vivant.
Quelques lacets de petites routes plus loin, nous voilà donc devant le chausseur en question : Jean-Jacques Ouyou, patronnier-chausseur, 27 ans d’expérience. Posté sur un tabouret de guingois, celui qui a érigé l’espadrille en musée dans le village d’Ossès, nous conte son histoire depuis l’archaïque savate en spartes et genêts tressés du temps des bergers jusqu’au fameux modèle en peau de poisson.
Aujourd’hui, Jean-Jacques continue d’effectuer les gestes augustes des 3 générations qui l’ont précédé avec ses outils de 120 ans d’âge, tout en nous énumérant les matériaux indispensables à la fabrication de ces nouvelles espadrilles. «Autrefois, on confectionnait les semelles avec du lin, sa culture s’étant raréfiée au profit de la culture céréalière et de l’élevage, nous avons du nous rabattre sur le jute. Ma foi, plus robuste encore que son prédécesseur ! Et puis, aussi surprenant que cela puisse paraître, il est un caoutchoutier, à Pampelune, capable de produire un caoutchouc exempt de colorants ! (Pour la petite histoire, sachez que nos aïeux prolongeaient la durée de vie de leurs semelles en arpentant le goudron brûlant).»
Avec les peaux des truites de Peio, l’équipe de Jean-Jacques réalise des espadrilles magnifiques. Certaines sont à semelles compensées et séduisent les Espagnoles de l’autre côté de la proche frontière. «S’il me donne encore souvent du fil à retordre, ce cuir sublimé par les empreintes des écailles remplit de joie le releveur de défis que je suis ! ». Et de lancer dans un sourire un nouveau challenge à son ami Peio : trouver le moyen de recycler les arrêtes en serre-têtes ! Chiche ?
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