Ils rendent comestibles les jardins de la capitale belge. Bienvenue chez les citoyens-paysagistes, dont le travail ne manque pas de goût.
La terrasse est baignée du soleil de midi. Deux poules passent en gloussant sous les chaises, à la recherche de miettes échappées des assiettes. Une famille attablée lève les jambes, amusée. Émergeant du luxuriant jardin, les framboisiers tendent leurs fruits mûrs à portée de main des clients assez hardis pour les attraper. Vivant et nourricier, le jardin de Refresh invite à plonger en son sein, à oublier les quatre murs de briques qui le bordent et Bruxelles qui bruisse autour. Dans cette vitrine du paysagisme urbain comestible, ce qui est beau est aussi bon.
Insérez ici votre jardin
Il y a trois ans, quand j’ai lancé ça, c’était pour créer de l’emploi d’insertion en mettant l’accent sur le fait que c’est un lieu agréable avec de la bonne cuisine, raconte Laurent Dennemont, directeur de cette cantine de quartier un peu particulière : le bâtiment – une belle maison de ville sur 3 étages – appartient à la mairie, Laurent est employé municipal et la cuisine comme le service sont assurés par des employés en insertion. Le petit jardin est géré par un collectif de voisins : compost, poulailler, potager et même une serre ont pris place dans un espace de quelque dizaines de mètres carrés remarquablement exploités. Je leur ai offert la possibilité de se retrouver ici une fois par mois, explique Laurent. Ça a enclenché une dynamique, ils ont même fleuri tous les pieds d’arbres de la rue, ils se sentent super investis. Labellisé Jardin nature par l’association Natagora, l’espace de verdure est également un garde-manger : on essaie, sur un petit espace – et il y en a beaucoup, des jardins comme celui-ci – de montrer aux Bruxellois qu’on peut avoir de petits fruitiers et des productions potagères, assure Laurent.
La fine fleur de la cuisine locale
Refresh et le collectif citoyen ont pu profiter de l’expertise de l’association Aromatisez-vous, spécialisée dans le paysagisme comestible. Je les ai conseillés sur les plantes qu’ils pouvaient mettre en place, explique Guillaume Culot en s’engouffrant dans le jardin par une percée dans une haie, depuis la terrasse. Ici il y a un super bon zonage : les aromatiques sont proches de la terrasse et de la cuisine pour que les gens puissent les prendre et les rajouter dans l’assiette. Les framboises aussi mais les gens n’osent pas trop les prendre ! Devant lui, une spirale aromatique disparaît sous la verdure. Il y avait de la sauge pourpre, officinale et panachée, mais c’est toujours l’officinale qui prend le dessus. On arrive au moment où il va falloir tailler sévère : On va prendre des décisions, avec Laurent et le collectif citoyen. Chemin faisant, Guillaume arrache un laiteron pour éviter que les graines ne se ressèment. Une poule, qui a suivi, se jette dessus. Nous entrons dans le cœur du jardin, à l’abri de tout regard. Cette zone-là est plus sauvage, avec des vivaces exubérantes. Il y a aussi de l’ortie. Laquelle finit dans une soupe au menu de Refresh, évidemment.
Toutes les fleurs ici sont comestibles, précise le directeur. Sauf l’agapanthe – mais ses graines sont comestibles. J’ai semé de l’arroche rouge, c’est joli en salade. Et ici, on a de l’ail des ours et de l’alliaire, avec laquelle on fait des beurres composés. Celui du jour, cerfeuil-roquette d’un côté, curcuma de l’autre, n’est pas fait intégralement avec les produits du potager, mais témoigne de la créativité du chef. Je vais au jardin juste avant le service, raconte Lulu, devant sa cuisine, alors que les serveuses apportent les cafés aux derniers clients du déjeuner. D’abord on fait les bases, et puis je fais le poète… glisse-t-il dans un sourire. On se rend compte qu’on utilise pas mal de fleurs en cuisine, complète Laurent. Et c’est pas mal pour les posts Instagram !
De la guérilla nocturne à la lumière
Des projets comme celui-ci, Aromatisez-vous en accompagne un par an, comme dans le parc du Viaduc ou le verger urbain d’Italie, dans le quartier d’Ixelles. On s’est réapproprié l’espace public pour le mettre à disposition, raconte Guillaume. C’est un vrai verger citoyen, c’est ouvert, il n’y a qu’une clôture en châtaignier. Intervenant uniquement lorsqu’il y a une dynamique citoyenne, l’association assure renouveler le paysagisme urbain en cassant les codes et les prix. L’association se rémunère surtout via les produits transformés issus de ses cueillettes. On propose notre travail à des personnes qui n’auraient habituellement pas les moyens, explique Guillaume, par ailleurs formateur au jardinage et maraîchage dans un jardin d’insertion. On a envie de remettre la nature au centre de notre société, de notre réflexion. L’association, après ses jeunes années de guérilla gardening où elle plantait de nuit des aromatiques et des fleurs mellifères dans l’espace public, se félicite aujourd’hui de pouvoir accompagner la création d’îlots de verdure dans une ville ouverte à l’expérimentation écologique.
Le plus dur ce n’est pas de cultiver des légumes, c’est de cultiver l’humain, de le rendre vivace.
Tout n’est cependant pas rose dans les parterres bruxellois : On nous propose souvent des terrains que les employés des espaces verts n’arrivent pas à gérer, témoigne Guillaume. Au parc du Viaduc, c’est en pleine ombre, une terre complètement ingrate. Ça prendra du temps, parce que ça doit prendre du temps, ajoute-t-il. Mais le plus dur ce n’est pas de cultiver des légumes, c’est de cultiver l’humain, de le rendre vivace. Ici à Bruxelles, le social s’est fait bouffer, et l’agriculture urbaine se privatise. Alors que se développent des fermes urbaines technologiques bien loin des potagers de quartier, Aromatisez-vous, notamment via l’événement annuel Les 48 heures de l’agriculture urbaine, tente de réconcilier les deux démarches. Ces deux mondes ne doivent pas se rejeter, assure Guillaume, qui rêve d’une agriculture urbaine à la fois nourricière et enracinée dans son terroir.
Quel beau projet ! Nous avons besoin de multiplier les espaces comme celui-ci ! C’est ce que nous encourageons chez Adopte ma tomate 🙂