Comment rabibocher épices et gastronomie française ? C’est le pari audacieux que s’est lancé Vrac, association qui démocratise les produits bio, locaux, en circuits courts dans les banlieues lyonnaises.
L’une vient de Guadeloupe, l’autre de Tunisie, la troisième de Turquie. Toutes trois vivent à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon. Toutes trois aiment offrir leur cuisine en partage. C’est ce qu’elles ont fait, avec générosité, dans Femmes d’ici, cuisines d’ailleurs. Bien plus qu’un livre de recettes, c’est une entrée dans l’intimité de quinze cuisinières, de quinze histoires d’immigration et de tout autant de cultures culinaires, racontées sous la plume du prix Goncourt 2011, Alexis Jenni.
Un concours au pied des tours
À l’origine de ce projet, se trouve un homme : Boris Tavernier. En 2013, avec la fondation Abbé Pierre et Est Métropole Habitat, il a fondé Vrac (Vers un réseau d’achat en commun). L’association permet aux habitants des quartiers défavorisés d’accéder à une alimentation de qualité, bio, locale… à prix coûtant. À travers des groupements d’achat, Vrac achète en gros (pour partie directement auprès de producteurs locaux), puis revend en vrac au cours de distributions mensuelles.
À force d’entendre parler de cuisine, d’entendre les adhérents se chamailler à coups de « la cuisine de mon pays est meilleure que celle du voisin », on s’est dit qu’on allait organiser un concours, raconte Boris Tavernier.
En avril 2016, il fait venir des chefs lyonnais au pied des tours de Vaulx-en-Velin et organise un grand concours auquel participent des adhérentes de Vrac et des habitantes du quartier. Des grands chefs venaient chez nous, on avait la pression. C’était un événement dans le quartier, raconte Nathalie, qui a remporté le concours dans la catégorie dessert.
« Ce plat, c’est un pont entre deux continents »
Je leur ai fait des choses qu’ils n’avaient jamais goutées, un gâteau de patate douce, avec un sorbet coco dans un chou et un dôme de salade de fruit exotique, ajoute la souriante Guadeloupéenne, arrivée en métropole enfant.
Si elle est venue de Tunisie à l’âge de 6 mois, Zaïneb a fait une partie de sa scolarité dans son pays natal. Avec le plat qui a gagné le concours, elle a clamé haut et fort sa double culture. Je pense que c’est ce qui a touché le jury. Ce plat, c’est un pont entre deux continents, c’est un plat qui parle de réconciliation, qui dit le mélange particulier de ma vie, entre la Tunisie qui est ma culture et la France qui est le pays où vit la femme que je suis, explique la pétillante mère de famille.
Au menu : dôme de Djerba, inspiré du riz djerbien de sa mère, accompagné de compotée d’oignons et d’une paupiette de veau aux épices, finement sélectionnées et moulues par ses soins en Tunisie.
Elles ont tellement de choses à dire mais on ne les entend pas
Après ce premier concours de cuisine, Boris Tavernier ne veut pas s’arrêter là. Quand j’ai vu le bonheur et la fierté des candidates, je me suis dit qu’il fallait prolonger l’aventure et en faire un livre. Je voulais que ces cuisinières se racontent. Elles ont tellement de choses à dire mais on ne les entend pas.
Le livre Femmes d’ici, cuisines d’ailleurs raconte en effet de belles histoires. Esme y livre sa recette des mantis, des raviolis turcs, et les souvenirs de son Anatolie natale, celle où on lui a transmis l’amour des bon plats : Ma grand-mère était cheffe de cuisine. Elle montait à cheval et allait de village en village pour cuisiner les repas de fête. Elle raconte aussi la cuisine qu’elle partage avec sa fille de 11 ans, atteinte de surdité : C’est un langage universel, quand ma fille goûte mes plats, nous partageons des choses fortes, sans paroles.
« Perpétuer la tradition tout en la faisant évoluer »
Chez ces trois femmes, chez qui, enfant, il n’y avait pas de conserves, amour du bon produit se conjugue avec amour tout court. En cuisinant, on est vite dans l’intime. Je me souviens de mes tantes qui se racontaient leurs secrets, c’était le moment où elles étaient seules entre femmes, se souvient dans un sourire Nathalie. Les trois voisines, devenues amies grâce à Vrac, renchérissent de bon cœur.
Ma mère ne sait pas dire « je t’aime », livre Zaïneb. Alors elle exprime son affection par la cuisine. Notre relation s’est construite autour de ça. Aujourd’hui, je lui apprends à cuisiner des plats français. Et la pétillante Franco-Tunisienne d’ajouter : J’ai l’impression que notre rôle est de perpétuer la tradition tout en la faisant évoluer, en mariant les cultures. C’est une force ! On peut faire du « et » et pas du « ou ». D’où qu’elle vienne, la cuisine est riche, elle a des valeurs universelles, celles du partage et de la rencontre.
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Crédit illustrations : Emmanuel Prost
Pour approfondir
Références
Quinze femmes ouvrent leur cuisine et font partager LE plat auquel elles tiennent. Un plat de famille venu d’ailleurs, simple et délicieux, qui évoque les souvenirs et réchauffe les cœurs.
Encore un chouette article plein de belles valeurs! Merci La Ruche, ça fait du bien de lire de belles initiatives!
Une initiative qui fait saliver… Autant les papilles que les pupilles !