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Je mange donc...

Quand notre assiette joue sur notre bien-être

Je mange donc je suis… de bonne humeur ou irritable. Pas seulement selon les nouvelles du jour ou les perspectives du lendemain, mais aussi selon ce que je mange et la manière dont je le mange. Car le bien-être psychique, c’est scientifique, se trouve aussi dans l’assiette pour qui sait la composer.

Avec le printemps, fleurissent les suggestions de régimes divers mais tendus vers un seul but : mincir. Mais s’il est incontestable, le lien entre alimentation et poids – plus largement entre alimentation et santé – occulte souvent un autre aspect de la relation qu’entretiennent l’homme et son assiette.

En 2014, le réalisateur américain Morgan Spurlock en faisait la délicate expérience dans son documentaire Super Size Me, récit d’un mois de consommation exclusive de fast-food. « C’était assez intéressant, estime Florian Ferreri, psychiatre et coauteur, avec le diététicien Franck Grison, du Régime antidéprime. Car, si on pensait bien qu’il allait prendre du poids, on a également observé une modification de son humeur : il devenait plus irritable, plus tendu, moins patient. »

 

 

Une démonstration un poil excessive de l’influence de la nourriture sur notre moral, que la science s’attache également à prouver. « Depuis Hippocrate, on sait que notre alimentation agit sur notre humeur, explique pour sa part Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie et d’addictologie, qui a signé en novembre dernier Les 4 saisons de la bonne humeur. Mais ce sont deux grands types de recherches qui nous ont permis d’avancer : l’imagerie cérébrale, grâce à laquelle on voit que ce que l’on mange agit sur la biologie de notre cerveau ; et de grandes études épidémiologiques menées depuis un ou deux ans sur des centaines de milliers de personnes, où l’on a observé qu’en fonction de leurs habitudes alimentaires, leur état d’humeur n’est pas le même. »

De nouvelles données scientifiques qui confirment ce que le bon sens médical laissait percevoir, mais que le consommateur lambda connaît encore peu et mal.

 

Cornichons du bonheur ?

Alors, que manger pour écarter le risque de déprime ? « Tout part d’une étude qui date d’une vingtaine d’années, raconte Michel Lejoyeux. On a imposé à des rats un régime sans tryptophane – un acide aminé qui permet de fabriquer la sérotonine, molécule de la bonne humeur. En trois jours, les rats étaient déprimés. » Conclusion : les molécules dont nous avons besoin pour garder le moral – en premier lieu le tryptophane – sont fabriquées par ce que nous mangeons.

Par ailleurs, une étude réalisée en 2016 auprès d’étudiants américains a mis au jour les aliments retrouvés de manière significative dans le menu de ceux qui affichaient une bonne humeur : cornichons, choucroute, pickles et yaourts qui, en faisant travailler le tube digestif, permettent à l’intestin de produire la précieuse sérotonine. Ce sont ce que l’on appelle des psychobiotiques, appréciables fournisseurs d’antidépresseurs naturels.

 

Des harengs contre le rachitisme de l’émotion

Deuxième porte d’entrée du régime antidéprime : choisir des aliments permettant de lutter contre les carences – lesquelles favorisent la mauvaise humeur. L’on retrouve ici le poisson, recommandé pour son apport en oméga 3 (essentiel dans le fonctionnement du cerveau) et en vitamine D. « Une personne sur deux est en manque de vitamine D, rappelle Michel Lejoyeux. On savait que cette carence provoquait le rachitisme des os, on découvre aujourd’hui qu’elle donne aussi ce qu’on appelle le rachitisme de l’émotion ». Pour aider votre cerveau à produire des émotions positives, donnez-lui régulièrement maquereaux, sardines et harengs.

De la même façon, veillez à faire le plein de magnésium pour lutter contre l’anxiété (bananes, flocons d’avoine, riz complet) et de vitamine C (oranges, kiwis), de potassium (betteraves, brocolis) et de fer (avoine, foie de veau) pour combattre la fatigue – la petite forme entraînant le petit moral.

 

Les faux amis

Bien évidemment, la quête de la bonne humeur nécessite de tenir à distance ce qui pourrait la contrarier. On chasse donc les aliments riches en graisses saturées des plats industriels et les sodas trop sucrés, dont l’impact sur la digestion, et donc sur l’humeur, est négatif. « Ce n’est pas parce qu’elles sont déprimées que certaines personnes en consomment beaucoup, mais c’est parce que leur alimentation est trop riche que le risque de dépression est chez elles majoré », précise Florian Ferreri.

À titre d’exemple, plus de trois verres de boissons sucrées par jour multiplie par deux le risque de déprime chez l’adolescent. Autre faux ami, l’alcool présente, au-delà d’un verre par jour chez la femme et de deux chez l’homme, « une toxicité comparable à ce que l’on pourrait connaître avec un régime alimentaire non contrôlé », ajoute le professeur Lejoyeux. Sans oublier le tabac, qui certes ne se boulotte pas, mais diminue l’apport en vitamine D et bloque l’effet positif des aliments sains.

 

Pour le plaisir

Enfin, et parce qu’il ne s’agit pas de verser dans un triste hygiénisme, pensez, comme le suggère Florian Ferreri, à « réveiller les plaisirs ». Manger doit rester une expérience émotionnelle agréable – qui peut ponctuellement s’affranchir de toute considération diététique. Comme Proust et sa madeleine, les plats de notre enfance réactivent ainsi les sensations heureuses du temps passé. Et tant pis pour le gras si les pommes de terre rissolées ou la raclette vous réconfortent mieux que quiconque en vous rappelant la douceur d’un hiver en bonne compagnie.

Michel Lejoyeux confirme, qui indique à ce titre que « ceux qui cultivent leur passé sont ceux qui investissent le plus l’instant présent ». Le tout est de rester modéré et ouvert à d’autres découvertes culinaires. Car l’effet Coolidge – qui pointe l’influence positive de la nouveauté sur le cerveau – ne s’observe pas seulement en matière de sexualité. Un aliment inconnu, une cuisine du bout du monde font de temps à autre un bien fou, la stimulation cérébrale permettant notamment l’augmentation de la dopamine – molécule de l’innovation qui booste le sentiment de plaisir.

 

L’empire des sens

Émotionnel, l’acte de manger convoque les sens. Et des sens flattés rendent évidemment un peu plus heureux. C’est là que l’environnement du repas entre en ligne de compte. Pour preuve, cette étude néo-zélandaise, selon laquelle le goût d’une glace dégustée au son d’une musique que l’on apprécie paraît plus sucré – il semble a contrario plus amer si le morceau n’est pas agréable à l’oreille. Côté décor, le bleu et le vert se révèlent deux couleurs primordiales au bien-être – le printemps sera l’occasion de le vérifier le temps d’un pique-nique dans un coin de nature, sous un ciel clément. Essentielle pour combattre la déprime, l’alimentation-plaisir passe de la même façon par la vision d’une assiette joliment composée, la texture d’un ingrédient dont l’on variera le type de cuisson, les odeurs qu’exhale un plat patiemment réalisé. Et s’avère encore meilleure lorsqu’elle est partagée.

Alors, âmes chagrines, considérez d’un autre œil ce qui comble votre estomac. N’en déplaise à Socrate, il serait dommage de se contenter de manger pour vivre lorsque l’alimentation, du choix des ingrédients à la manière de les consommer, sait si bien rendre au cerveau sa belle humeur perdue.

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