L’oignon fait la force ! Un collectif réunissant maraîchers et particuliers a redonné vie à une variété locale aussi douce que la vie sur la côte d’Azur. Tout en la déclarant non appropriable par l’industrie.
Maxime Schmitt fait les cent pas, téléphone à l’oreille, au milieu des rangées de courgettes et de tomates. Au bout du fil, la Mairie de Menton. L’heure est grave : il manque des autorisations pour l’événement qu’il organise dans trois jours. La Ferme de la Sousta retient son souffle un instant.
Rudy Terreno profite du temps mort pour présenter celui pour qui l’on remue ciel et terre en ce début d’été : l’oignon rose de Menton. Une large sphère aplatie à la robe rubis et au goût délicat, dont d’énormes spécimens débordent de six cagettes de dix kilos. Il ne nous en reste pas beaucoup, parce qu’on en vend trois caisses par semaine, commente le maraîcher. À peine sorti de l’oubli, déjà en tête des ventes, l’oignon de Menton est à la fête ! Enfin, si les autorisations de dernière minute sont données.
Bonnes âmes aux pieds nus
C’est bon ! souffle Maxime en raccrochant, épuisé. La première Fête de l’oignon rose de Menton aura bien lieu. Une reconnaissance pour cette variété locale, sauvée in extremis il y a deux ans, mais aussi pour le réseau bienveillant qui s’est mobilisé afin de multiplier les dernières graines disponibles, en tête desquels figurent les producteurs locaux comme Rudy et sa compagne Sabrina, installés à quelques kilomètres de Nice.
Notre priorité l’année dernière, c’était de sauver l’oignon, raconte Rudy, pieds nus sous sa serre. Cette année, comme on est des bonnes âmes, on a donné plein de graines et on en a pas eu assez pour nous ! Mais l’an prochain, on fait un hectare d’oignons ! s’enthousiasme le maraîcher qui a sélectionné une cinquantaine de beaux spécimens qu’il a laissé monter en graines.
La variété mentonaise s’est parfaitement intégrée à l’économie de la ferme, qui produit elle-même l’essentiel de ses semences. On est en autonomie, et on a des variétés qui sont adaptées à notre sol, assure Sabrina. L’idéal agricole selon Maxime Schmitt, qui a fondé en 2018 la Maison des semences paysannes maralpines (MSPM) pour rendre aux paysans la mainmise sur la biodiversité cultivée. Chaque producteur lié à la MSPM peut partager ses excédents de graines et récupérer ceux des autres producteurs, pour diminuer les coûts d’achat des semences et renforcer l’autonomie des fermes.
Nouvel oignon populaire
Le trentenaire, lui-même oléiculteur, a pu compter sur un réseau de bénévoles investis dans la cause et réunis maintenant dans sa cuisine, au milieu de son oliveraie, pour les derniers préparatifs de l’événement. Alors que l’équipe déco finit les fanions teintés à la peau d’oignon rose, six personnes sont mobilisées pour transformer le précieux bulbe sous toutes les formes possibles.
Tarte tatin, burger, sorbet et onion rings : le jeune chef niçois Victor Brandi a fait parler sa créativité. J’ai essayé de faire des recettes simples, mais tout ce qui est en grande quantité c’est compliqué, explique-t-il aux bénévoles. Le plus important, c’est que l’on cuisine bien cool, sans stress. Le stock d’oignons diminue sous les coups de couteaux, ça fredonne La Vie en Rose, la touffe de cheveux de Victor se balance d’un air approbateur. Capucine et Laurence viennent d’arriver, Jade et Cédric pyrogravent des planches pour la signalétique, Marie enfourne les tatins.
Marie Bonneville, seule productrice professionnelle de graines des Alpes-Maritimes, fait partie des fondateurs de la Maison des semences paysannes, dans laquelle elle ne voit pas une concurrence à son activité : Je me sentais isolée sur cette problématique, confie-t-elle. Aujourd’hui je suis contente de partager avec les producteurs des variétés vraiment classes et qui ont un potentiel de production ! Même sans parler des variétés hybrides F1, on produit la même chose dans tout le pays, tout est uniformisé. Moi je préfère la diversité, c’est ce qui crée une résistance à ta production. Quand les maraîchers me commandent des graines, maintenant, je leur impose dans la commande l’oignon de Menton : je ne leur ai pas donné le choix, il ne peuvent être que satisfaits !
Soutien trois étoiles
L’oignon rose de Menton a aussi convaincu une célébrité locale : Mauro Colagreco, chef triple étoilé dont le Mirazur a été sacré meilleur restaurant du monde en 2019. Et c’est par une dégustation de ses recettes que s’ouvre la première Fête de l’oignon rose de Menton, sur une esplanade ensoleillée de bord de mer. Toute cette histoire de l’oignon de Menton, c’est pour le plaisir de l’assiette, avoue Maxime à la foule. À ses côtés, Paula et Milton, de l’équipe « Recherche et développement » du restaurant, finissent de dresser les planches de dégustation. Ce midi, on va vous montrer une assiette qu’on a fait toute la semaine au Mirazur, explique Paula. Car nous travaillons avec le calendrier lunaire et c’est une semaine « racines ».
Dévoré par les passants, l’oignon entier farci au tartare de gamberoni de San Remo cède sa place à des toasts de confit d’oignon et de fleurs en pickles au pâté de foie de volaille, servis sur des pétales d’oignons confits. Nous sommes heureux de faire partie de ce réseau, confie Laura, la sœur de Mauro Colagreco. Pour travailler avec des produits d’exception mais aussi pour valoriser notre région.
Tout n’a pourtant tenu qu’à un fil : celui déroulé par Nicole Lottier, Mentonaise pur jus, qui a pensé à confier à un maraîcher la variété qu’elle craignait de voir disparaître. Mon histoire vient de la famille du côté de ma maman, raconte-t-elle à la tribune, dominant le bruit du clapotis de l’eau et bravant le soleil de plomb qui s’abat sur la mer bleu profond. Cet oignon, je l’ai toujours connu, mangé, vu et touché. Pas tendre, la vie a mis un obstacle supplémentaire sur le chemin de Nicole, son maraîcher ayant disparu peu après dans un accident. Jusqu’à ce que le collectif de la Maison des semences paysannes maralpines ne la retrouve et ne récupère le dernier sachet de graines de la précieuse variété. Je suis contente de l’avoir transmis à des gens qui vont le sauvegarder, confie-t-elle, des sanglots dans la voix. Faites attention à qui vous le passez, il ne faut pas le perdre !
Vivre en oignon libre
Pas de risque : l’oignon de Menton, choyé, peut compter sur une galaxie de marraines et de parrains qui veillent à ce qu’il reste au patrimoine commun de l’humanité. Et que personne ne se le garde pour lui-même : Il y a toujours un risque, quand on découvre quelque chose, de se le faire réapproprier par l’industrie, assure Maxime. Aussi le collectif a-t-il décidé d’organiser la première « déclaration participative de commun » de France. Réunis sur scène, les producteurs, associations et autres collectifs qui maintiennent des variétés paysannes d’oignons (comme à Tarassac et Lézignan) s’engagent à veiller sur l’oignon rose de Menton. C’est un nom de variété libre de droit dont personne ne peut s’approprier l’usage exclusif, peut-on lire sur le texte déclamé puis signé par les participants, dont une conseillère municipale.
L’acte, symbolique, n’a pas – encore – de valeur légale, mais bien mal inspiré celui qui voudrait déposer sur le précieux bulbe un certificat d’obtention végétale, l’équivalent du brevet pour les espèces cultivées. Mauvaise réputation assurée, accompagnée d’un risque de feuilleton judiciaire. Mais pour le moment, l’heure est à la célébration : alors qu’une petite brise apaise les esprits et agite doucement les oignons en papier et les tresses qui décorent les stands, un bal de danses traditionnelles se prépare sur l’esplanade. L’avenir semble assuré pour l’or rose de Menton, déjà intégré au patrimoine local.
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